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L’Observatoire des sources, reflet direct de l’idéologie Wikipédia

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8 août 2022

Temps de lecture : 8 minutes
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L’Observatoire des sources, reflet direct de l’idéologie Wikipédia

Temps de lecture : 8 minutes

Pre­mière dif­fu­sion le 19 avril 2022

Wikipédia promettait le règne de la foule éclairée, il est en réalité celui de minorités militantes. L’encyclopédie reflète l’activisme subversif de la gauche de la gauche libérale libertaire. Dernier exemple en date : l’Observatoire des sources de la communauté Wikipédia. Ce nouvel outil permet de perpétuer les préjugés dominants et d’excommunier les sources alternatives.

Malgré les formes, un outil de prescription

Ses auteurs l’assurent : l’Observatoire des sources n’est pas un « out­il pre­scrip­tif ». Il n’interdit à per­son­ne l’accès à une source d’information, dis­ent-ils. Pour­tant, le ton de l’Observatoire s’avère par­ti­c­ulière­ment injonc­tif : « Puis-je utilis­er un arti­cle d’@ojim_france comme source fiable ? » ques­tionne-t-il pour la forme avant de répon­dre : « Non, car l’O­jim s’ap­par­ente à un blog d’ex­trême droite sans exper­tise recon­nue. »

L’ODS, un outil pour orienter les esprits

Créé à l’été 2020 par la com­mu­nauté Wikipé­dia, l’Observatoire des sources est formelle­ment un index alphabé­tique de médias. Mais pas n’importe lesquelles : il recense ceux sig­nalés pour leur manque sup­posé de fia­bil­ité par la com­mu­nauté wikipé­di­enne. L’ODS présente un court résumé du média dénon­cé et réper­to­rie la dis­cus­sion ayant amené à ce juge­ment, qui ressem­ble furieuse­ment à une con­damna­tion ou à un acquittement.

Ain­si l’Ojim n’est-il pas le seul média à faire les frais de cet out­il incitatif :

  • Valeurs actuelles: « mag­a­zine mar­qué poli­tique­ment à droite, voire à l’ex­trême droite. Les dis­cus­sions insis­tent quant à la néces­sité de ne l’u­tilis­er qu’en com­plé­ment d’une source sec­ondaire de qual­ité, et de veiller à WP:Proportion.»
  • Breizh info: « faux site d’in­fos. A été ajouté en liste noire locale. »
  • Causeur : « jour­nal en ligne polémique, d’in­spi­ra­tion prin­ci­pale­ment « con­ser­va­trice, sou­verain­iste et répub­li­caine ». Sa fia­bil­ité est con­testée. La dis­cus­sion a abouti à la con­clu­sion qu’il peut être util­isé en com­plé­ment d’une source sec­ondaire de qual­ité (et dans le respect de Wikipédia:Importance disproportionnée). »
  • Aleteia : « site web d’in­for­ma­tion catholique, directe­ment lié à l’Église catholique (…) peut être con­sid­éré comme une source sec­ondaire, orientée. »
  • Con­flits: « La seule dis­cus­sion à son sujet a con­duit à estimer que c’é­tait une source à n’u­tilis­er qu’en com­plé­ment d’une source sec­ondaire de qual­ité et en veil­lant au respect de Wikipé­dia: Impor­tance disproportionnée. »
  • Sud Radio: « radio française se voulant général­iste. Elle a été épinglée à de nom­breuses repris­es comme dif­fu­sant des opin­ions minori­taires, voire de fauss­es infor­ma­tions. Selon la dis­cus­sion, sa fia­bil­ité est donc affaib­lie, et elle ne devrait pas être util­isée seule pour jus­ti­fi­er l’in­tro­duc­tion d’une infor­ma­tion spécifique. »
  • Boule­vard Voltaire: « site d’opinion d’extrême droite… peu fiable. »
  • Rus­sia Today: « chaine de télévi­sion et site financés par l’É­tat russe et assim­ilés à de la pro­pa­gande et/ou désinformation. »

Ain­si les médias dénon­cés se voient-ils, au mieux, relégués en sec­onde zone. Au pire sont-ils ban­nis. Inverse­ment, des médias ana­logues, mais poli­tique­ment diamé­trale­ment opposés, se voient traités avec davan­tage d’indulgence :

