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Qui est la cible de RSF ?

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24 février 2024

Temps de lecture : 7 minutes
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Qui est la cible de RSF ?

Temps de lecture : 7 minutes

Avec la publication du rapport Jost, la plainte auprès du Conseil d’État contre CNews, et maintenant les pressions sur l’Arcom pour que les règles de garantie du pluralisme dans les médias changent, Reporters sans frontières s’est trouvé un nouveau cheval de bataille. Il ne s’agit plus d’assister des journalistes prisonniers ou otages dans des pays restreignant la liberté de la presse. En France, Reporters sans frontières s’attaque à certaines chaînes parce qu’elles ne respecteraient pas la loi. Et dans un esprit inquiétant.

Pourquoi Reporters sans frontières a porté plainte

En France, depuis 1986, le plu­ral­isme des médias est garan­ti par la loi. En principe, il s’agit unique­ment d’un plu­ral­isme assuré par l’ensemble de la sphère médi­a­tique. Cha­cun doit pou­voir trou­ver une ligne édi­to­ri­ale proche de ses idées, sans que tous les titres doivent répéter la même chose, ou le dire de la même façon. Toute­fois, dans le cadre de l’audiovisuel d’information, c’est un peu dif­férent. On compte une dizaine de chaînes d’informations, et elles se parta­gent les fréquences du domaine pub­lic, aux­quelles elles ont d’ailleurs accès gra­tu­ite­ment. En échange, l’État leur demande entre autres d’assurer la représen­ta­tion de la diver­sité des opin­ions. C’est ce que CNews ne ferait pas selon Reporters sans fron­tières, et c’est la rai­son de leur plainte.

Un rapport publié deux ans plus tard

Toute­fois, alors que le rap­port Jost est ter­miné depuis deux ans, Reporters sans fron­tières a choisi de le pub­li­er, et surtout de s’en servir pour une plainte auprès du Con­seil d’État, quelques mois avant la réat­tri­bu­tion des fréquences du domaine pub­lic, dont dépen­dent les médias audio­vi­suels. Si les Français ne peu­vent plus écouter CNews en appuyant sur leur télé­com­mande, beau­coup ne voudront pas, ou ne pour­ront pas, l’écouter depuis un appareil con­nec­té à Inter­net. C’est ce même mécan­isme qui donne à France Inter une longueur d’avance, et lui per­met d’être la pre­mière radio de France. Non seule­ment elle dis­pose de plus d’émetteurs que d’autres radios, mais surtout elle occupe le pre­mier canal. Autrement dit, c’est la radio par défaut.

Voir aus­si : TNT, la guerre des fréquences est déclarée !

Une date de sortie du rapport très politique

La date choisie par Reporters sans fron­tières pour dépos­er sa plainte inter­roge. Pourquoi ne pas avoir l’avoir fait deux ans plus tôt ? L’Arcom aurait pu écrire de nou­velles règles, les chaînes auraient pu men­er les actions néces­saires pour s’y con­former, et il ne resterait plus cette année qu’à faire le ménage. Au lieu de cela, les instances d’attribution des fréquences sont face à un dilemme : faut-il repenser les règles, et pari­er que les chaînes qui obtien­dront les fréquences les respecteront ? Ou imag­in­er, au doigt mouil­lé il faut bien le dire, celles qui n’en sont pas capables ?

L’estimation sera d’autant plus faussée que Reporters sans fron­tières n’a pas demandé un rap­port pour chaque chaîne télévi­suelle, et que ce tra­vail n’a été fait que pour CNews. Impos­si­ble donc de se baser sur ce rap­port pour refuser à la chaîne sa fréquence, puisqu’il est impos­si­ble de s’appuyer sur un tra­vail sem­blable pour toutes les chaînes.

RSF, une curieuse idée du journalisme

Le rap­port Jost con­clut que sur CNews, « la part de l’information est large­ment minori­taire par rap­port à celle du com­men­taire. En d’autres ter­mes, le tra­vail jour­nal­is­tique occupe une place mar­ginale. » C’est là une curieuse vision du jour­nal­isme, surtout à l’ère des réseaux soci­aux et d’Internet. En effet, si le jour­nal­iste se con­tente de répéter les infor­ma­tions que l’on peut trou­ver sur les réseaux soci­aux, voire sur son agen­da, puisque cer­taines chaînes par­lent de la Chan­deleur, il sera inutile dans vingt ans. Aujourd’hui, les jour­nal­istes doivent appren­dre à remet­tre les faits en per­spec­tive, apporter une analyse, un con­texte, une remise en ques­tion. Bien sûr, cela peut être fait avec plus ou moins de sub­til­ité, et doit être fait avec honnêteté.

