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McKinseyGate : révélations en mode discret dans les médias de grand chemin

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4 avril 2022

Temps de lecture : 8 minutes
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McKinseyGate : révélations en mode discret dans les médias de grand chemin

Temps de lecture : 8 minutes

Première partie. Il y a 5 ans, François Fillon était candidat à la présidence de la République. Des révélations au sujet de ses dépenses en tant que parlementaire amenaient le Parquet National Financier à le mettre très rapidement en examen. L’intense battage médiatique qui s’en est suivi lui a probablement coûté sa qualification au second tour de l’élection présidentielle.

Cette année, de récentes révéla­tions con­cer­nant le prési­dent de la République en place et can­di­dat à sa réélec­tion ne font pas l’objet d’une telle médi­ati­sa­tion. Il y a pour­tant de la matière…

Nous revenons dans une série de deux arti­cles sur ce que l’on peut qual­i­fi­er de McK­in­sey­Gate, le scan­dale McK­in­sey, et de Rotschildgate, le scan­dale lié au pas­sage de Macron dans la banque d’affaires Roth­schild. Deux affaires révélées grâce à des médias d’investigation et au tra­vail de séna­teurs. Pre­mière par­tie sur le McK­in­sey­Gate aujourd’hui.

Le recours croissant à des cabinets conseil

Le recours par l’État français à des cab­i­nets de con­seil n’est pas une nou­veauté. Comme le soulig­nait Le Monde Diplo­ma­tique en novem­bre 2021: « la révi­sion générale des poli­tiques publiques, menée entre 2007 et 2012 (…) innove toute­fois dans la mesure où sa mise en œuvre implique des cab­i­nets de con­seil inter­na­tionaux, sou­vent d’origine nord-améri­caine, tels que McK­in­sey & Com­pa­ny ou le Boston Con­sult­ing Group ». Dès le début du quin­quen­nat prési­den­tiel d’Emmanuel Macron, les cab­i­nets de con­seil étaient « sur les start­ing blocks » pour rem­porter de nou­veaux marchés publics, notait le jour­nal Les Échos en décem­bre 2021.

En novem­bre 2021, une com­mis­sion d’en­quête séna­to­ri­ale com­mençait ses inves­ti­ga­tions sur « l’in­flu­ence crois­sante des cab­i­nets de con­seil privés sur les poli­tiques publiques ». Ses dernières révéla­tions nous appren­nent que dans cette course, il y a eu beau­coup de gag­nants, sauf peut-être le con­tribuable français. Le cab­i­net con­seil nord-améri­cain McK­in­sey appa­rait avoir béné­fi­cié d’une part par­ti­c­ulière­ment impor­tante des presta­tions de « con­seil stratégique » man­datées par l’État.

De nom­breux médias y ont con­sacré des arti­cles, sans toute­fois en faire un sujet cen­tral d’actualité, con­traire­ment à la cam­pagne de dén­i­gre­ment de François Fil­lon menée tam­bour bat­tant en 2017.

Les thèmes plus par­ti­c­ulière­ment abor­dés à ce sujet con­cer­nent l’ampleur du marché de con­seil de l’État, la nature des « con­seils privés », l’évasion fis­cale organ­isée par McK­in­sey France, le rôle d’agent d’influence des cab­i­nets de con­seil et les liens entre McK­in­sey et Emmanuel Macron et plus générale­ment son par­ti LREM.

L’ampleur du marché des cabinets de conseil

Le quo­ti­di­en Le Monde souligne le 17 mars l’une des révéla­tions de la com­mis­sion d’enquête séna­to­ri­ale sur le recours aux cab­i­nets de con­seils privés : « l’État a dépen­sé plus de 1 mil­liard d’euros en 2021 pour ces mis­sions, la moitié en con­seil infor­ma­tique, l’autre en stratégie et organ­i­sa­tion ».

BFMTV met l’évolution du recours à ces presta­tions en per­spec­tive : « si les dépens­es des min­istères en con­seil s’établissaient à 893,9 mil­lions d’euros en 2021, elles n’étaient “que” de 379,1 mil­lions en 2018, soit un bond de près de 136% en qua­tre ans et de près de 45% pour la seule année 2021 ».

