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Accueil | Veille médias | Un nouvel hebdo des bobos parisiens ? La Croix candidate

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21 octobre 2019

Temps de lecture : 5 minutes
Accueil | Veille médias | Un nouvel hebdo des bobos parisiens ? La Croix candidate

Un nouvel hebdo des bobos parisiens ? La Croix candidate

Temps de lecture : 5 minutes

Le quotidien chrétien La Croix (ou s’affirmant toujours chrétien, les avis sont partagés), a lancé son hebdomadaire. L’OJIM a décidé de lire les deux premiers numéros, afin de ne pas juger autrement que sur pièces. Analyse du numéro 1.

Ain­si que l’OJIM l’annonçait le 5 octo­bre 2019, le groupe Bayard a lancé La Croix Heb­do, dans un con­texte où tout sem­ble pour­tant indi­quer un recul des ventes de la presse papi­er. Sans doute y a‑t-il de nom­breuses raisons à ce lance­ment, dont le souhait de relancer indi­recte­ment le quo­ti­di­en. D’autant que le ton est dans la lignée de celui du quo­ti­di­en, chré­tien de gauche, de moins en moins chré­tien diront cer­tains catholiques et de plus en plus bobo parisien.

C’est parti pour les émotions fortes

La cou­ver­ture : une femme et un homme, jeunes, à l’évidence issus d’Afrique et noirs, se « retrou­vent », l’air apaisé. En toile de fond, l’évocation du chemin tra­ver­sé pour (enfin ?) être sauvés. Le titre : « Le bureau des retrou­vailles. Ici, on réu­nit les familles séparées par l’exil ».

Le choix rédac­tion­nel est donc très clair, le même que la mise en avant des enfants mourant sur une plage ou pleu­rant dans les bras de leur mère voilée : on en appelle aux émo­tions et au sen­ti­men­tal­isme de l’armée libérale-lib­er­taire. De mau­vais­es langues ver­ront sans doute un usage cynique des migra­tions à des fins de lance­ment économique d’un organe de presse, dont il faut sig­naler qu’il était, pour ce pre­mier numéro, en piles partout et annon­cé à grand ren­fort d’affichettes.

Le som­maire : les titres des rubriques font plus dans le club de yoga zen que dans la nef d’église : « ren­con­tr­er », « explor­er », « s’inspirer », « ralen­tir ». De quoi dis­cuter sous le bon­zaï. Donc, qui ren­con­tr­er pour La Croix, en ce début de mois d’octobre 2019 ? Alain Jup­pé. La Croix frappe fort et vise indé­ni­able­ment son élec­torat le plus âgé avec cet entre­tien. Les équili­bres sont tou­jours dif­fi­ciles à trou­ver quand on veut innover. La rédac­tion, à la tête de laque­lle se trou­ve Anne Ponce, a décidé de don­ner la parole à un vieux ponte de l’ancien RPR/UMP, autre­fois fusible d’un Chirac embour­bé dans les affaires de la ville de Paris, ama­teur de man­i­fes­ta­tions mas­sives (et hos­tiles) dans la cap­i­tale, mais depuis devenu un ferme sou­tien du jeune Macron. La Croix heb­do se sent d’ailleurs des affinités avec un Chirac mort puisque la cita­tion qui ouvre ce pre­mier numéro (« une cita­tion pour com­mencer ») est : « Les valeurs ne sont pas des principes dés­in­car­nés mais elles s’imposent quand une sit­u­a­tion con­crète se présente et que l’on sait ouvrir les yeux » (Chirac, jan­vi­er 2007, « Hom­mage aux Justes de France »). La Croix se situe donc par­mi les Justes d’aujourd’hui. Com­ment ses acteurs peu­vent-ils en être si certains ?

Retrouvailles et amalgame

Suit le cœur du numéro : 11 pages con­sacrées au « bureau des retrou­vailles. Ici on réu­nit les familles séparées par l’exil ». Présen­ta­tion du dossier :

« Chaque année, des mil­liers de réfugiés per­dent la trace de leurs proches sur les routes de l’exil. A la douleur du déracin­e­ment s’ajoute alors l’angoisse d’une sépa­ra­tion défini­tive. En France, les enquê­teurs de la Croix-Rouge ten­tent de réu­nir les familles dis­per­sées. Voici leur quo­ti­di­en, tour à tour âpre, déchi­rant, lumineux ».

Rien de bien neuf, beau­coup de sen­ti­men­tal­isme lacry­mal, d’émotion… On se croirait en pleine vis­ite sco­laire au sein du con­seil région­al de Bour­gogne Franche-comté. Ce n’est pas tout ? Non. Il était peu facile de faire pire en terme d’utilisation de la souf­france humaine, dans cette accroche ; pour­tant, la jour­nal­iste y parvient, avec une colonne d’introduction inti­t­ulée « Pourquoi nous l’avons fait » qui com­mence ain­si : « Il y a quinze ans, des mes­sages épinglés à la sor­tie du mémo­r­i­al de l’holocauste, à Wash­ing­ton, m’avaient boulever­sée : des sur­vivants de la Shoah y avaient grif­fon­né leurs nom et adresse dans l’espoir d’être recon­tac­tas par un proche dis­paru durant la guerre mais — qui sait — qui aurait pu être encore vivant quelque part ». Il fal­lait oser : un dossier afin de ne pas être les nazis d’aujourd’hui tan­dis que les migrants, ici unique­ment dénom­més « réfugiés » seraient les juifs de maintenant.

Cet amal­game entre l’Europe et la France d’aujourd’hui et l’Allemagne nazie d’hier n’est bien sûr pas le seul morceau de bravoure de ce numéro 1. Ce dernier est ryth­mé par divers­es rubriques et sous-rubriques, la plu­part dans le même ton yoga zen. La Croix heb­do s’intéresse par exem­ple sur deux pages à un sujet qui devrait sans doute bien plus motiv­er un mag­a­zine chré­tien : la PMA. Evidem­ment, la rédac­tion est gênée aux entour­nures, elle préfère donc rap­porter les pro­pos tenus par qua­tre per­son­nal­ités lors d’une soirée du Col­lège des Bernardins, de manière à ne pas avoir à s’engager, sauf à « faire droit au débat néces­saire » (ce qui par con­tre, dans les mêmes pages, ne vaut pas au sujet des migrants clan­des­tins). Mais le sujet de la PMA est sen­si­ble et La Croix heb­do, tout comme son aînée quo­ti­di­enne n’a pas envie de faire fuir des lecteurs sur cette déli­cate question.

Le numéro se ter­mine sur une grande par­tie « cul­ture » mais fourre-tout, se finis­sant elle-même par un « réc­it graphique » insipi­de comme une bande dess­inée pour bobo.

Vis­i­ble­ment le groupe Bayard et La Croix ont besoin d’élargir leur clien­tèle, et de la raje­u­nir. D’autant que nom­bre de lecteurs et d’abonnés du quo­ti­di­en le sont par vieille habi­tude. Le Paris qui a voté Macron suiv­ra-t-il ? D’autant qu’il y a la con­cur­rence d’un Téléra­ma qui a depuis longtemps cessé d’être un pro­gramme de télévi­sion, ori­en­tant plutôt les choix de livres et de films des bobos parisiens.