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Entretien Poutine/Tucker Carlson, un résumé en français

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17 février 2024

Temps de lecture : 9 minutes
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Entretien Poutine/Tucker Carlson, un résumé en français

Temps de lecture : 9 minutes

Le 6 février 2024, Tucker Carlson, ancien animateur star de Fox News, interviewait Vladimir Poutine au Kremlin. L’occasion de revenir longuement sur l’histoire de l’Ukraine, indissociable de celle de la Russie, ainsi que sur les influences occidentales qui sous-tendent la guerre. Pour ceux qui n’ont pas le temps d’écouter ce long entretien de deux heures, nous en publions un résumé en français.

La Russie et l’Ukraine, une histoire pluri-centenaire

« La Russie com­mence à se dévelop­per avec Kiev et Nov­gorod »

Con­traire­ment à ce que l’on pour­rait instinc­tive­ment penser, la Russie ne naît pas à Moscou, mais à Nov­gorod, puis… à Kiev. La Russie devient un Etat cen­tral­isé et unifié, puis, au fil des sou­verains, un Etat frag­men­té, proie facile pour Gengis Khan. « La par­tie mérid­ionale, dont Kiev et d’autres villes, a tout sim­ple­ment per­du son indépen­dance. Les villes du nord, quant à elles, con­servèrent une par­tie de leur sou­veraineté. C’est alors qu’un État russe unifié a com­mencé à pren­dre forme, avec son cen­tre à Moscou », détaille Vladimir Pou­tine, qui se fait pro­fesseur d’histoire au début de son inter­view. Quant à la par­tie autour de Kiev, elle « a com­mencé à graviter pro­gres­sive­ment vers un autre aimant, le cen­tre qui émergeait en Europe. Il s’agit du Grand-Duché de Litu­anie. » Ce duché, où l’on par­lait russe et pra­ti­quait l’orthodoxie, s’unit au Roy­aume de Pologne.

« Pen­dant des décen­nies, les Polon­ais se sont engagés dans la coloni­sa­tion de cette par­tie de la pop­u­la­tion. Ils y ont intro­duit une langue et ont ten­té d’ancrer l’idée que cette pop­u­la­tion n’était pas exacte­ment russe, que parce qu’elle vivait en marge, elle était ukraini­enne. À l’origine, le mot “Ukrainien” sig­nifi­ait que la per­son­ne vivait à la périphérie de l’État. » Jusqu’au XVI­Ie siè­cle, les Polon­ais trait­ent cette par­tie du monde « plutôt dure­ment », si bien que les gou­ver­nants de ce qui n’est pas encore l’Ukraine deman­dent leur rat­tache­ment à Moscou. Une demande qui est d’abord refusée, car l’Etat russe craint une guerre avec le Roy­aume de Pologne. « Néan­moins, l’assemblée russe a décidé d’inclure une par­tie des anci­ennes ter­res russ­es dans le Roy­aume de Moscou. Comme prévu, la guerre avec la Pologne com­mence. Elle a duré 13 ans, puis une trêve a été con­clue. Et 32 ans plus tard, un traité de paix avec la Pologne, qu’ils appelaient la paix éter­nelle, a été signé. Toute la rive gauche du Dniepr, y com­pris Kiev, est passée à la Russie. »

« L’Ukraine est un État arti­fi­ciel qui a été façon­né par la volon­té de Staline »

Peu avant la Pre­mière guerre mon­di­ale, les sen­ti­ments nationaux émer­gent partout en Europe cen­trale, notam­ment dans l’empire de Prusse qui devien­dra l’Allemagne et dans les Etats ital­iens. L’Empire aus­tro-hon­grois, lui, tente de faire émerg­er un sen­ti­ment nation­al ukrainien pour affaib­lir l’empire russe. Après la Sec­onde guerre mon­di­ale, l’Ukraine occi­den­tale se trou­ve dans ce qui est alors l’URSS. Cepen­dant, à la demande de Staline, c’est sous la forme d’une entité autonome. « Pour des raisons incon­nues, il a trans­féré à la nou­velle République sovié­tique d’Ukraine cer­taines des ter­res, ain­si que les per­son­nes qui y vivaient, bien que ces ter­res n’aient jamais été appelées Ukraine », ajoute Vladimir Poutine.

