Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Europe 1 : parti pris et diffamation sous couvert d’humour

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

9 juin 2018

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | not_global | Europe 1 : parti pris et diffamation sous couvert d’humour

Europe 1 : parti pris et diffamation sous couvert d’humour

Temps de lecture : 7 minutes

Dans les médias officiels français, on se targue de défendre la diversité d’expression. Cette prétention est déjà en soi humoristique. Mais on prétend aussi la défendre par des humoristes. Quand l’humour devient militantisme, cela se passe aussi sur Europe 1.

Il y a belle lurette que tout obser­va­teur des médias du sys­tème s’est ren­du compte du car­ac­tère mil­i­tant des humoristes présents sur les ondes, en par­ti­c­uli­er sur France Inter. Une radio ou au pré­texte de défense de la lib­erté, nom­bre d’émissions et de jour­nal­istes défend­ent avant tout leur pro­pre point de vue, et plus générale­ment celui de l’écosystème de la pen­sée de gauche. L’humour ne sert pas ici seule­ment à faire rire mais à com­bat­tre les pen­sées autres de manière mil­i­tante. Europe 1, sous la houlette mati­nale de Patrick Cohen (sur le départ), n’est pas en reste. Un peu de Jérôme Com­man­deur suf­fi­ra à nous en con­va­in­cre. L’émission s’intitule Com­man­deur News et est dif­fusée chaque matin, du lun­di au ven­dre­di, entre 7 h 25 et 7 h 30.

À l’heure de Patrick Cohen

L’arrivée en début de sai­son de Patrick Cohen n’a pas réus­si à trans­former la mati­nale d’Europe 1 en réus­site, tout au con­traire. Sans doute une erreur de cast­ing liée à une erreur de per­spec­tive. Le jour­nal­iste mil­i­tant social lib­er­taire obte­nait une excel­lente audi­ence avec son anci­enne mati­nale, sur France Inter, rai­son pour laque­lle il a été acheté lors du mer­ca­to de l’an passé, mais une ques­tion a été omise : pourquoi diantre la mati­nale de France Inter est-elle autant écoutée ? La rai­son prin­ci­pale ne tient pas à sa qual­ité sup­posée mais à un banal fait tech­nique : la radio d’État peut s’écouter partout, dans sa voiture et ailleurs, ce qui n’est pas aus­si sim­ple con­cer­nant les autres sta­tions. Une autre rai­son étant qu’il reste un impor­tant quo­ta d’auditeurs heureux d’entendre ce qu’ils pensent eux-mêmes chaque matin, ce qui est confortable.

La « réus­site » de Cohen a ain­si été plutôt rel­a­tive, liée à des faits extérieurs, ce que mon­tre du reste le main­tien de l’audience de la mati­nale sous Demor­and et Salamé. Sur France Inter, ce qui fait le suc­cès des mati­nales ce n’est pas la qual­ité de l’animateur mais les moyens tech­niques de l’État.

Des conservateurs dans le collimateur

Quand il s’amuse d’hommes et de femmes poli­tiques, Jérôme Com­man­deur, humoriste en chef de la mati­nale de Cohen, ne parvient pas à mas­quer son bras­sard ni à élargir son hori­zon intel­lectuel lim­ité aux con­ser­va­teurs, cette droite qui lui est un enne­mi à com­bat­tre au pré­texte de l’humour (qui en ce cas amuse peu, à en croire l’audience d’Europe 1, car l’humoriste est en cette matière avant tout un pro­duit d’appel mar­ket­ing). Com­man­deur trou­ve très rarement à rire à gauche, beau­coup plus au sujet par exem­ple de Don­ald Trump, Philippe de Vil­liers ou bien Mar­i­on Maréchal. Cette dernière fut ain­si sa cible à deux repris­es fin mai 2018. Il est vrai que la créa­tion par Mar­i­on Maréchal d’un Insti­tut de Sci­ences Sociales Economiques et Poli­tiques suf­fit à faire trem­bler l’ensemble du pou­voir médi­ati­co-politi­co-cul­turel en place, par­fois qual­i­fié « d’élites ». Deux inter­ven­tions dites humoris­tiques très intéres­santes pour qui veut illus­tr­er com­bi­en l’humour n’est ici, comme sur France Inter, que pré­texte à com­bat mil­i­tant poli­tique, voire même à diffamation.

Matinale du 25 mai 2018

Titre : « Philippe de Vil­liers : “Vierge Marie, pro­tège l’é­cole de Mar­i­on, comme si c’é­tait la man­geoire à bétail où est né ton fils, Jésus de Nazareth !” »

Intro­duc­tion des jour­nal­istes : « On a sor­ti le sac à dos et le pique-nique, c’est l’heure de la sor­tie sco­laire » (…) « Mar­i­on Maréchal qui a choisi l’ISSEP comme nom pour son académie de sci­ences poli­tiques emmène déjà ses élèves en classe verte. »

Les invités car­i­caturés sont donc Philippe de Vil­liers et Mar­i­on Maréchal. Il est intéres­sant de regarder ce début en vidéo, tant le vis­age des inter­venants est exem­plaire d’une déf­i­ni­tion du mot « morgue ».

