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Face à Bannon, Bourdin en service commandé ?

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25 mai 2019

Temps de lecture : 9 minutes
Accueil | Veille médias | Face à Bannon, Bourdin en service commandé ?

Face à Bannon, Bourdin en service commandé ?

Temps de lecture : 9 minutes

Le 21 mai 2019, Jean-Jacques Bourdin, soucieux comme tous les médias français de « faire le buzz », invitait Steve Bannon dans son émission Bourdin Direct diffusée chaque matin sur RMC et BFM. Un véritable cas d’école, comme souvent à l’approche des élections, de la façon dont le journalisme se pratique en France.

Jean-Jacques Bour­din pra­tique le face à face et la parole « directe », c’est le principe de son émis­sion. Il n’empêche que chaque inter­view, quel que soit le média, est cen­sée avoir comme objec­tif de don­ner avant tout la parole à l’invité. Cela s’oublie par­fois sur RMC le matin. Ce fut en par­ti­c­uli­er le cas, ce 21 mai, dans une émis­sion entière­ment à charge, sur ces thèmes : « Steve Ban­non, vous êtes un sou­tien de Marine Le Pen et du RN dans le cadre des élec­tions européennes » et « vous venez en Europe pour aider les pop­ulismes à pren­dre le pou­voir et décon­stru­ire l’Union Européenne ». Deux thèmes qui revi­en­nent de façon insis­tante tout au long d’un entre­tien qui a duré 24 min­utes et qui suff­isent à saisir deux opin­ions poli­tiques per­son­nelles de Jean-Jacques Bour­din : il est opposé à Marine Le Pen et il est favor­able à un vote en faveur de l’UE actuelle.

Un posi­tion­nement qui est audi­ble de la part d’un invité, d’un citoyen, de toute per­son­ne présente dans un stu­dio de radio… sauf de la part, juste­ment, du jour­nal­iste rece­vant des invités dans le cadre de l’exercice de son méti­er. Il ne s’agit pas de neu­tral­ité, un jour­nal­iste n’est pas et ne peut pas être neu­tre, mais de ne pas « rouler » pour un courant poli­tique don­né. L’émission et son ton posent d’ailleurs ques­tion puisque le 23 mai 2019, soit deux jours après, le CSA, entité cen­sé­ment indépen­dante, a annon­cé vouloir décompter le temps de parole de Steve Ban­non dans les médias français au titre de la cam­pagne du RN, par­ti dont il ne sem­ble pas mem­bre et dont il ne sem­ble pas plus représen­ter les intérêts.

Quand les questions de Bourdin sont des réponses

Flo­rilège de l’échange :