L’Ukraine serait donc d’abord le fruit de l’idéologie sovié­tique. « En 1922, lors de la créa­tion de l’URSS, les bolcheviks ont com­mencé à con­stru­ire l’URSS et ont créé l’Ukraine sovié­tique, qui n’avait jamais existé aupar­a­vant. Pour des raisons incon­nues, les bolcheviks se sont à nou­veau engagés dans l’ukrainisation. » « Nous avons toutes les raisons d’affirmer que l’Ukraine est un État arti­fi­ciel qui a été façon­né par la volon­té de Staline », affirme même Vladimir Pou­tine, qui sig­nale notam­ment qu’après la Sec­onde guerre mon­di­ale, cer­taines anci­ennes ter­res russ­es, hon­grois­es, mais aus­si roumaines, ont été inté­grées à l’Ukraine.

L’identité nationale ukraini­enne serait donc loin d’être une évi­dence. Vladimir Pou­tine explique notam­ment que dans l’ouest de l’Ukraine, à la fin des années 80, « tous les noms de villes et de vil­lages étaient en russe et dans une langue que je ne com­pre­nais pas, en hon­grois. Pas en ukrainien, mais en russe et en hon­grois. » « Ils ont con­servé la langue hon­groise, les noms hon­grois et tous leurs cos­tumes nationaux. Ils sont Hon­grois et se sen­tent Hon­grois. »

L’Ukraine et la Russie, « la coex­is­tence d’un seul État pen­dant des siè­cles »

L’Ukraine telle qu’on l’entend aujourd’hui est donc un ter­ri­toire récent, ce qui peut expli­quer la prég­nance de la cul­ture russe. « Plus de 90 % de la pop­u­la­tion par­lait russe, une per­son­ne sur trois avait des liens famil­i­aux ou ami­caux. Une cul­ture com­mune. Une his­toire com­mune, enfin, une foi com­mune, la coex­is­tence d’un seul État pen­dant des siè­cles et des économies pro­fondé­ment inter­con­nec­tées. Tous ces élé­ments étaient fon­da­men­taux. Tous ces élé­ments réu­nis ren­dent nos bonnes rela­tions inévita­bles. » Vladimir Pou­tine ajoute que « tous les prési­dents qui sont arrivés au pou­voir en Ukraine se sont appuyés sur l’électorat qui, d’une manière ou d’une autre, avait une bonne atti­tude vis-à-vis de la Russie. »

Fort de cette rela­tion, Vladimir Pou­tine affirme que « nous ne pou­vions pas aban­don­ner nos frères dans la foi. » Ain­si explique-t-il l’intervention russe dans des zones con­sid­érées comme men­acées par l’Occident, notam­ment le Don­bass. « Nous n’aurions jamais envis­agé de lever le petit doigt s’il n’y avait pas eu les événe­ments sanglants de Maï­dan », explique-t-il égale­ment, faisant référence à la révolte de 2014. « Je pense sincère­ment que si nous par­venons à con­va­in­cre les habi­tants du Don­bass de revenir à l’État ukrainien, les blessures com­menceront à se cica­tris­er peu à peu. »

Guerre entre l’Ukraine et la Russie : un début sujet à débats

« La Russie s’attendait à être accueil­lie dans la famille frater­nelle des nations civil­isées, rien de tel ne s’est pro­duit »

Au XXIe siè­cle, les rela­tions entre l’Ukraine et la Russie ne peu­vent se penser sans un troisième acteur : l’Occident, et notam­ment l’OTAN. Une entité qui cristallise la décep­tion ou la rancœur de Vladimir Pou­tine. Il martèle, comme il l’a fait à plusieurs repris­es, que « la Russie a accep­té volon­taire­ment et de manière proac­tive l’effondrement de l’Union sovié­tique et pen­sait que cela serait com­pris par l’Occident dit civil­isé comme une invi­ta­tion à la coopéra­tion et à l’association. » Pour la Russie, l’une des con­di­tions de cette asso­ci­a­tion était la non-exten­sion de l’OTAN. « Nous n’avons jamais accep­té que l’Ukraine fasse par­tie de l’OTAN. Nous n’avons pas accep­té que l’OTAN y installe des bases sans en dis­cuter avec nous. » Cette exten­sion est d’autant plus insup­port­able que la Russie a ten­té d’entrer dans l’OTAN. « Lors d’une réu­nion ici au Krem­lin avec le prési­dent sor­tant Bill Clin­ton, ici même dans la pièce voi­sine, je lui ai dit, je lui ai demandé : “Bill, pensez-vous que si la Russie demandait à rejoin­dre l’OTAN, cela se ferait ?” Il a répon­du : “Je pense que oui.” » Une porte vite refer­mée. Pour Vladimir Pou­tine, c’est avant tout parce que la Russie est « un pays trop grand, avec ses pro­pres opin­ions. »