Un pro­pos car­ac­térisé par :

  • un antichris­tian­isme pri­maire, la pré­ten­due sor­tie sco­laire (et donc l’école de Mar­i­on Maréchal) étant assim­ilée à un « sémi­naire » : « Ici nous sommes devant une cour­roie de Vénus, plus com­muné­ment appelée cein­ture de chasteté que les cheva­liers dépo­saient sur l’intimité des matrones au XIe siè­cle et fer­maient à triple loquet avant de par­tir en croisade afin que celles-ci sans maris ne soient pas pris­es de crises de boulim­ie d’entrecuisses ». Dans l’esprit du bobo social libéral lib­er­taire com­mun, tout indi­vidu qui n’est pas de gauche ne saurait con­naître de lib­erté en matière de sex­u­al­ité et, papa Freud traî­nant tou­jours dans le coin, voit de la frus­tra­tion et de la libido inas­sou­vie dans les con­cep­tions du monde con­ser­va­tri­ces : rien de très éton­nant, c’est le niveau peu relevé de l’enseignement uni­ver­si­taire et de sci­ences poli­tiques publics en France.
  • un amal­game immé­di­at avec l’Allemagne nazie (la fameuse et automa­tique reduc­tio ad hitlerum de toute con­cep­tion du monde autre que celle du sys­tème médi­a­tique offi­ciel) : « On écoute le guide, schnell ! ».
  • une décon­sid­éra­tion forcenée des valeurs tra­di­tion­nelles et enrac­inées, à tra­vers la car­i­ca­ture du lan­gage sup­posé­ment moyenâgeux de Philippe de Villiers.
  • l’accusation habituelle d’islamophobie : « croisade », « délivr­er Jérusalem des imp­ies »
  • l’antichristianisme est insis­tant, avec une car­i­ca­ture de prière dont une par­tie con­stitue le titre de la chronique pré­ten­du­ment humoristique.
Matinale du 29 mai 2018

Titre : « Mar­i­on Maréchal : “Com­ment s’ap­pelle le jeune homme qui a sauvé le bébé de l’im­meu­ble ? Mam’­dou, Mama, Mamadoudou ? Je suis désolée, ça sort pas !” »

Intro­duc­tion des jour­nal­istes : « Com­man­deur news ce matin, on prend des nou­velles d’une per­son­nal­ité poli­tique hos­pi­tal­isée ? » (…) « Eh oui, Mar­i­on Maréchal a été vic­time d’un léger malaise, on va la retrou­ver dans sa cham­bre d’hôpital ».

Un pro­pos car­ac­térisé par :

  • décon­sid­éra­tion de la per­son­nal­ité de Mar­i­on Maréchal, dont l’auditeur ne recon­naît pas la voix, ce qui étonne vu que Com­man­deur est cen­sé être un imi­ta­teur. Le choix de la voix vise ici unique­ment à décon­sid­ér­er la per­son­ne et con­stitue en tant que tel une attaque ad nominem.
  • amal­game immé­di­at avec ce que le sys­tème médi­a­tique offi­ciel a l’habitude d’appeler « fas­cisme » (tout ce qui n’est pas ce sys­tème et qui se situe à droite de l’échiquier, ce qui dans ce stu­dio com­mence dès Lau­rent Wauquiez) : « Brasil­lach, Drieu la Rochelle, Laval… »
  • décon­sid­éra­tion du pro­jet mis en œuvre par la per­son­nal­ité : l’ISSEP est, comme le 25 mai, présen­tée comme une école « d’extrême droite ».
  • util­i­sa­tion de « l’humour » à des fins de diffama­tion : « Atten­dez, quelque chose vous gêne à la télévi­sion non ? Ce ne serait pas la nat­u­ral­i­sa­tion de Gas­sama, le jeune héros qui a sauvé un bébé tout de même, dimanche ? » (notons que la sit­u­a­tion de délin­quant clan­des­tin du futur héros n’est pas évo­quée). Suite : la per­son­nal­ité car­i­caturée ne parviendrait pas à dire le nom du « mon­sieur » ayant sauvé le bébé, ce serait « trop dur », « il s’appelle Mamoudou » insiste le stu­dio… et Mar­i­on Maréchal est sup­posée ne pas pou­voir pronon­cer de prénom d’origine africaine : « Pour tous les noms de famille au sud de Mar­seille j’ai la mâchoire qui se bloque ». Suite : « Vous savez que Mamoudou va être inté­gré aux pom­piers de Paris ? » (…) « Ça veut dire que quand je vais appel­er, je peux tomber sur lui ? Remet­tez-moi un coup de défib­ril­la­teur » (humour d’autant plus dou­teux durant une semaine où une jeune femme de couleur est décédée suite à un défaut d’intervention du SAMU).

Il est ici aus­si intéres­sant de regarder la dernière sec­onde de l’émission et le vis­age de Jérôme Com­man­deur, vis­age qui traduit la sat­is­fac­tion militante.

Avec l’humour qui a table ouverte dans les médias offi­ciels, il en va sur Europe 1 comme sur France Inter, Canal+, Quo­ti­di­en etc, les cibles des humoristes sont à sens qua­si unique et à visée exclu­sive­ment mil­i­tante. Ce sont des tri­bunes poli­tiques et non des lieux d’humour, lieux où l’on com­bat bien au chaud dans l’entre soi tout en diffamant avec le ric­tus. Pourquoi employ­er le verbe dif­famer ? Mar­i­on Maréchal est ici présen­tée comme raciste. Peut-être Europe 1 et sa mati­nale pour­ront-ils éclair­er leurs audi­teurs avec des faits, de jus­tice par exem­ple, per­me­t­tant d‘accréditer ce pré­ten­du trait d’humour con­sis­tant à qual­i­fi­er une per­son­nal­ité poli­tique de raciste sous cou­vert (facile) de car­i­ca­ture ? Une ques­tion vient à l’esprit : en péri­ode élec­torale, com­ment seront traitées par la loi à venir les fake news dif­fusées sous cou­vert d’humour ?