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Libération et la mosquée : chronique d’une journée hors sol

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5 novembre 2019

Temps de lecture : 7 minutes
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Libération et la mosquée : chronique d’une journée hors sol

Temps de lecture : 7 minutes

Quotidien du Français libéral libertaire moyen, Libération ne surprend plus. L’actuel devenir du journal, de plus en plus décalé de la réalité, de plus en plus hors sol, ne peut qu’interroger sur ce qui est pensé dans les milieux auquel il s’adresse. C’était le cas le mercredi 30 octobre 2019.

Dans la masse de l’actualité de ce mer­cre­di 30 octo­bre 2019 (le Brex­it, le Chili, l’Ethiopie, la Libye, le nucléaire, les retraites, l’Iran…), Libéra­tion choisit à juste titre de faire sa Une sur l’attaque menée con­tre une mosquée à Bay­onne par un indi­vidu de 84 ans vite iden­ti­fié. Vu la manière dont l’islam s’est imposé quo­ti­di­en­nement dans le débat pub­lic, voile aidant, le choix est judi­cieux. On imag­ine l’information jouis­sive du côté de Libé : à la « pointe » de la lutte con­tre « l’islamophobie », depuis des quartiers parisiens où l’on ne croise guère de femmes voilées, Libéra­tion ne cesse de répéter que « dis­crim­in­er » les femmes qui choisir­aient de porter le voile musul­man serait un fac­teur de dan­ger pour la société française, ce que l’islam ne serait pas. Bay­onne tombe à pic.

Ce ton est aus­si celui du quo­ti­di­en en ce mer­cre­di 30 octobre.

Une sec­onde « actu­al­ité », la dernière page du jour­nal con­sacrée au « retour sur scène » de l’actrice porno Niki­ta Bel­luc­ci, entière­ment dévoilée (« à décou­vert »), venant ponctuer le numéro du quo­ti­di­en, mon­trant com­bi­en Jof­frin et ses col­lègues sont hors sol.

La Une

Sobre. En rouge, « attaque de Bay­onne » (attaque, atten­tat, attaque… la dis­cus­sion a sans doute été ser­rée au sein de la rédac­tion). En gros car­ac­tères noirs : « Cli­mat de haine ». En petit car­ac­tère noirs : « L’attaque d’une mosquée par un retraité d’extrême droite survient au milieu d’un débat nation­al ten­du et sou­vent dirigé con­tre les musul­mans ».

L’angle de l’analyse est don­né : l’attaque con­tre cette mosquée serait directe­ment liée au cli­mat de haine ali­men­té par une « extrême droite » (qu’est-ce ?, demande-t-on sans cesse à des médias con­venus qui sem­blent penser que définir l’extrême droite est en France une évi­dence) visant les musul­mans à tra­vers sa cri­tique du port du voile. Les noms ne sont pas indiqués en Une mais cha­cun en recon­naî­tra de nom­breux, sur un spec­tre plutôt large — ce que le dessin de Plan­tu dans Le Monde daté du même jour mon­trait en moins de traits (un homme par­lant au micro, un musul­man dans une bulle de bande dess­inée ; l’homme de la bulle, ensuite, pris pour cible).

L’éditorial de Joffrin ou la rhétorique uniformisée

Lau­rent Jof­frin dit tou­jours la même chose au sujet de l’islam en France : il n’y a pas de souci avec la reli­gion musul­mane mais unique­ment avec les « islam­o­phobes », « xéno­phobes » etc, autrement dit tout ce qu’il appelle « l’extrême droite », c’est-à-dire dans son logi­ciel « la droite ». Car tout ce qui n’est pas de gauche, c’est le Mal. Lau­rent Jof­frin pour­rait aller voir le film Alice et le Maire et écouter atten­tive­ment le dernier dis­cours écrit par Alice pour le maire Patrice Luc­chi­ni. Il apprendrait alors beau­coup sur la respon­s­abil­ité de l’idéologie poli­tique à laque­lle il appar­tient dans la sit­u­a­tion cat­a­strophique actuelle.

Complotistes assassins !

Que dit l’éditorialiste en ce 30 octo­bre, sous le titre « fan­tasme », lende­main d’attaque de mosquée ? « Cette fois, le com­plo­tisme a fail­li tuer ». Un com­plo­tisme « le plus sou­vent asso­cié aux idéolo­gies extrémistes, de droite notam­ment ». Le lecteur ne peut être qu’étonné : Lau­rent Jof­frin ignore-t-il réelle­ment à quel point les musul­mans vivant en France sont imprégnés de com­plo­tisme, y com­pris par exem­ple au sujet de la sec­onde guerre mon­di­ale ? Il y a dans l’univers de pen­sée quo­ti­di­en des quartiers musul­mans en France tout ce que Jof­frin dénonce sous le voca­ble d’extrême droite mais Jof­frin ne le sait pas. Il voy­age peu, ou alors très loin de la France. Pire : ce com­plo­tisme for­cé­ment d’extrême droite se généralis­erait. Pourquoi ? Mais… « Il faut bien le dire, le RN de Marine Le Pen n’échappe pas à cette mal­adie de l’esprit ». Une sorte de… sida men­tal, quelque chose de cet ordre ? Ce par­ti poli­tique serait, selon Jof­frin, respon­s­able du « cli­mat de haine » car il « sous-entendrait » que l’immigrationisme serait « organ­isé » en sous-main et « volon­taire­ment ». L’éditorialiste Jof­frin voit des com­plots partout.