  • Acrimed, « Source sec­ondaire d’analyse et de cri­tique des médias, sous forme d’as­so­ci­a­tion, ancrée poli­tique­ment à gauche », est jugé plus fréquentable que l’Ojim : « Son usage est régulière­ment dis­cuté ; dans tous les cas, Wikipédia:Importance dis­pro­por­tion­née s’applique.»
  • Bondy Blog: « média par­tic­i­patif con­sacré aux quartiers sen­si­bles. Il est proche de reven­di­ca­tions com­mu­nau­taristes musul­manes selon cer­tains obser­va­teurs, tan­dis que d’autres sources y voient un média de qual­ité. Peut être util­isé comme source sec­ondaire dans le respect de Wikipédia:Importance disproportionnée. »
  • Têtu : « Source de presse spé­cial­isée, con­sid­érée comme fiable. Les dis­cus­sions por­tent sur l’ap­pli­ca­tion de WP:PROPORTION. »

Voir aus­si : Pour Gilles Kepel, le Bondy Blog est dans la main des Frères musulmans

L’ODS émet ain­si des juge­ments lap­idaires. Sa procé­dure repose en effet sur des témoignages à charge. En clair : l’Observatoire des sources ban­nit de la sphère de l’acceptable, en se fon­dant sur les arti­cles de la presse main­stream. Par exem­ple : le jour­nal­iste Samuel Lau­rent du Monde est ain­si présen­té comme une valeur sûre (sic).

En défini­tive, out­il dis­cret de la com­mu­nauté wiki, l’Observatoire des sources dévoile les tra­vers de l’encyclopédie Wikipédia.

Wikipédia, enjeu civilisationnel

4 mil­lions de per­son­nes cliquent chaque jour sur un con­tenu de Wikipé­dia France. En vingt ans, l’encyclopédie en ligne s’est imposée en tête des résul­tats de recherche, et donc de la fab­rique de l’opinion mon­di­ale. Ni plus ni moins. Con­crète­ment, pour une organ­i­sa­tion ou une per­son­ne, une page Wikipé­dia est cru­ciale : « son impor­tance est peut-être plus grande que celle d’un site web », nous dit un contributeur.

Wikipé­dia se voulait une ency­clopédie par­tic­i­pa­tive. Son principe ? Celui de la sci­ence ouverte: qu’une foule nom­breuse serait plus intel­li­gente qu’une poignée d’experts. Au dia­ble donc la hiérar­chie et le con­trôle édi­to­r­i­al des ency­clopédies, l’heure était à l’égalité et à l’ouverture. Tout le monde pou­vait par­ticiper. Et qui dit plus de rédac­teurs, dit plus de relecteurs. Le sys­tème devait être infail­li­ble. Une main invis­i­ble devait action­ner la libre cir­cu­la­tion des bonnes volon­tés et des infor­ma­tions pour attein­dre le savoir uni­versel. Voilà pour l’inspiration libérale.

Reste que la fia­bil­ité de Wikipé­dia a longtemps fait débat : en 2005, l’équipe de l’encyclopédie Bri­tan­ni­ca taclait son cousin en ligne, esti­mant que la qual­ité des arti­cles était celle atten­due d’un élève de lycée. Bien sûr, 17 ans plus tard, les entrées se sont affinées, mécanique par­tic­i­pa­tive aidant. Les « critères d’admissibilité », l’effort de sources ont porté leurs fruits.

Sur Wikipédia, les contributeurs sont inégaux

Mais aus­si a‑t-il bien fal­lu réin­tro­duire une hiérar­chie pour ordon­ner la men­ace de chaos. Désor­mais, l’ancienneté et le nom­bre de mod­i­fi­ca­tions assoient la légitim­ité par­mi les con­tribu­teurs. « Ils pré­ten­dent que le mécan­isme d’argumentation est objec­tif, mais il n’y a pas d’égalité car cer­tains con­tribu­teurs sont plus légitimes » dénonce un con­tribu­teur avec lequel nous nous sommes entretenus. Et cette posi­tion de force s’avère un atout con­sid­érable quand une page wiki vire au pugi­lat poli­tique, pour tranch­er dans un sens ou dans un autre. Et plutôt celui de la gauche libérale libertaire.

« Je pense que la neu­tral­ité est impos­si­ble… La com­mu­nauté de con­tribu­teurs a ses biais », nous explique un autre con­tribu­teur aguer­ri. Notre inter­locu­teur admet d’ailleurs qu’« une lib­erté totale » règne sur « les pages de boxe », par exemple.

