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Presse écrite française et attentats ? Sortez couverts !

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7 novembre 2017

Temps de lecture : 6 minutes
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Presse écrite française et attentats ? Sortez couverts !

Temps de lecture : 6 minutes

La presse écrite française face à l’attentat de New York : les mots absents ? New York et Manhattan ont été frappés par un attentat islamiste et terroriste à la voiture-bélier le 31 octobre 2017. Le bilan de cet attentat perpétré par un immigré ouzbek musulman récemment entré aux États-Unis est d’au moins 8 morts. Comment la presse écrite française a‑t-elle rendu compte de ce nouveau drame juste après l’événement ? L’OJIM a fait le tour des Unes des quotidiens. Où l’on verra que de nombreux mots employés ci-dessus sont soigneusement ou souvent évités dans la presse écrite française.

Dans Le Monde daté du 3 novem­bre, ce nou­v­el atten­tat appa­raît bien en Une, mais de façon périphérique.

Le quo­ti­di­en du soir ne pou­vait pas évo­quer ce crime aupar­a­vant, du fait du 1er novem­bre férié. Les mots de cette Une sont frap­pants : « Après l’attentat à la camion­nette-béli­er qui a tué huit per­son­nes, mar­di 31 octo­bre, sur une piste cyclable de Man­hat­tan, Don­ald Trump et une par­tie de la droite rad­i­cale s’en pren­nent en ter­mes très vio­lents aux failles sup­posées du dis­posi­tif d’immigration améri­cain ». La suite est du même ordre. Les mots qui n’apparaissent pas ? Entre autres : « ter­ror­isme islamiste » ou « reli­gion musul­mane », mais aus­si « prési­dent des États-Unis » au sujet de Mon­sieur Trump.

La Une laisse claire­ment sup­pos­er que l’actuel chef de l’État améri­cain est un proche de la droite rad­i­cale et que l’événement qui vient d’avoir lieu est avant tout un atten­tat à l’encontre de « l’immigration diver­si­fiée », Mon­sieur Trump ne ces­sant de « brandir le thème d’une men­ace extérieure, en prove­nance du Moyen-Ori­ent ». Le choix du mot « thème » éton­nera, si peu de temps après un atten­tat islamiste, tout autant que le focus mis sur une sup­posée ori­en­ta­tion extrême-droitiste d’un prési­dent des États-Unis que Le Monde ne recon­naît pas comme tel. Plus qu’un atten­tat dans les rues de New York, c’est une offen­sive de Don­ald Trump con­tre l’immigration moyen-ori­en­tale qui sem­ble avoir eu lieu le 31 octo­bre. Pas de fake news, c’est cer­tain, mais une Une de cette sorte mérit­erait sans doute la nais­sance d’un « manip­u­lo-dex ».

On retrou­ve la même idée manip­u­la­toire, de façon accen­tuée à la Une de l’ancien jour­nal du par­ti com­mu­niste néo stal­in­ien français, L’Humanité.

Un événe­ment sec­ondaire. Ni islamisme, ni islam, ni tueur musul­man. Pas même d’attentat mais une « attaque meur­trière ». Et des migrants vic­times de Trump qui pour­rait en prof­iter pour men­er sa très méchante politique.

Libéra­tion daté du 2 novem­bre 2017 pour­suit sa cam­pagne de Unes accrocheuses.

