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Pots de vin et journalisme : l’affaire Mohammed VI

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20 mars 2023

Temps de lecture : 4 minutes
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Pots de vin et journalisme : l’affaire Mohammed VI

Temps de lecture : 4 minutes

Deux journalistes français ont été condamnés pour avoir menacé le roi du Maroc de publier un livre lui étant fortement hostile. Ayant accepté un « arrangement financier », ils ont mis le doigt dans un funeste engrenage que le procès en appel n’effacera pas.

Le roi ne voulait pas chanter

C’est une affaire haute en couleurs qui était présen­tée mar­di 14 mars 2023 à Paris devant le tri­bunal cor­rec­tion­nel. Éric Lau­rent, 76 ans et Cather­ine Gra­ci­et, 48 ans, ont été con­damnés à une peine de prison d’un an avec sur­sis et 10 000 euros d’amende. Ils sont mis en cause dans une affaire de chan­tage roy­al ; les deux pro­tag­o­nistes auraient ain­si voulu faire chanter le sou­verain Mohammed VI, lui récla­mant de l’argent pour ne pas pub­li­er un livre dans lequel il aurait été forte­ment mis en cause.

En 2012, les deux jour­nal­istes avait déjà sor­ti un ouvrage polémique Le roi du Maroc dans lequel le chef d’État maghrébin était présen­té comme un loup financier qui s’était acca­paré les richess­es de son pays.

Traquenard ou magouilles corporatiste ?

Le déroulé de l’affaire est pour le moins éton­nant. Éric Lau­rent, passé par Radio France et le Figaro Mag­a­zine aurait directe­ment été con­tac­té par le secré­tari­at par­ti­c­uli­er du roi puis a ren­con­tré un émis­saire du roy­aume dans un palace parisien à l’été 2015. L’entrevue a été suiv­ie d’une plainte du Maroc con­tre les jour­nal­istes ; puis, se sont tenus deux autres ren­dez-vous, sous sur­veil­lance poli­cière, à la fin du mois d’août 2015. C’est lors de la dernière de ces ren­con­tres esti­vales que les deux jour­nal­istes ont signé un accord financier de 2 mil­lions d’euros pour renon­cer à leur livre. Quit­tant cette dernière réu­nion avec deux enveloppes de 40 000 euros en liq­uide, ils ont ensuite été bien oppor­tuné­ment interpellés.
Le tri­bunal cor­rec­tion­nel de Paris estime que ce sont les deux jour­nal­istes qui ont eu une démarche visant à faire pres­sion sur l’émissaire du roy­aume. Un émis­saire pas com­plète­ment can­dide qui avait pris soin d’enregistrer les échanges. Ces preuves audio ont d’ailleurs été qual­i­fiées d’irrégulières par la Cour de cas­sa­tion en 2016.

Scandales d’État et ministre de la Justice

Les jour­nal­istes se défend­ent d’un quel­conque chan­tage et admet­tent une « erreur déon­tologique » qui a con­sisté à accepter une propo­si­tion d’arrangement financier. Et pour cause : un jour­nal­iste, fut-il intro­duit dans des grands médias comme Éric Lau­rent, peut voir dans la per­spec­tive d’empocher un ou deux mil­lions d’euros, une oppor­tu­nité unique. En toile de fond de cette saga médi­ati­co-judi­ci­aire se joue une pièce aux ram­i­fi­ca­tions poli­tiques et diplo­ma­tiques mul­ti­ples. Car l’avocat du roy­aume en 2016 était un cer­tain Éric Dupond-Moret­ti… Après l’arrêt de cas­sa­tion de 2016, il avait affir­mé avec la provo­ca­tion qui le car­ac­téri­sait : « Si vous êtes vic­time d’extorsion de fonds, surtout ne prévenez ni la police ni le pro­cureur. » Sept ans plus tard, c’est lui qui dirige l’appareil judi­ci­aire du pays.

Du côté des actuels avo­cats du roy­aume, on estime que huit ans après les faits, la vérité l’a emporté quand la défense estime que « la vérité éclat­era plus tard ».

France-Maroc : zone de turbulences

Cette affaire se déroule dans un con­texte ten­du entre Paris et Rabat alors que la presse maro­caine accuse Emmanuel Macron de dou­ble jeu et que le roi du Maroc ne cache pas son mépris à l’égard du prési­dent français. Dans la sphère jour­nal­is­tique déjà, en début d’année, Rachid M’Barki, jour­nal­iste de BFMTV était accusé d’ingérence étrangère et écarté de l’antenne. En matière de rela­tions inter­na­tionales, cette séquence se tient alors que les deux pays doivent faire face à des remous dans l’opinion publique. Emmanuel Macron est forte­ment con­testé avec sa réforme des retraites quand son homo­logue Mohammed VI est cri­tiqué pour son rap­proche­ment avec l’État d’Israël. Le Maroc fait égale­ment l’objet de vives cri­tiques sur sa stratégie d’influence (ou de cor­rup­tion) auprès du Par­lement européen à l’instar du Qatar.

Cette affaire médi­a­tique s’inscrit ain­si dans une séquence très ten­due entre les deux pays alors que cer­taines voix s’élèvent pour faire val­oir les bien­faits d’une entente cor­diale entre Paris et Rabat. Ce qui ne sem­ble pas à l’ordre du jour.