Wikipédia, vulnérable aux offensives informationnelles…

« Wikipé­dia est un ter­rain idéal pour le lob­by­ing, l’activisme et le noy­au­tage », rel­e­vait d’ailleurs per­tinem­ment, dès 2009, le philosophe Marc Fog­gia dans la revue Études. Les lob­bies d’une entre­prise ou les par­ti­sans d’une per­son­nal­ité poli­tique pour­ront se bat­tre pour le con­trôle de l’information et d’une réputation.

« Les ency­clopédies tra­di­tion­nelles étaient mieux armées face au dan­ger que présen­tent les groupes de pres­sion ou d’intérêt », note encore Marc Fog­gia. En choi­sis­sant un rédac­teur impar­tial, le rédac­teur en chef pou­vait en effet prévenir toute mal­hon­nêteté intel­lectuelle. Sur Wikipé­dia, mal­gré la trans­parence affichée, rares sont les lecteurs qui iront se ren­seign­er sur les auteurs pour appréci­er leurs pen­chants. A con­trario, les con­tribu­teurs les plus mil­i­tants n’en man­queront pas une, rece­vant une alerte en cas de mod­i­fi­ca­tion d’une page poli­tique­ment sensible.

Et dans le match des mod­i­fi­ca­tions, l’inégalité se ren­force plus encore : « on a besoin de sources, mais les sources sont lim­itées ! » nous rap­pelle l’un des con­tribu­teurs. Car elles provi­en­nent prin­ci­pale­ment de la presse, qui ne penche guère à droite de l’échiquier politique.

… qui viennent de la gauche libérale libertaire

Pour con­clure un con­flit idéologique, l’encyclopédie peut quelque­fois pren­dre une mesure rad­i­cale : blo­quer une page ou ban­nir des con­tribu­teurs. En févri­er 2022, sept con­tribu­teurs étaient ban­nis, accusés d’influencer les con­tenus liés à Éric Zem­mour. Par­mi eux, « Cheep », classé 64e et total­isant plus de 165.000 con­tri­bu­tions en quinze ans. Prise sous cou­vert de lutte con­tre l’activisme, cette déci­sion visait spé­ci­fique­ment la droite. Trahissant ain­si la neu­tral­ité dis­parue de Wikipédia.

« Je ne crois plus le site que j’ai créé », lâchait en 2021 à Unherd l’Américain Lar­ry Sanger. Sans doute est-ce là la dénon­ci­a­tion la plus puis­sante des biais de l’encyclopédie en ligne. Incon­nu ou presque en France, Sanger con­tribua à fonder Wikipé­dia en 2001 : il en fut le rédac­teur en chef avant de le quit­ter en 2002. « La gauche a pris le pou­voir chez Wikipé­dia », ajoutait-il dans les colonnes du Tele­graph.

Et l’intéressé d’enfoncer dans un doc­u­men­taire d’Arte : « Un cer­tain nom­bre d’a­n­ar­chistes d’ex­trême gauche étaient embal­lés par l’idée qu’une com­mu­nauté en ligne puisse dévelop­per un pro­jet génial sans aucune autorité cen­tral­isée. Ils étaient per­suadés que mon rôle et celui de nom­breux uni­ver­si­taires con­sti­tu­aient un problème ». 

« On ne peut pas du tout citer le Dai­ly Mail » pré­ci­sait-il. « On ne peut pas non plus citer Fox News sur des sujets soci­aux ou poli­tiques. […] Cela sig­ni­fie que si une polémique n’apparaît pas dans les médias grand pub­lic de cen­tre gauche, elle n’apparaîtra pas dans Wikipé­dia », regret­tait Sanger dans Unherd. Un para­doxe, pour une ressource trop sou­vent con­sid­érée « comme un ouvrage de référence impar­tial ».

Une ten­dance à écarter les sources à laque­lle le pseu­do Obser­va­toire des sources non seule­ment n’échappe pas mais qu’il entre­tient. Un Obser­va­toire des sources dont la bous­sole indique le sud ; en suiv­ant une direc­tion con­traire on a moins de chances de se tromper, avis aux explorateurs…

Voir aus­si : Wikipé­dia, une ency­clopédie très médi­a­tique avec un par­ti-pris libéral libertaire