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Le Média pour Tous : un nouveau format sur la toile

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13 mai 2020

Temps de lecture : 8 minutes
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Le Média pour Tous : un nouveau format sur la toile

Temps de lecture : 8 minutes

Si on parle de crise des médias en général, les nouveaux formats prolifèrent : mooks, podcasts audio, abonnements croisés comme dans le Club de la presse, vidéos favorisant les longs reportages etc. Nous avons rencontré Vincent Lapierre, le fondateur d’un “relativement” nouveau venu, Le Média pour Tous.

Vincent Lapierre, quelle est la genèse du Média pour Tous ?

Le Média pour Tous est né en juil­let 2018, de la volon­té — la mienne et celle de quelques amis — de bâtir un média alter­natif de ter­rain en mesure de présen­ter les événe­ments sous un angle dif­férent de celui des médias de masse. Il faut savoir que ces grands médias ont une dom­i­na­tion qua­si­ment sans partage sur la pro­duc­tion de reportages audio-visuels, tout sim­ple­ment car ils étaient jusque-là les seuls à avoir les fonds et les com­pé­tences néces­saires pour demeur­er les maîtres dans ce domaine. C’é­tait jusqu’à encore récem­ment leur chas­se-gardée. Nous souhaitons remet­tre en cause ce mono­pole, avec notre style et en prenant en compte une don­née fon­da­men­tale qui est la puis­sance des réseaux sociaux.

Au fond, nous pou­vons livr­er bataille car, con­traire­ment à il y a à peine 15 ans, les avancées tech­nologiques nous le per­me­t­tent : le matériel d’en­reg­istrement vidéo et audio de haute qual­ité, bien que cher, est devenu plus acces­si­ble, et Inter­net, grâce aux réseaux soci­aux, per­met une dif­fu­sion mas­sive de l’in­for­ma­tion. La con­jonc­tion de ces deux fac­teurs fait que nous enga­geons ce com­bat qui nous sem­ble fon­da­men­tal. Le peu­ple français doit impéra­tive­ment avoir à sa dis­po­si­tion une plu­ral­ité de points de vues provenant directe­ment du ter­rain où se pro­duisent les événe­ments, afin de pou­voir les observ­er et les analyser sous un autre angle que celui des médias financés par le trip­tyque milliardaires/pubs/subventions : c’est la rai­son d’être du Média pour Tous.

Quelle est l’originalité de votre média ?

Je ne sais pas si on peut par­ler “d’o­rig­i­nal­ité” car en matière de média beau­coup de mod­èles exis­tent déjà, mais ce à quoi nous tenons tout par­ti­c­ulière­ment, c’est notre totale indépen­dance à l’é­gard des puis­sances d’ar­gent. Per­son­ne ne nous dicte notre ligne, per­son­ne ne peut nous empêch­er de traiter tel ou tel sujet, ou sim­ple­ment nous inter­dire de dire ce que l’on pense ou pos­er les ques­tions que l’on veut ! À ce pro­pos, nous assumons totale­ment notre sub­jec­tiv­ité, nous par­lons depuis un point de vue qui est clair : celui du peu­ple français.

Per­son­nelle­ment je n’ai, ni quiconque dans mon équipe, aucun lien, aucune con­nivence avec le gou­verne­ment, ou avec le petit milieu parisien ou la soi-dis­ant “élite” : nous venons tous des entrailles du peu­ple français. Et nous voulons à tra­vers nos reportages défendre ses intérêts, dénon­cer les abus de pou­voir à son encon­tre et, si pos­si­ble, aider à unir les gens. Alert­er est, je le crois, l’essence même du jour­nal­isme. Et unir est le rôle pre­mier d’un média, dont le nom même vient du latin medi­um : le lien. Je crois que ces deux notions, alert­er et unir, ont été aban­don­nées par une majorité de jour­nal­istes en France, or la nature ayant hor­reur du vide, nous voilà !

Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confronté ?

La plus grande dif­fi­culté que nous ren­con­trons découle juste­ment de ce qui pour moi est notre prin­ci­pale qual­ité : nous sommes totale­ment en dehors des sen­tiers bat­tus, nous ne sommes dans aucun réseau de pou­voir, par con­séquent nous n’avons pas un accès facile à cer­taines infor­ma­tions, ni à cer­tains ter­rains. Il sera par exem­ple très dif­fi­cile pour nous de faire un reportage en immer­sion au sein des forces de police, par exem­ple, ou par­mi les pom­piers ou dans un hôpi­tal : ces insti­tu­tions n’ou­vrent leur porte qu’à des médias du sys­tème. Nous aurons égale­ment un accès dif­fi­cile aux “spé­cial­istes”, aux “experts”, qui bien sou­vent réser­vent leurs inter­ven­tions aux “grands médias”.

C’est pourquoi notre ter­rain priv­ilégié est la rue et nos inter­locu­teurs prin­ci­paux les Français du quo­ti­di­en, et nous nous en accom­mod­ons d’ailleurs très bien ! Par con­tre, il est intéres­sant de not­er que dans la rue, par­mi ces Français-là, nous sommes “comme des pois­sons dans l’eau” quand les grands médias, eux, éprou­vent de plus en plus de dif­fi­cultés : l’épopée des Gilets Jaunes en a été la démon­stra­tion fla­grante. C’est un peu comme si la lutte des class­es s’é­tait portée jusque dans la bataille médi­a­tique et que nous représen­tions une cer­taine frange de la pop­u­la­tion : la France d’en bas, la majorité silen­cieuse et laborieuse qui subit la pro­pa­gande médi­a­tique matin, midi et soir. Voilà peut-être l’une des clés de com­préhen­sion du dynamisme de notre pro­jet : les médias du sys­tème sont devenus de telles car­i­ca­tures d’eux-mêmes par leur ser­vil­ité à l’é­gard du gou­verne­ment (je pense à l’élec­tion de Macron et ses relais évi­dents dans la presse écrite et télévi­suelle) et des quelques mil­liar­daires qui les pos­sè­dent, qu’ils ont ouvert un véri­ta­ble boule­vard aux médias alter­nat­ifs. Les gens atten­dent autre chose. Nous ne sommes que le fruit de ces aspi­ra­tions et donc, in fine, des lim­ites des canaux médi­a­tiques historiques.

Quel est votre modèle économique ? Comment s’abonner ?

Notre mod­èle économique se base unique­ment sur le finance­ment par­tic­i­patif : cha­cun peut con­tribuer, à hau­teur de ses moyens et à par­tir de 5€ par mois, au développe­ment de notre média en se ren­dant sur la page dédiée de notre site. La procé­dure est très sim­ple et d’ailleurs plusieurs mil­liers de con­tribu­teurs (que je remer­cie chaude­ment ici !) per­me­t­tent déjà à 19 per­son­nes (19 !) d’être rémunérées (pas toutes à temps plein, bien sûr) pour les tâch­es qu’elles accom­plis­sent au sein du Média pour Tous.

Sachez par ailleurs que nous tenons absol­u­ment à ce que ceux qui tra­vail­lent avec nous soient payés décem­ment et à l’heure. C’est quelque chose dont on ne par­le pas assez mais le milieu des médias est un sale milieu où règne la pré­car­ité : très sou­vent, les grandes chaînes font sous-traiter la pro­duc­tion de leurs con­tenus à des boites sans ver­gognes, qui par­fois elles-mêmes sous-trait­ent à d’autres struc­tures ! Au final, le gars qui tient la caméra ou le micro a un con­trat pré­caire et est payé à coup de lance-pierre tous les 36 du mois. Nous souhaitons incar­n­er autre chose, y com­pris en ce domaine : être très rigoureux dans le paiement et, bien que n’é­tant pas rich­es (nous sommes des nains en com­para­isons des mil­liards qui afflu­ent dans les caiss­es des grands médias, y com­pris des médias “indépen­dants” comme Medi­a­part dont les revenus se chiffrent en mil­lions d’eu­ros), nous tenons à pay­er décem­ment notre équipe. Cela me sem­ble être l’év­i­dence lorsque l’on pré­tend incar­n­er une alter­na­tive au sys­tème. Mais je me suis ren­du compte, avec le par­cours qui est le mien, que sur ce point comme sur d’autres, les escrocs sont aus­si bien du côté du sys­tème que de celui des “anti-sys­tème” !