RSF rêve d’une police de la pensée

Toute­fois, le rap­port Jost trans­mis par Reporters sans fron­tières ne reproche pas à CNews son hon­nêteté, mais son analyse. Ain­si, Christophe Deloire, secré­taire général de l’ONG, rêve d’une France où les médias seraient exam­inés avec deux loupes :

« la pre­mière, c’est plus de clarté sur qui par­le. La deux­ième con­siste à regarder de quoi on par­le, de quelle façon et pen­dant com­bi­en de temps. »

Qui par­le, il est en effet de bon aloi de le pré­cis­er, et toutes les chaînes le font. Elles présen­tent leurs invités, ne serait-ce que pour pos­er leur légitim­ité. En revanche, il est vrai qu’elles ne leur don­nent pas sys­té­ma­tique­ment une éti­quette poli­tique, tout sim­ple­ment parce que cela n’a pas for­cé­ment d’intérêt ou de per­ti­nence. Une asso­ci­a­tion d’aide aux vic­times du ter­ror­isme ne se définit pas comme à droite ou à gauche, et si cer­taines asso­ci­a­tions, comme Action Écolo­gie ou Némé­sis, se revendiquent à droite, c’est surtout parce que leur domaine, respec­tive­ment l’écologie et le fémin­isme, a été chas­se gardée de la gauche pen­dant des années. Quant à regarder de quoi on par­le, de quelle façon et pen­dant com­bi­en de temps, pourquoi faudrait-il impéra­tive­ment men­tion­ner la Chan­deleur, louer le dernier avis d’une ONG écol­o­giste ou pass­er quelques sec­on­des au lieu d’une demi-heure sur l’agression d’une per­son­ne âgée ?

Voir aus­si : Plu­ral­isme sur CNews : la déci­sion du Con­seil d’État inquiète les médias

RSF « ne fait pas de politique », vraiment ?

Lors de la con­férence de presse tenue le mar­di 20 févri­er, Christophe Deloire, secré­taire général de Reporters sans fron­tières, affir­mait que l’ONG « ne fait pas de poli­tique. » Pour­tant, pour pro­duire un rap­port con­cer­nant une unique chaîne, ils ont con­tac­té une seule per­son­ne : François Jost, qui, avant que sa fiche Wikipé­dia ne soit mod­i­fiée dans la journée suiv­ant la pub­li­ca­tion du rap­port, était con­sid­éré comme proche de la gauche, voire de l’extrême-gauche. La méthodolo­gie inter­roge. De la même façon que RSF demande à CNews d’inviter plus de per­son­nes de gauche, pourquoi n’a‑t-elle pas fait écrire son rap­port par un col­lège de per­son­nes d’opinions dif­férentes ? Que Reporters sans fron­tières ne fasse pas de poli­tique, on ne demande qu’à le croire. Sa plainte peut pour­tant être facile­ment instru­men­tal­isée par ceux qui n’aiment pas qu’une pen­sée dif­férente de la leur ait cours et se répande. Le dan­ger est si prég­nant que Marie-Claire Car­rère-Gée, séna­trice LR, pro­pose d’inscrire dans la loi que les médias audio­vi­suels « déter­mi­nent libre­ment leur ligne édi­to­ri­ale et choi­sis­sent libre­ment leurs inter­venants. »

Pluralisme sur le service public ? Chiche !

En réal­ité, on peut regret­ter que l’initiative de Reporters sans fron­tières n’ait pas été aus­si neu­tre qu’elle le pré­tend, car il y a en effet beau­coup à faire con­cer­nant le plu­ral­isme des médias. En s’assurant du respect du plu­ral­isme au sein des chaînes publiques par exem­ple, parce qu’elles sont payées par tous les Français, ou en repen­sant le sys­tème de décompte des per­son­nal­ités poli­tiques. Christophe Deloire le rap­pelle : « On a vu les effets per­vers du sys­tème actuel lors de la dernière cam­pagne prési­den­tielle, où cer­taines chaines régionales n’ont pas cou­vert cer­tains meet­ings car elles étaient dans l’incapacité de rééquili­br­er les temps de parole. Vous avez aus­si l’exemple d’anciens élus qui siphon­nent le temps de parole de leur ancien par­ti. » Reste à espér­er que l’Arcom se détache de ce que l’affaire peut avoir de poli­tique et se con­cen­tre sur la seule chose qui compte : que les Français aient accès à une infor­ma­tion plurielle, où cha­cun puisse trou­ver ce qui lui con­vient. Y com­pris si ces Français veu­lent écouter Pas­cal Praud et Char­lotte d’Ornellas.

Voir aus­si : Infox : RSF, la paille et la poutre