Au-delà de la non-adhé­sion à l’OTAN, cette désil­lu­sion fait par­tie d’une série de déc­la­ra­tions faites, puis retirées. L’ouverture de l’adhésion à l’OTAN pour l’Ukraine en est un exem­ple. « Ils ont déclaré que les portes de l’Ukraine et de la Géorgie étaient ouvertes à l’adhésion à l’OTAN. L’Allemagne et la France sem­blaient s’y oppos­er, ain­si que d’autres pays européens. » Des oppo­si­tions tombées à cause de pres­sions des Etats-Unis. « On se croirait au jardin d’enfants. C’est absurde. Nous sommes prêts à dis­cuter. Mais avec qui ? Où sont les garanties ? Aucune. »

 « Nous n’avons pas com­mencé cette guerre en 2022.»

Si Vladimir Pou­tine refuse avec une telle vigueur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, c’est aus­si parce qu’il estime que ce pays est déjà sous ingérence améri­caine. Il cite ain­si l’élection prési­den­tielle de Vik­tor Ianoukovitch en 2010. « Ses opposants n’ont pas recon­nu cette vic­toire. Les États-Unis ont soutenu l’opposition et le troisième tour a été pro­gram­mé. Mais qu’est-ce que c’est ? Il s’agit d’un coup d’État. » En 2014, les événe­ments de Maï­dan trou­vent leur source dans le refus de l’Ukraine de sign­er le traité d’association avec l’Union européenne. A cette époque, les fron­tières douanières russ­es avec l’Ukraine étaient ouvertes, dans une logique de libre-échange. Selon Vladimir Pou­tine, ce traité d’association « aurait con­duit à l’inondation de notre marché. » La Russie prévient donc que s’il est signé, les fron­tières russ­es avec l’Ukraine seront fer­mées, et Ianoukovitch demande à l’Union européenne un délai de réflex­ion sup­plé­men­taire. « Dès qu’il a dit cela, l’opposition a com­mencé à pren­dre des mesures destruc­tri­ces soutenues par l’Occident. Tout cela a abouti à Maï­dan et à un coup d’État en Ukraine. »

« Ils ont com­mencé à per­sé­cuter ceux qui n’acceptaient pas le coup d’État. Ils ont créé la men­ace de la Crimée, que nous avons dû pren­dre sous notre pro­tec­tion. Ils ont lancé la guerre dans le Don­bass en 2014 en util­isant des avions et des pièces d’artillerie con­tre des civils. » Vladimir Pou­tine relie ain­si les événe­ments de 2014 à 2022, réaf­fir­mant que la Russie n’a pas com­mencé la guerre. « Ce sont eux qui ont com­mencé la guerre en 2014. Notre objec­tif est d’arrêter cette guerre. Nous n’avons pas com­mencé cette guerre en 2022. »

« Nous n’avons jamais refusé de négoci­er »

Aujourd’hui, la guerre sem­ble s’éterniser. Pour­tant, Vladimir Pou­tine affirme être ouvert à la négo­ci­a­tion, et même être le seul à l’être. « Le prési­dent ukrainien a légiféré pour inter­dire toute négo­ci­a­tion avec la Russie. Il a signé un décret inter­dis­ant à quiconque de négoci­er avec la Russie. Mais com­ment allons-nous négoci­er s’il s’est inter­dit à lui-même et à tout le monde de le faire ? » « Nous n’avons jamais refusé de négoci­er. C’est eux qui ont refusé publique­ment. Qu’il annule son décret et qu’il entame des négo­ci­a­tions. C’est mal­heureux car nous auri­ons pu met­tre fin à ces hos­til­ités par la guerre il y a un an et demi déjà. » Quant à une pos­si­ble exten­sion du con­flit, Vladimir Pou­tine bal­aie cette pos­si­bil­ité. « Ils essaient d’alimenter la men­ace russe. nous n’avons aucun intérêt en Pologne, en Let­tonie ou ailleurs. » « Dans la guerre de pro­pa­gande, sig­nale-t-il, il est très dif­fi­cile de vain­cre les États-Unis, car ils con­trô­lent tous les médias du monde et de nom­breux médias européens. »