Complot ? Vous avez dit complot ?

Il n’y a pas de com­plot : Angela Merkel le dis­ait claire­ment et ouverte­ment en 2015, l’Europe doit accueil­lir plusieurs mil­lions de migrants car sa pop­u­la­tion vieil­lit. Et Macron renchéris­sait à ce pro­pos il y a un an. Pas de com­plot imag­iné par le RN, sinon dans l’imaginaire com­plo­tiste anti-droite de Jof­frin, mais des faits : les gou­verne­ments de l’UE veu­lent une poli­tique migra­toire per­me­t­tant, de leur point de vue, de raje­u­nir la pop­u­la­tion du continent.

Mais ce n’est pas la ques­tion pour Jof­frin. Il n’y a qu’une ques­tion : celle de la respon­s­abil­ité de toute vio­lence liée à l’islam imputée au RN et « à une par­tie des polémistes d’extrême droite qui par­lent de grand rem­place­ment ». C’est cela, pense Jof­frin, qui a con­duit Breivik à per­pétr­er son mas­sacre en Suède, tout comme à l’attaque de Bay­onne ou à l’attentat meur­tri­er de Nou­velle-Zélande. Et tout cela vient des thès­es de l’écrivain Renaud Camus. Le monde « non com­plo­tiste » de Jof­frin est sim­ple comme un monde vu par un com­plo­tiste : une seule réal­ité (cachée), celle de « l’islamophobie », avec une seule cause agis­sante. Et surtout, là est le fonde­ment du com­plo­tisme : cette réal­ité est celle que ne voient que des élus (comme Jof­frin, pour qui ceux qui lisent Camus sont des « esprits faibles »).

Jof­frin n’a oublié qu’un élé­ment dans son édi­to­r­i­al : la reli­gion musul­mane a tué plus de 260 per­son­nes en France depuis 2015. Et plusieurs cen­taines de mil­liers dans le monde. Zem­mour, Camus, le RN et autres sont-ils vrai­ment la cause de cela ? 

Joffrin partout, islamisme nulle part !

Les pages « événe­ments » de Libéra­tion, ouvertes par l’édito de Jof­frin, se pro­lon­gent par deux articles :

  • Une rela­tion des faits de Bay­onne vus par une jour­nal­iste du quo­ti­di­en, avec comme titre : « Bay­onne. Le racisme tue ». Le texte relate les événe­ments, insis­tant sur le par­cours de l’agresseur, son anci­enne appar­te­nance au RN, son goût pour Zem­mour, son passé mil­i­taire puis de mem­bre de l’éducation nationale et ses ennuis psychiatriques.
  • Le deux­ième arti­cle est signé du « spé­cial­iste » de « l’extrême droite » au sein de Libéra­tion, Dominique Alber­ti­ni. Il est titré : « Padamal­gam, nou­veau refrain du RN », avec comme accroche : « Géné par le passé fron­tiste du sus­pect de l’attaque de Bay­onne, can­di­dat en 2015 aux can­tonales, le par­ti appelle à refuser tout amal­game. Sans crain­dre les con­tra­dic­tions ». « Pas d’amalgame », c’est l’expression qui est dans toutes les bouch­es médi­a­tiques dès qu’un prob­lème sur­git au sujet de l’islam ou de l’immigration (c’est pour cela que les médias par­lent de « jeunes » quand il y a des inci­vil­ités ou des agres­sions alors qu’elles sont mas­sive­ment le pro­duit de jeunes issus de l’immigration, tout comme le traf­ic de drogues aux abor­ds des lycées). Libéra­tion en fait son édi­to­r­i­al à chaque occa­sion. Du coup, le quo­ti­di­en est gêné : il lui faut expli­quer qu’amalgamer le sus­pect de l’attaque avec le RN, les dis­cours de Zem­mour, les écrits de Camus, les mag­a­zines ouverte­ment non libéraux lib­er­taires, les sites d’analyse comme l’OJIM, ne serait pas un amal­game. La démon­stra­tion est à la peine, sauf à être à l’avance convaincu.

Nikita est là

Libéra­tion ne voit donc pas de prob­lème avec l’islam en France, sauf pour les « esprits faibles » (plus de 70 % des Français tout de même selon le sondage IFOP/JDD paru le dimanche 27 octo­bre 2019 — l’observateur ne peut que se deman­der quelle idéolo­gie depuis longtemps dom­i­nante peut être à l’origine de tant de faib­lesse col­lec­tive d’esprit). La rédac­tion ne voit pas plus l’incongruité qu’il y a à pub­li­er une Une sur l’attaque de Bay­onne et à refer­mer le jour­nal sur le corps nu de l’actrice porno Niki­ta Bel­luc­ci qui a « décidé de repren­dre sa car­rière » et qui explique pourquoi sur une pleine page, avec force détails sur ses expériences.

Lau­rent Jof­frin pense-t-il sérieuse­ment que dans une France à venir où la reli­gion musul­mane, mod­érée à ses yeux, domin­erait, une telle page serait encore pub­li­able ? Si la réponse est oui, alors en effet Libéra­tion se regarde le nom­bril.

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