  • L’entretien com­mence très exacte­ment ain­si : « Vous logez à l’hôtel Bris­tol à Paris, une suite à plusieurs mil­liers d’euros, est-ce que vous êtes à Paris pour aider Marine Le Pen et le Rassem­ble­ment Nation­al à ter­min­er en tête des élec­tions européennes ? ». Ban­non répond « non », enchaîne et explique tran­quille­ment qu’il est à Paris en tant qu’observateur et du fait de ses affaires économiques per­son­nelles. Il indique aus­si qu’il descend au Bris­tol depuis 30 ans car il avait une entre­prise et que cet hôtel est un bon lieu pour faire des rencontres.
  • Bour­din écoute vague­ment et reprend : « Bien, vous êtes là pour aider Marine Le Pen à gag­n­er l’élection. Vous avez dit : tout se joue en France, autour de ces européennes. La France présente un intérêt par­ti­c­uli­er pour vous ? ». Ban­non répond « oui ». IL recon­naît qu’il est « pop­uliste » et explique pourquoi. Il dit « Je m’intéresse à Marine Le Pen, du fait de sa résilience, de sa capac­ité à avoir trans­for­mé son par­ti ». Il con­tin­ue sim­ple­ment à expli­quer en quoi il est un observateur.
  • Tombe alors une ques­tion ter­ri­ble en France : « Etes-vous libéral, ultra-libéral, franche­ment » (autrement dit, dia­bolique, et comme si les deux mots sig­nifi­aient la même chose). Réponse : « Je suis un nation­al­iste économique ». Il cri­tique la mon­di­al­i­sa­tion, le libéral­isme, le fait que les ouvri­ers en soient vic­times, ain­si que l’élite néolibérale. Bour­din l’interrompt, citant Ban­non quand il demande moins d’impôts, moins d’aides sociales, moins d’Etat… La ques­tion pour­rait pren­dre cette forme : que pensez-vous du mod­èle social français ? Ce que veut sig­ni­fi­er Bour­din, de manière pour le moins détournée et manip­u­la­toire ? Si Ban­non est con­tre le sys­tème social français et qu’il sou­tient Marine Le Pen, alors cette dernière est une men­ace pour ce sys­tème. L’invité indique qu’il « faut un filet de sécu­rité social » mais « il ne faut pas un cap­i­tal­isme d’Etat ». Bour­din l’interroge alors sur la posi­tion de Marine Le Pen quant à l’Etat, le laisse répon­dre tranquillement.
  • le  jour­nal­iste  veut sim­ple­ment lui repos­er la même ques­tion (qui dans son esprit est une affir­ma­tion) : « Bien, vous êtes venu essay­er d’aider Marine Le Pen à gag­n­er l’élection, les choses sont extrême­ment claires, Steve Ban­non. Dis­ons les choses franche­ment : vous con­seillez Marine Le Pen. Vous seriez très heureux si elle gag­nait ces élec­tions européennes ». Réponse : « Elle n’a pas besoin de mon aide ». L’américain explique tran­quille­ment qu’il est favor­able, dans le monde entier, à une préémi­nence des nations sur les fédéra­tions d’Etat. Il défend le sou­verain­isme. « Mais ils n’ont pas besoin de mon aide, dans aucun des pays ». Pour­tant, Bour­din insiste de nou­veau : « Donc, les choses sont très claires, Steve Ban­non ».
  • Ain­si, ayant « établi », à l’encontre absolue des répons­es d’un Steve Ban­non dont le vis­age mon­tre qu’il se demande à quel  jour­nal­iste  il a affaire là, Bour­din reprend en direc­tion du cap qu’il s’est fixé depuis le début : « Je voudrais que nous pré­ci­sions cer­taines de vos posi­tions. Etes-vous supré­maciste ?». Réponse : « C’est absurde. Le nation­al­isme économique ne s’intéresse pas aux ques­tions de race, de couleur etc… ». Bour­din : « Il y a un an, vous étiez au con­grès du Front Nation­al, vous savez ce que vous avez dit ? Lais­sez-vous appel­er raciste et xéno­phobe, il faut porter le racisme et la xéno­pho­bie comme un badge d’honneur ? ». Réponse : « Non, non, c’est la paresse jour­nal­is­tique ici, votre équipe a sor­ti cela du con­texte, le con­texte par­lait de la poli­tique économique de Trump en dis­ant que ses poli­tiques économiques… Mar­tin Luther King en aurait été fier… On a un chô­mage au plus bas, les salaires mon­tent et quand les mou­ve­ments de l’opposition ne peu­vent pas vous trou­ver de défauts, alors ils vont vous accuser de tous les mots, de racisme… C’est ce que je veux dire : servez-vous de cela, c’est là votre badge d’honneur, si tout ce que l’on trou­ve con­tre vous ce sont des insultes non fondées au lieu de s’appuyer sur des argu­ments, alors vous avez gag­né ». Bour­din sort ensuite son jeu habituel, qui est celui de tous les jour­nal­istes libéraux lib­er­taires : « il ne s’agit pas d’insultes (vari­ante : il s’agit juste de pos­er des ques­tions). Ban­non : « Non, non, non, ce sont des insultes, vous accusez, si on trou­ve que cela pour se posi­tion­ner…».
  • Insis­tance : « Vous allez ouvrir une école à Rome pour régénér­er la civil­i­sa­tion occi­den­tale, c’est bien cela, la civil­i­sa­tion occi­den­tale blanche ?». Ban­non : « Je pro­pose de con­stru­ire une société où l’on s’appuie sur les racines judéo-chré­ti­ennes de l’Europe, il ne s’agit pas de s’opposer aux autres races ou reli­gions (inter­ven­tion de Bour­din : « Pas de pureté géné­tique, pas de pureté géné­tique ! »). Réponse : « Non. La civil­i­sa­tion judéo-chré­ti­enne d’Europe est la société la plus inclu­sive qui ait jamais existé. Il y aura des gens de toutes les orig­ines pour con­stru­ire cette nou­velle société ».
  • « Vous dites quoi, Steve Ban­non ? Que Trump gag­n­era en 2012 si l’Europe est détru­ite, parce que votre objec­tif (…) Steve Ban­non, est-ce que vous êtes là pour défaire l’Europe actuelle ? Pour désta­bilis­er l’Europe actuelle ? Franche­ment ? ». Ban­non « Non ». Bour­din : « Non ? Oui ou non ? ». Ban­non : « Absol­u­ment pas (…) Les Etats-Unis ont besoin d’une Europe forte. Le mou­ve­ment sou­verain­iste va ren­forcer l’Europe parce que vous avez des Etats Nations qui seront plus forts, les citoyens auront plus de moyens et actuelle­ment leurs moyens sont con­fisqués par Brux­elles, au détri­ment des petites gens, vous avez un écart économique et poli­tique crois­sant entre les élites et le reste de la société. Salvi­ni, Orban Le Pen ne veu­lent pas détru­ire l’UE, ils veu­lent la réformer de l’intérieur, en faire une Union d’Etats Nations indépen­dants et c’est cela qui va ren­forcer l’Europe ». Inter­ven­tion de Bour­din, pré­parée, il suit sa fiche, con­nue de l’auditeur s’il est sur RMC depuis le début de « Bour­din direct » puisque Bour­din a lais­sé enten­dre plus tôt, avec les mêmes phras­es, qu’il avait hâte de mon­tr­er à Ban­non com­bi­en l’Europe de l’Union Européenne est un Par­adis. C’est par­ti : « Steve Ban­non, vous allez me dire si vous êtes d’accord avec moi. Ecoutez bien ce que je vais vous dire : « L’Europe est l’espace le plus prospère du monde, elle a l’économie la plus puis­sante, l’Europe est en paix depuis 74 ans, l’Europe où les droits des tra­vailleurs et des citoyens sont les mieux pro­tégés du monde, où la cir­cu­la­tion des biens et des per­son­nes est assurée, l’Europe où les iné­gal­ités sont les moins fortes du monde, où la lib­erté de penser est assurée, où la lib­erté d’écrire, de dire ce qu’on veut est assurée, vous êtes d’accord ou pas avec cela ? ». Ban­non ne se démonte pas et expose son désac­cord, lié à la sit­u­a­tion depuis la crise finan­cière de 2008.