La nature des « conseils privés »

Cer­tains médias soulig­nent des « inter­ro­ga­tions » con­cer­nant la nature de cer­taines presta­tions, mis­es en lumière par la com­mis­sion d’enquête sénatoriale.

Le Télé­gramme donne quelques exem­ples : « la réforme des APL pour un mon­tant total de 3,88 M€ »,  le développe­ment du « Baromètre des résul­tats de l’action publique (3,12 M€) ».

Pub­lic Sénat men­tionne « l’exemple le plus médi­atisé » : la pré­pa­ra­tion d’un col­loque sur l’avenir du méti­er d’enseignant, réal­isé par McK­in­sey à la demande du min­istère de l’Éducation nationale, pour un mon­tant de 496 800 euros (…) Au total, 68 com­man­des ont été passées par l’État à des con­sul­tants ». La chaine par­lemen­taire souligne de façon pudique la « qual­ité iné­gale des livrables ». Mais « l’affaire » ne se lim­ite pas à des mis­sions d’audits par­fois matéri­al­isées par quelques pow­er­points ven­dus à prix d’or. Une affaire dans l’affaire qui refait sur­face ces dernières semaines avait pour­tant été révélée dès févri­er 2021 par le jour­nal Le Monde.

L’évasion fiscale organisée par McKinsey France

Le 5 févri­er 2021, Le Monde con­sacrait un arti­cle à « McK­in­sey, un cab­i­net dans les pas d’Emmanuel Macron ». La stratégie d’ « opti­mi­sa­tion fis­cale » de la fil­iale française de la firme améri­caine y était évo­quée. 20 min­utes men­tionne dans un arti­cle du 30 mars 2021 le recours au « prix de trans­fert », cette tech­nique si prisée par les multi­na­tionales pour faire baiss­er arti­fi­cielle­ment les béné­fices de leurs fil­iales et par­fois échap­per totale­ment à l’impôt sur les sociétés dans les pays où elles exer­cent leur activ­ité. Le média souligne égale­ment que la com­mis­sion d’enquête séna­to­ri­ale a établi que « le cab­i­net McK­in­sey est bien assu­jet­ti à l’impôt sur les sociétés (IS) en France mais ses verse­ments s’établissent à zéro euro depuis au moins 10 ans », en dépit des déc­la­ra­tions de l’un de ses dirigeants lors d’une audition.

Le rôle d’agent d’influence des cabinets conseils

Cer­tains médias, plus rares, abor­dent le rôle des cab­i­nets de con­seil dans le domaine plus par­ti­c­uli­er de la stratégie et de la « gou­ver­nance » de la fonc­tion publique. Car au-delà du recours à des sociétés ayant une spé­cial­i­sa­tion dans un domaine de com­pé­tence par­ti­c­uli­er (infor­ma­tique, etc.), c’est l’influence des cab­i­nets de con­seil dans le pilotage de l’action publique qui est questionnée.

La com­mis­sion d’enquête séna­to­ri­ale sur le recours aux cab­i­nets con­seil souligne dans un doc­u­ment de syn­thèse leur stratégie d’influence dans le débat pub­lic (page 7). Tant la majorité prési­den­tielle que les cab­i­nets con­seil sem­blent y trou­ver leur compte.

Dans L’Express, un ancien délégué inter­min­istériel à l’in­tel­li­gence économique souligne que le recours à ceux-ci est « idéologique ». Il « réfute l’idée que l’É­tat manque de com­pé­tences en interne ».

Sur un plan plus théorique, deux uni­ver­si­taires ont con­sacré dans la revue Actes de la recherche en sci­ences sociales en 2012 un arti­cle aux « con­sul­tants et à la réforme des ser­vices publics ». On y apprend que der­rière « l’expertise ges­tion­naire » se cachent de nom­breux pré­sup­posés et par­tis pris idéologiques, sou­vent empreints de cul­ture néo-libérale américaine.

Les liens entre McKinsey et Emmanuel Macron

Les liens entre McK­in­sey et Emmanuel Macron ont fait l’objet en févri­er 2021 d’un arti­cle du Monde. Mais à la veille de l’élection prési­den­tielle, ils refont sur­face de façon encore plus détaillée.

