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L’Union européenne prépare les nouvelles censures des mouvements sociaux sur internet

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19 décembre 2018

Temps de lecture : 7 minutes
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L’Union européenne prépare les nouvelles censures des mouvements sociaux sur internet

Temps de lecture : 7 minutes

Alors que les grands médias ont globalement tenté de désamorcer le mouvement des gilets jaunes comme nous vous l’avons expliqué à travers la télévision ici ou à travers les hebdomadaires là, alors que Facebook censure à tout va avec l’aide des Décodeurs du Monde, une future loi « antiterroriste » se prépare à l’initiative de la France auprès de l’Union européenne. Une analyse de la Quadrature du Net. 

Un texte quasi secret

Reprenons le texte de la Quad­ra­ture qui est remar­quable de précision :

« C’est un texte dont per­son­ne ne par­le ou presque, et il est pour­tant fon­da­men­tal pour l’avenir des lib­ertés publiques à l’échelle de l’Europe entière. Présen­té au mois de sep­tem­bre, il s’agit du règle­ment européen dédié à « la préven­tion de la dif­fu­sion de con­tenus à car­ac­tère ter­ror­iste en ligne ».

L’article 4 du règle­ment per­met aux autorités publiques de deman­der directe­ment à n’importe quel hébergeur le retrait d’un con­tenu rel­e­vant de l’apologie du ter­ror­isme. En pra­tique, cela entérine la sit­u­a­tion qui pré­vaut dans tous les pays rép­ri­mant l’apologie ou la provo­ca­tion au ter­ror­isme. Ain­si en France, depuis 2015, le min­istère de l’Intérieur est com­pé­tent pour cen­sur­er la provo­ca­tion ou l’apologie du ter­ror­isme sur Inter­net (si l’hébergeur n’empêche pas l’accès au con­tenu visé sous 24 heures, alors le blocage de l’ensemble du site peut être mis en place par les four­nisseurs d’accès à Inter­net français). Le tout sans aucun con­trôle judi­ci­aire préal­able, dans le cadre d’une procé­dure secrète. Ain­si, en 2015, la France est dev­enue (devant l’Inde et la Turquie) le pays qui a obtenu le plus grand nom­bre de sup­pres­sions de pages Face­book (38 000 sup­pres­sions en un an, pen­dant que l’Allemagne ou Israël n’en obte­naient que 500). »

Plus vite, plus fort

Reprenons notre cita­tion de la Quadrature :

« Là où le règle­ment européen « innove » rad­i­cale­ment, c’est qu’il impose qu’un tel retrait par les hébergeurs inter­vi­enne en un délai record de une heure, sous peine de sanc­tions finan­cières. Il prévoit aus­si de pass­er par une voie encore plus dis­crète pour cen­sur­er ces con­tenus : les « mesures proac­tives », ces out­ils de cen­sure automa­tique déjà dévelop­pés par les grandes plate­formes comme Face­book ou YouTube et qui pour­ront être paramétrés en con­cer­ta­tion avec les autorités (arti­cle 6 du règlement)….Le futur règle­ment européen prévoit de généralis­er ces out­ils à l’ensemble des acteurs du Web (non seule­ment Face­book et YouTube mais aus­si OVH, Gan­di, NextCloud, Mastodon, etc.), voire même aux out­ils de mes­sagerie (What­sApp, Sig­nal, Télé­gram, Pro­ton­mail, etc.) . Con­crète­ment, tous les acteurs du numérique devront dévelop­per des « mesures proac­tives pour pro­téger leurs ser­vices con­tre la dif­fu­sion de con­tenus à car­ac­tère ter­ror­iste ».

C’est quoi, un « contenu à caractère terroriste » ?

Pour­suiv­ons. « L’article 2 du règle­ment explique que les con­tenus aux­quels le texte s’appliquera sont des textes, images ou vidéos qui « provo­quent à la com­mis­sion », « font l’apologie », « encour­a­gent la par­tic­i­pa­tion » ou « four­nissent des instruc­tions sur des méth­odes ou tech­niques en vue de la com­mis­sion d’infractions ter­ror­istes ». Tout repose donc sur ces « infrac­tions ter­ror­istes », définies par le droit de l’Union à l’article 3 de la direc­tive 2017/541.