La con­clu­sion approche. Jean-Jacques Bour­din n’a pas per­du son fil rouge, c’est-à-dire le mes­sage qu’il veut faire entr­er de force dans le cerveau des audi­teurs : « Steve Ban­non, d’abord vous êtes venu con­seiller Marine Le Pen, vous aidez Marine Le Pen et le Rassem­ble­ment Nation­al à trou­ver de l’argent ou pas ? Oui ou non ? ». Réponse de Ban­non : « Elle n’a pas besoin de mon aide pour gag­n­er. Moi je suis son ami mais elle n’a pas besoin de moi pour gag­n­er cette élec­tion ». Retour à la deux­ième préoc­cu­pa­tion de Bour­din, pleine­ment extra­or­di­naire : « Vous êtes riche ? Vous êtes un homme riche ? ». Ban­non explique que ses orig­ines sont très mod­estes et qu’il a gag­né de l’argent. Bour­din con­tin­ue : « Est-ce que vous êtes un manip­u­la­teur ? Un usurpateur ? ».

Cet entre­tien n’en est un à aucun moment, c’est une l’intervention d’un jour­nal­is­tique ayant fort pignon sur rue et de son média dans la cam­pagne élec­torale en faveur de l’idéologie dom­i­nante au pou­voir. Cette inter­ven­tion prend la forme d’une inter­ven­tion con­tre et se pare des atours du jour­nal­isme. Regarder l’émission ici servi­ra de cas d’école. Surtout si on la replace dans le con­texte qui la suit immé­di­ate­ment : la déci­sion de compter les inter­ven­tions médi­a­tiques de Ban­non dans les comptes élec­toraux du RN.