Il s’agit d’une longue his­toire, puisque comme nous l’apprend Le Télé­gramme, « les liens entre Emmanuel Macron et le cab­i­net McK­in­sey remon­tent à 2007. Emmanuel Macron, alors inspecteur des finances, a 29 ans ».

Médi­a­part titre un arti­cle paru le 31 mars sur les « presta­tions offertes et jeux d’influence : révéla­tions sur McK­in­sey et Emmanuel Macron ». Les exem­ples ne man­quent sur ce qui sem­ble être un retour d’appareil sur le mode « don con­tre don » théorisé par Mar­cel Mauss. « On vendait des for­tunes des trucs effarants de nul­lité », aurait avoué un ancien con­sul­tant de McK­in­sey au site d’investigation.

Der­rière les organ­i­sa­tions, il y a les hommes et les femmes. Des salariés de McK­in­sey ont été « bénév­oles » pen­dant la cam­pagne prési­den­tielle d’E. Macron en 2017. France 24 cite l’enquête du Monde : « Plusieurs con­sul­tants ou anciens con­sul­tants du cab­i­net qui avaient par­ticipé bénév­ole­ment à la cam­pagne du can­di­dat Macron en 2017 ont ensuite inté­gré des postes au sein de la Macronie ».

Sur Twit­ter, de nom­breux abon­nés pub­lient des tweets plus ou moins doc­u­men­tés et sour­cés sur les liens entre le cab­i­net McK­in­sey et la « macronie ». Ain­si Éric Anceau illus­tre un Tweet sur « La République McK­in­sey en marche ! » par des CV de jeunes « marcheurs » passés par McKinsey.

La contre-attaque

Le camp prési­den­tiel ne reste pas inerte. Comme nous l’apprend BFM TV le 27 mars , « inter­rogé sur l‘affaire McK­in­sey, Macron s’agace et con­teste d’éventuelles « com­bines ». La pho­to qui illus­tre cette con­tre-attaque mon­tre le prési­dent avec sa gestuelle si par­ti­c­ulière qui a su faire illu­sion pen­dant les dernières années.

Le 28 mars, c’est « le gou­verne­ment (qui) crie au « com­plo­tisme » des oppo­si­tions sur McK­in­sey », nous informe le jour­nal Libéra­tion.

Lors d’une con­férence de presse organ­isée le 30 mars ani­mée par deux min­istres, Olivi­er Dus­sopt et Amélie de Montchalin ten­tent de démin­er le ter­rain : « Les attaques sont de plus en plus fortes & grossières (…) nous allons rap­pel­er un cer­tain nom­bre de faits pour que le débat démoc­ra­tique puisse vivre claire­ment ».

L’ex patron de Sud radio, Didi­er Mais­to,  tient égale­ment à rap­pel­er sur Twit­ter « un cer­tain nom­bre de faits » :

« 1. Olivi­er Dus­sopt est visé par une enquête du PNF pour cor­rup­tion et prise illé­gale d’intérêts
2. Le mari d’Amélie de Montchalin a été mem­bre de Boston Con­sult­ing Group jusqu’en 2020, cab­i­net de con­sul­tants au cœur du scan­dale d’État ».

Con­jugué au Rotschildgate, c’est en creux un nou­veau vis­age du régime LREM en place qui appa­rait, fait d’affairisme, de retours d’ascenseur et de dépens­es faramineuses et con­testa­bles. Si dans les réseaux soci­aux, en par­ti­c­uli­er sur Twit­ter, les com­men­taires sont acerbes, le peu de médi­ati­sa­tion de cette « affaire » revient en boucle. Le juriste Régis de Castel­nau fait part sur Front pop­u­laire de son « ver­dict », bien que la jus­tice ne se soit pas emparée de l’affaire :

« Le patron de la république bananière s’agace. Pour le #McK­in­sey­Macron­Gate, j’ai noté pas moins de 5 infrac­tions pénales prob­a­bles. Fraude fis­cale, Con­cus­sion, Délit de favoritisme, faux témoignages et bien sûr Cor­rup­tion. Coucou le PNF ».

Cir­culez, il n’y a rien à voir. À suivre…