Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Tapie refuse d’indemniser les journalistes qui ont quitté la Provence

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

29 juin 2015

Temps de lecture : 4 minutes
Accueil | Veille médias | Tapie refuse d’indemniser les journalistes qui ont quitté la Provence

Tapie refuse d’indemniser les journalistes qui ont quitté la Provence

Temps de lecture : 4 minutes

En vertu des spécificités du droit du travail dans la presse, lorsqu’un journal est racheté par un nouvel actionnaire, les journalistes présents peuvent faire valoir leur droit à quitter le navire selon la « clause de cession » ; ils touchent alors une indemnité équivalente à un mois de salaire par année de travail, et au-delà de quinze ans d’ancienneté, un pourcentage – souvent significatif – calculé par la Commission Arbitrale. C’est précisément la situation d’une trentaine de candidats au départ à La Provence, journal racheté par Bernard Tapie. Sauf que contrairement à l’habitude, le patron de presse n’a pas l’intention de sortir son carnet de chèques !

La Com­mis­sion Arbi­trale a accordé une indem­nité de 2,2 mil­lions d’eu­ros aux par­tants, dont cer­tains sont des piliers du titre mar­seil­lais. Mais le 28 mai dernier, les avo­cats de Bernard Tapie ont déposé leurs con­clu­sions devant la Cour d’Ap­pel de Paris, dans lesquelles ils ont intro­duit un recours en annu­la­tion de la déci­sion de la Com­mis­sion. Ce qui n’ar­rive pour ain­si dire qua­si­ment jamais en matière d’in­dem­nités de jour­nal­istes par­tis lors d’une clause de ces­sion. L’Y­onne répub­li­caine s’y était essayé, lors de sa ces­sion au groupe Cen­tre France (le jour­nal bour­guignon con­tes­tait les indem­nités arbi­trées par la Com­mis­sion pour trois de ses jour­nal­istes) mais avait été débouté en appel puis en Cas­sa­tion. En revanche la Com­mis­sion arbi­trale se retrou­ve sou­vent attaquée – comme le prou­vent ces quelques arrêts recen­sés par le Con­seil Con­sti­tu­tion­nel, lorsqu’elle inter­vient sur son sec­ond – et prin­ci­pal – front qui est de venir en aide aux jour­nal­istes licenciés.

Selon les con­clu­sions des avo­cats, la déci­sion de la Com­mis­sion arbi­trale est… arbi­traire, car prise en petit comité de cinq juges. Les avo­cats de Tapie esti­ment qu’un « procès équitable sup­pose une impar­tial­ité des juges et une pub­lic­ité des débats ». Leur com­man­di­taire n’avait pour­tant rien trou­vé à redire à l’ar­bi­trage décidé par trois per­son­nes, dont une sus­pec­tée de par­tial­ité par le passé, qui l’a enrichi au détri­ment des con­tribuables… De plus, tou­jours selon les avo­cats de Bernard Tapie, la déci­sion de la Com­mis­sion Arbi­trale serait con­traire au principe général d’é­gal­ité devant le droit : « ces  indem­nités sont très large­ment supérieures à celles que peu­vent espér­er pou­voir un jour percevoir des salariés non jour­nal­istes. »  Ce qui pour le coup est vrai : la Com­mis­sion n’in­ter­vient que pour les jour­nal­istes tit­u­laires d’une carte de presse si bien que l’iné­gal­ité qui règne dans les médias français, entre jour­nal­istes choyés, sanc­tu­ar­isés et sur­pro­tégés d’un côté, et pigistes, employés en CDD et « bouche-trous » pré­caires et corvéables à mer­ci de l’autre, est logique­ment repro­duite. Mais ces con­clu­sions parais­sent d’une ironie cru­elle au regard, une fois de plus, du car­ac­tère excep­tion­nel du droit, tel qu’il fut appliqué à Tapie lui-même.

L’explication de ces recours procé­duri­ers est pour­tant très sim­ple. À Libéra­tion, Tapie a lâché crû­ment la vraie rai­son : « L’entreprise n’a plus de pognon, ça me choque ». Et lui non plus du reste. En févri­er 2015, la cour d’ap­pel de Paris a en effet annulé l’ar­bi­trage lui accor­dant 403 mil­lions d’eu­ros. En avril, la même juri­dic­tion avait déclaré irrecev­able un des recours en annu­la­tion. La bataille juridique con­tin­ue. Mais un autre recours déposé par deux sociétés de Tapie est bien par­ti pour être mis à la baille puisque l’av­o­cat général estime la demande irrecev­able. On sera fixé le 2 juillet.

En atten­dant, comme le dis­ait Jean-Pierre Mar­tel, avo­cat du con­sor­tium de réal­i­sa­tion (CDR) qui gère l’héritage du Crédit Lyon­nais, « l’ob­jec­tif (…) c’est de gag­n­er du temps (…) un art dans lequel M. Tapie est passé maître ». D’où le recours con­tre la Com­mis­sion arbi­trale. Si tous ces recours échouent, il devra ren­dre l’ar­gent dont il a déjà dépen­sé une par­tie. Et la galère Provence coulera prob­a­ble­ment, ou sera remorquée par un grand groupe de presse régionale.

Crédit pho­to : DR