Quels sont vos projets ?

Nous dévelop­pons plusieurs for­mats. Le con­fine­ment ayant mod­i­fié le champ des pos­si­bles, cela nous a obligé à “nous réin­ven­ter” comme dirait Macron. Donc nous allons don­ner une plus grande place aux émis­sions en plateau dans notre hum­ble “grille de pro­grammes”. Nous avons acquis la tech­nique avec les tour­nages de l’émis­sion Eurê­ka — qui est une franche réus­site — et nous comp­tons met­tre à prof­it cette expéri­ence. Je ne peux pas en dire plus pour le moment mais sachez que nous sommes en mou­ve­ment, nous réfléchissons en per­ma­nence à com­ment faire mieux que ce que nous faisons déjà.

Par ailleurs, et c’est notre grand défi du moment, nous comp­tons nous aven­tur­er sur les rivages promet­teurs du doc­u­men­taire plus pointu sur un sujet pré­cis. Je suis per­son­nelle­ment un ama­teur de doc­u­men­taires (j’aime d’ailleurs beau­coup Élise Lucet et ses doc­u­men­taires que je trou­ve très bons et sou­vent courageux) et je souhaite vrai­ment que nous allions dans cette direc­tion… Le prob­lème est que ce for­mat est très long et fas­ti­dieux à men­er jusqu’à son terme ! Élise Lucet racon­tait dans une inter­view qu’elle a autour d’elle des équipes de plusieurs dizaines de per­son­nes à temps plein sur ses enquêtes (avec le bud­get qui va avec), c’est une autre échelle de tra­vail que la nôtre : nous avons une seule per­son­ne en pré-pro­duc­tion (salut à toi Jean-Noël !) et son temps n’est pas exten­si­ble à l’in­fi­ni. Donc, tout ça est long à met­tre en place… et surtout il faut par­al­lèle­ment veiller à main­tenir notre dynamique de crois­sance et donc con­tin­uer à pro­duire des reportages de terrain !

Il faut donc men­er tous ces com­bats de front, simul­tané­ment, sans par­ler du développe­ment du site Inter­net ou de notre équipe de rédac­teurs qui s’étoffe : nous pub­lions désor­mais quo­ti­di­en­nement des arti­cles d’ac­tu­al­ité de notre crû, en plus de tenir une revue du Web, tout cela représente égale­ment tout un pan de notre activ­ité… et il faut main­tenir la cadence dans l’ad­ver­sité, ce qui est le plus dif­fi­cile. Nous avons appris avec le temps que le ter­rain est miné, les attaques venant de toutes parts : le gou­verne­ment et ses lois anti-“fake news”, qui sont en réal­ité des lois anti-médias non-offi­ciels, les décodeurs (Libé, Le Monde, AFP) qui sont les éboueurs des réseaux soci­aux au ser­vice du gou­verne­ment, et les médias soit dis­ant dis­si­dents qui gèrent avec hargne ce qui leur reste de parts de marchés, ça fait beau­coup de fronts simul­tané­ment ! Mais c’est bien, l’ad­ver­sité me plaît. J’aime les ter­rains dif­fi­ciles, je crois que ça s’est vu. Ma moti­va­tion est donc plus grande chaque jour.
Tout ne fait que commencer.

En savoir plus : lemediapourtous.fr