Et ne minore pas le dan­ger lié à l’État islamique, « mal­gré ses revers mil­i­taires et la chute annon­cée du cal­i­fat ». Au con­traire, le quo­ti­di­en libéral-lib­er­taire dirigé par Lau­rent Jof­frin con­sacre qua­tre pages en sus de sa Une à ce dan­ger. Qua­tre pages, dont une au sujet de l’attentat de New York Man­hat­tan du 31 octo­bre 2017. Si pour Libéra­tion, le dan­ger immé­di­at qui pèse sur le monde n’est pas Mon­sieur Trump mais bel et bien l’État Islamique, les ter­mes du cha­peau de l’article con­sacré à cet atten­tat ont cepen­dant pu éton­ner : « Au lende­main de l’attaque à la camion­nette qui a tué huit per­son­nes, New York oscil­lait entre l’effroi et la parade cos­tumée d’Halloween. Le sus­pect, un Ouzbek de 29 ans, avait obtenu son titre de séjour grâce à un sys­tème de tirage au sort ». Les mots absents : « ter­ror­isme », « islamisme », « reli­gion musul­mane », « musul­man », « atten­tat ». Entre autres. Comme sou­vent, cette « attaque » a été per­pétrée non par un homme, pas plus par un ter­ror­iste islamiste peut-être musul­man, mais par un véhicule. Camions, voitures et camion­nettes tuent beau­coup depuis quelques années. Dans la presse française. Si l’article emploie le mot « atten­tat » et indique que le sus­pect serait lié à l’État islamique, il insiste aus­si sur le fait que ce même sus­pect serait devenu religieux « sur un coup de tête ». Rien à voir avec l’Islam. Pas d’amalgame, en toile de fond. Libéra­tion, c’est avec finesse.

Pour Le Figaro, il y a bien eu un « atten­tat ». Et Trump « durcit les con­di­tions d’immigration aux États-Unis ». L’accroche de la Une fait claire­ment le lien entre les deux faits.

Le quo­ti­di­en de droite libérale indique tout aus­si claire­ment que le ter­ror­iste a pu per­pétr­er son for­fait du fait de la poli­tique d’immigration menée par les États-Unis. Le Figaro qual­i­fie aus­si cet atten­tat « d’attaque à car­ac­tère islamiste ». Osé, Le Figaro, quand il con­tre­vient ain­si au vocab­u­laire que l’Union Européenne aimerait voir utilis­er quant à ce type de faits. L’islamiste ouzbek en ques­tion ne sem­ble cepen­dant pas plus musul­man que les autres assas­sins islamistes mas­sacrant des inno­cents partout dans le monde. Le mot « islamiste », quand il est employé, sem­ble devenu un mot évi­tant l’utilisation du mot « musulman ».

Comme Le Figaro, Le Parisien est de même un peu plus clair que ses con­frères classés « à gauche ».

New York a bien été vic­time d’un atten­tat « ter­ror­iste ». Cet atten­tat est rap­porté à celui du 11 sep­tem­bre et le mot « résis­tant » est mis en avant, face à la vio­lence ter­ror­iste. Les mots du Parisien sor­tent moins cou­verts que ceux de plusieurs de ses con­frères. Le mot « musul­man » n’est pas util­isé mais le quo­ti­di­en indique que le sus­pect « aurait fréquen­té une mosquée ».

Tel n’est pas le cas des Échos qui, lui aus­si, insiste sur le fait que l’attentat « donne à Trump l’occasion de relancer la polémique sur le con­trôle de l’immigration aux États-Unis ». Pour Les Échos, l’information prin­ci­pale con­cerne plutôt le com­porte­ment de Don­ald Trump devant les événe­ments que ces derniers. Le quo­ti­di­en note cepen­dant que le sus­pect est « musulman ».

Face au ter­ror­isme islamiste mené à l’échelle mon­di­ale par des com­bat­tants musul­mans de l’islam rad­i­cal, la presse écrite française ren­con­tre tou­jours de vraies dif­fi­cultés quant au vocab­u­laire à employ­er, et sem­ble avoir du mal à appel­er un chat un chat et un fana­tique inté­griste musul­man tueur de façon adéquate. Pourquoi ? À l’évidence, les direc­tives de l’Union Européenne quant à la manière de par­ler des ques­tions migra­toires et du ter­ror­isme islamiste s’installent main­tenant dans les salles de rédac­tion. Com­ment une telle presse pour­rait-elle être mieux classée qu’en 33e posi­tion à l’échelle mon­di­ale con­cer­nant sa lib­erté ? Un bon classe­ment pour le pays qui pré­tend être la patrie des droits et lib­ertés de l’Homme ?