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Les rechutes du docteur Merchet

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10 mai 2019

Temps de lecture : 7 minutes
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Les rechutes du docteur Merchet

Temps de lecture : 7 minutes

Docteur Jean-Do et mister Merchet… Les ambiguïtés de l’atypique parcours journalistique de Jean-Dominique Merchet finissent-elles par ressurgir ? C’est ce que laisse penser le traitement, par son blog Secret Défense, de l’affaire dite du général Loustaunau-Lacau, figure emblématique de la Résistance dont le nom avait été donné en 2017 à une promotion de l’École spéciale militaire (ESM) de Saint-Cyr.

Merchet alias Jean-Do

Doc­teur Jean-Do, car nom­bre de mil­i­taires avaient fini par lui attribuer le diminu­tif affec­tif de « Jean-Do », quand ils ne lui préféraient pas le surnom de « Pacha », cette appel­la­tion don­née, dans le jar­gon de « la Royale », aux com­man­dant des navires de guerre. Le Pacha du blog Secret Défense, ini­tiale­ment domi­cil­ié au jour­nal Libéra­tion avant de migr­er à Mar­i­anne puis à L’Opinion, avait en-effet pan­sé quelques plaies de l’institution mil­i­taire en tra­ver­sant cer­taines tem­pêtes médi­a­tiques à ses côtés, alors qu’elle sor­tait tout juste d’une pos­ture de « grande muette » que, bon gré mal gré, elle n’avait pas quit­té depuis un siè­cle et demi. Les mil­i­taires gar­dent au crédit de Jean-Do quelques faits de plume accom­plis à leur prof­it, comme les pre­mières pages de son ouvrage Mourir pour l’Afghanistan, qui com­porte sans doute un des plus beaux hom­mages ren­dus au sac­ri­fice de la sec­tion de para­chutistes du 8ème RPI­Ma tombée le 18 août 2008 dans l’embuscade d’Uzbin, cette val­lée du dis­trict afghan de Surobi.

Non moins méri­tantes, parce qu’il lui fal­lut alors s’exposer au risque d’affronter sa cor­po­ra­tion pro­fes­sion­nelle, furent ses pris­es de posi­tion en faveur de l’armée lors des polémiques qui opposèrent cette dernière à une par­tie du milieu jour­nal­is­tique, au sujet des con­di­tions de la cap­ture puis du traite­ment médi­a­tique de la libéra­tion des jour­nal­istes Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, otages en Afghanistan. Aus­si, ces dernières années, le Pacha avait-il su s’imposer comme un inter­locu­teur et un relais priv­ilégié, car finale­ment bien­veil­lant, de milieux de Défense d’instinct plutôt méfi­ants à l’égard d’une cor­po­ra­tion jour­nal­is­tique qu’ils avaient longtemps con­sid­érée comme hostile.

De Libération à L’Opinion

Les racines de mis­ter Merchet, que l’activité récente du blog Secret Défense avaient fini par faire oubli­er, sont beau­coup plus loin­taines. Ne rejoignant le jour­nal Libéra­tion qu’au début des années 90, où il devient rapi­de­ment respon­s­able des ques­tions de défense, Merchet appar­tient à la deux­ième généra­tion de ce quo­ti­di­en lancé en 1973 par Jean-Paul Sartre, Jean-Claude Vernier et Serge July. Si la ligne ant­i­cap­i­tal­iste ini­tiale, faisant la pro­mo­tion de la démoc­ra­tie directe et refu­sant la pub­lic­ité comme les action­naires extérieurs, est rapi­de­ment aban­don­née avec le départ du tan­dem Sartre-Vernier et la reprise en main du jour­nal par Serge July, cer­taines per­ma­nences s’accommodent de l’évolution libérale-lib­er­taire du jour­nal. Au cours des 20 années qu’il a passées à la rédac­tion de Libéra­tion, avant de rejoin­dre Mar­i­anne en 2010 puis L’Opinion en 2013, Merchet y a donc côtoyé les his­toriques du jour­nal. Ces derniers, pen­dant les années 70, n’avaient pas seule­ment salué l’entrée des Khmers rouges à Phnom-Penh ou par­ticipé à l’éloge des milieux pédophiles, ils avaient égale­ment servi de caisse de réson­nance médi­a­tique, jusqu’en 1978, aux « comités de sol­dats ». Sous une apparence sym­pa­thique de reven­di­ca­tions de bil­lets de train gra­tu­its ou d’amélioration des sol­des, ce mou­ve­ment d’appelés, de l’ordre de quelques poignées de con­scrits, par­fois un seul sol­dat s’autoproclamant « comité » dans quelques rég­i­ments, n’en était pas moins une entre­prise visant à désta­bilis­er l’armée. Une cam­pagne de déla­tion, sorte de #Bal­ance­Ton­Supérieur ou #Bal­anceTonOf­fici­er avant l’heure, fut alors accom­pa­g­née par la rédac­tion de Serge July, qui ne fut pas trop regar­dante sur le car­ac­tère diffam­a­toire d’accusations relayées sans véri­fi­ca­tion, à une époque où l’armée, méri­tant encore pleine­ment son surnom de « grande muette », ne s’était pas encore appro­priée les out­ils de com­mu­ni­ca­tion néces­saires pour résis­ter à ce type de cam­pagne d’intoxication. Est-ce au con­tact des his­toriques de Libéra­tion qui accom­pa­g­nèrent la pro­mo­tion médi­a­tique des comités de sol­dat que Merchet, quelques années plus tard, conçut l’idée de créer son blog Secret défense, dont une des car­ac­téris­tiques était d’offrir la pos­si­bil­ité à des mil­i­taires d’intervenir et de témoign­er publique­ment sous la pro­tec­tion numérique de l’usage de pseu­do­nymes ? Si tel fut le des­sein pre­mier de mis­ter Merchet, le change­ment de par­a­digme mil­i­taire auquel ce pro­jet fut con­fron­té, celui d’une armée dev­enue pro­fes­sion­nelle et ouverte à l’idée de s’essayer à l’exercice de la com­mu­ni­ca­tion, allait vite créer les con­di­tions de la nais­sance du doc­teur Jean-Do. Rapi­de­ment, la majorité des inter­venants sur ce blog fut en-effet celle de défenseurs, et non de détracteurs, de l’institution mil­i­taire et de ses acteurs. Le temps du mono­pole de la parole con­fisqué par une poignée de con­scrits insoumis était défini­tive­ment révolu… Avec une part de sincérité qui ne doit pas être niée, le doc­teur Jean-Do s’était finale­ment bien accom­modé des effets de ce change­ment de par­a­digme, et avait même fini par y trou­ver une place con­fort­able, sinon un priv­ilège de rente.