Pour être qual­i­fiés d’infractions ter­ror­istes, ces actes doivent être com­mis dans le but de « con­train­dre indû­ment des pou­voirs publics ou une organ­i­sa­tion inter­na­tionale à accom­plir ou à s’abstenir d’accom­plir un acte quel­conque » (retir­er un pro­jet de loi, par exem­ple) ou dans le but de « grave­ment désta­bilis­er […] les struc­tures poli­tiques, con­sti­tu­tion­nelles, économiques ou sociales fon­da­men­tales d’un pays ». La sim­ple men­ace de com­met­tre de tels actes entre aus­si dans la définition. »

Les gilets jaunes acte VI ou VII visés

« Bref, en droit européen, le piratage ou la destruc­tion mas­sive de biens, ou la men­ace de le faire, sont des « infrac­tions ter­ror­istes » dès lors qu’il s’agit d’influencer une déci­sion poli­tique ou de désta­bilis­er des institutions….Parmi les con­tenus sus­cep­ti­bles d’être pub­liés sur Inter­net par des gilets jaunes, quels sont ceux qui pour­raient être con­sid­érés comme rel­e­vant du « ter­ror­isme » (selon les très larges déf­i­ni­tions européennes) par Face­book et Google (soumis à la men­ace de sanc­tions en cas d’échec) ou par la police ? Par exemple :

  • un appel à man­i­fester sur les Champs-Élysées…
  • une vidéo qui, prise depuis le bal­con d’en face, filmerait la destruc­tion d’une banque ou d’un fast-food, accom­pa­g­née d’un com­men­taire audio du spec­ta­teur sur­pris, du type « aha­hah, c’est bien fait pour eux »
  • une vidéo d’altercations agres­sives entre man­i­fes­tants et CRS …
  • un texte menaçant le gou­verne­ment de blocage général­isé de l’économie ou de grève générale ;
  • une invec­tive orale du type « si Macron ne démis­sionne pas, on va venir met­tre le feu à l’Élysée »
  • un com­mu­niqué jus­ti­fi­ant le fait d’avoir détru­it un véhicule de police »

Censure privée, censure totale

« Une cen­sure de tels con­tenus pour­rait donc inter­venir de deux manières. C’est en quelque sorte « cein­ture et bretelles » : quand les « mesures proac­tives » pris­es par un réseau social comme Face­book n’auront pas suf­fi à blo­quer les con­tenus visés, la police pour­ra pren­dre le relais, pou­vant exiger des ser­vices défail­lants la sup­pres­sion d’un con­tenu dans un délai d’une heure. Tout cela sans l’autorisation préal­able d’un juge. Les acteurs con­cernés s’exposeront à des sanc­tions s’ils échouent trop sou­vent à cen­sur­er dans le délai d’une heure (arti­cle 18).

Bref, pour éviter d’avoir à répon­dre toute la journée aux deman­des des polices des 28 États mem­bres de l’Union européenne, et de subir des sanc­tions en cas d’échecs à y répon­dre dans l’heure, les ser­vices Web auront franche­ment intérêt à détecter à l’avance et le plus stricte­ment pos­si­ble tout ce qui ressem­blera de près ou de loin à un « con­tenu à car­ac­tère ter­ror­iste », défi­ni de façon extrême­ment large.

Or, il est clair que les out­ils mis au point par Face­book et Google s’imposeront à l’ensemble du Web, même en dehors de leur plate­forme, où cer­tains pour­raient chercher refuge. …l’objectif de ce texte est au final d’imposer les fil­tres automa­tiques mis au point par les gross­es plate­formes à tous les acteurs du Web, petits ou grands, européens ou non. Ces derniers devront automa­tique­ment respecter une large « liste noire » de con­tenus con­sid­érés comme illicites par les pré­ten­dues intel­li­gences arti­fi­cielles de Face­book et Google, qui décideront seuls et selon leurs pro­pres critères s’il est autorisé ou non d’appeler à tel mou­ve­ment ou d’applaudir telle action contestataire… »

Délégation de censure à la police et aux GAFA

« Notre ques­tion est de savoir si nous accep­tons de déléguer à la police et à une poignée d’entreprises privées hégé­moniques, qui ne sont soumis­es à aucun con­trôle démoc­ra­tique, le rôle de juger nos actes et nos opin­ions, et de mod­el­er le débat pub­lic en con­séquence. Nous répon­dons résol­u­ment que non : seul un juge, indépen­dant des pou­voirs poli­tiques et économiques, doit pou­voir cen­sur­er les pro­pos qui, d’après des lois adop­tées en bonne et due forme, seraient sus­cep­ti­bles de nuire de manière dis­pro­por­tion­née à autrui.

C’est tout l’inverse que pro­pose Macron, prin­ci­pal pro­mo­teur du futur règle­ment européen : en cédant les pou­voirs de l’État aux géants du Web, il s’imagine pou­voir échap­per à toute respon­s­abil­ité poli­tique en cas de cen­sure abu­sive et mas­sive du Web.

Ce règle­ment européen est une loi de cen­sure que les gou­verne­ments français et alle­mands souhait­ent faire adopter d’ici aux prochaines élec­tions européennes, en mai. Ils ont déjà réus­si à faire accepter hier leur pro­jet aux autres gou­verne­ments européens, à une vitesse jamais vue au sein de l’Union européenne. Les eurodéputés et toutes celles et ceux qui enten­dent se présen­ter aux prochaines élec­tions européennes doivent faire con­naitre leur oppo­si­tion à ce texte scélérat. »

L’article com­plet de La Quad­ra­ture du Net du 7 décem­bre ci-après : laquadrature.net

Les sous-titres sont de notre rédaction.