Retour de vieilles habitudes ?

Mais des cir­con­stances récentes ont fait ressur­gir mis­ter Merchet, peut-être mal­gré lui. La simil­i­tude avec le tableau offert par ses idéaux de jeunesse était peut-être trop forte pour qu’il puisse résis­ter à cette ten­ta­tion. Ce ne fut toute­fois pas à un comité de sol­dats mais plutôt à un comité de civils que Merchet offrit une caisse de réso­nance. Se sen­tant pouss­er une âme de résis­tants en herbe, et voy­ant sans doute la pos­si­bil­ité de la met­tre à l’épreuve à moin­dres frais, deux per­son­nels civils du Ser­vice his­torique de la Défense (SHD), Jean de Préneuf et Claire Miot, s’investirent dans le rôle de lanceurs d’alerte, dans des con­di­tions suff­isam­ment déloyales pour que leur hiérar­chie cherche à les punir pour ce qui apparut rapi­de­ment, aux yeux de leurs pairs, comme une félonie. Ils s’efforcèrent donc de prévenir qui voulait les enten­dre, dans les milieux poli­tiques, médi­a­tiques, ou auprès de leurs col­lègues his­to­riens extérieurs au SHD, qu’au moment où notre prési­dent entrait en croisade con­tre le nation­al­isme en dres­sant l’éloge du paci­fisme et du rap­proche­ment fran­co-alle­mand, une pro­mo­tion de Saint-Cyr por­tait le nom du général Lous­tau­nau-Lacau qui, comme l’écrasante majorité des Résis­tants de la toute pre­mière heure dont il fai­sait par­tie, avait eu des sym­pa­thies et des con­vic­tions nation­al­istes et d’extrême-droite, avec tout ce que cela pou­vait représen­ter, avant-guerre.

Au moment où le chef d’État-Major de l’armée de Terre, cédant sous la pres­sion des cir­con­stances, se lançait dans une com­mu­ni­ca­tion mal­adroite annonçant la volon­té du min­istère des armées de débap­tis­er la pro­mo­tion qui avait reçu le nom de ce héros de la Résis­tance, Merchet com­mit sur son blog l’interview assas­sin d’une his­to­ri­enne mil­i­tante, Johan­na Barasz, déléguée adjointe à la délé­ga­tion inter­min­istérielle à la lutte con­tre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH). Cette dernière, car­ac­térisée par une con­cep­tion suff­isam­ment baroque du devoir de réserve pour ani­mer des comptes à son nom, sur les réseaux soci­aux, où elle relaye à la fois les com­mu­ni­ca­tions de la DILCRAH et des appels à la haine con­tre les per­son­nal­ités poli­tiques ou publiques dont elle ne partage pas les opin­ions, n’eût aucune retenue pour injuri­er la mémoire du général Lous­tau­nau-Lacau, dans les colonnes du blog de Merchet, sans avoir un seul argu­ment his­torique sérieux à faire val­oir à l’appui de ses pro­pos insultants.

Merchet se fai­sait ain­si la caisse de réso­nance de milieux poli­tiques mil­i­tants ayant vis­i­ble­ment beau­coup moins de sym­pa­thie intel­lectuelle pour les Résis­tants nation­al­istes de la pre­mière que pour les col­lab­o­ra­tionnistes large­ment issus, en 40, des milieux paci­fistes de gauche et d’extrême-gauche. Comme devait le soulign­er sur ces entre­faites le pre­mière pro­mo­tion de l’Institut des sci­ences sociales, économiques et poli­tiques (ISSEP), dans une tri­bune pub­liée dans Valeurs actuelles pour annon­cer qu’elle repre­nait le nom de Lous­tau­nau-Lacau comme par­rain de pro­mo­tion. Les pou­voirs publics s’étaient en-effet mon­trés beau­coup moins regar­dants sur le nom de pro­mo­tion don­né, la même année à la pro­mo­tion de l’ENA dont la direc­trice était alors Nathalie Loiseau : Louise Weiss, une mil­i­tante fémin­iste, paci­fiste, favor­able, avant-guerre, aux idées de gauche et au rap­proche­ment fran­co-alle­mand, avant de finir la sec­onde guerre, en 1944, à Sig­marin­gen, aux côtés du dernier car­ré des col­lab­o­ra­tionnistes français.

Sans savoir, dans ce con­texte de rechute idéologique, qui va l’emporter, du doc­teur Jean-Do ou de mis­ter Merchet, voilà en tout cas un sévère coup de canif dans l’idylle que le temps avait fini par nouer entre les armées et le Pacha du blog Secret Défense, qui devrait laiss­er quelques cica­tri­ces durables, notam­ment auprès de quelques pro­mo­tions de jeunes officiers.