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Marlène Schiappa sur RTL ? Féministes il y a encore du boulot !

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30 octobre 2017

Temps de lecture : 6 minutes
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Marlène Schiappa sur RTL ? Féministes il y a encore du boulot !

Temps de lecture : 6 minutes

Durant la semaine du 16 au 20 octobre 2017, la parole la plus prononcée et les mots les plus écrits dans les médias français sont : « La parole a été libérée ». Référence au prédateur sexuel Harvey Weinstein ainsi qu’à sa conséquence française, la mise en œuvre d’un hashtag #balancetonporc sur Twitter. C’est dans ce contexte que la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes était l’invitée d’Élizabeth Martichoux le lundi 16 octobre lors de RTL Matin. Onze minutes révélatrices de l’état du féminisme en France, tant même cette secrétaire d’État-là paraît en retard et sous influence. À quand une vraie déconstruction de la domination masculine en France ?

À féminisme, féminisme et demi

Pour Mar­lène Schi­ap­pa, la décon­struc­tion de la dom­i­na­tion mas­cu­line c’est main­tenant. Précédée par le Prési­dent de la République, lors de sa con­férence de presse télévisée du dimanche soir 15 octo­bre 2017, Mar­lène Schi­ap­pa est invitée pour expos­er les con­tours de son pro­jet de loi sur le har­cèle­ment de rue. Éliz­a­beth Mar­ti­choux tend la perche du stu­dio à la secré­taire d’État au sujet de cette sur­prenante préséance du chef de l’État. L’auditeur ou le téléspec­ta­teur suiv­ant l’entretien sur le site de la radio s’étonne : la secré­taire d’État ne relève pas, parais­sant com­pren­dre que la jour­nal­iste juge dom­mage­able que le prési­dent ait en quelque sorte ven­du la mèche. Le sourire de Mar­lène Schi­ap­pa en dit long sur cette incompréhension.

À l’évidence, Éliz­a­beth Mar­ti­choux n’interroge pas sur une indéli­catesse ou une petite erreur de com­mu­ni­ca­tion mais bien sur le fait même de cette préséance du chef de l’État en tant qu’il est un homme. C’est bien de dom­i­na­tion mas­cu­line et du fait que cette dom­i­na­tion se pra­tique même chez ceux qui s’annoncent en charge de la com­bat­tre que la jour­nal­iste veut sig­naler à la prin­ci­pale mil­i­tante de ce com­bat au sein du gou­verne­ment. En effet, une fois de plus la parole ne sem­ble pas si libérée que cela : un homme poli­tique de sexe mas­culin a volé la vedette à une femme poli­tique por­tant un pro­jet, sig­nalant ain­si que ce pro­jet porté par une femme est avant tout le sien. Ce que du reste la Secré­taire d’État recon­naît à plusieurs repris­es au cours de l’entretien, en se plaçant sous la pro­tec­tion toute patri­ar­cale d’Emmanuel Macron.

Élizabeth Martichoux ne comprend pas bien ? Nous, non plus

Ce n’est pas le seul moment sur­prenant de l’entretien accordé par Madame Schi­ap­pa à RTL. Lais­sons de côté la sus­cep­ti­bil­ité à fleur de peau de la Secré­taire d’État, récu­sant le mot de « mil­i­tante » pronon­cé à son pro­pos par la jour­nal­iste au sujet de la PMA, préférant insis­ter sur son statut de « mem­bre con­va­in­cue du gou­verne­ment » – une sus­cep­ti­bil­ité qui est dev­enue une mar­que de fab­rique du macro­nisme. Le plus impor­tant est que Madame Schi­ap­pa a eu du mal à se faire com­pren­dre. Les expli­ca­tions de la Secré­taire d’État quant aux fonde­ments et au con­tenu à venir de son pro­jet de loi n’ont guère été audi­bles à l’antenne, tant pour l’auditeur que pour Madame Mar­ti­choux. Cette dernière a en effet beau­coup insisté pour que Madame Schi­ap­pa parvi­enne à expli­quer ce qu’est « le har­cèle­ment de rue ». La Secré­taire d’État n’y est pas claire­ment par­v­enue, ce qu’aucun média offi­ciel n’a jugé utile de soulign­er les jours suiv­ants. L’invitée com­mence par expos­er que « l’idée de la ver­bal­i­sa­tion du har­cèle­ment de rue, c’est qu’il y ait du fla­grant délit. Que les forces de l’ordre puis­sent ver­balis­er le har­cèle­ment de rue ». Ceci étant posé, Éliz­a­beth Mar­ti­choux s’interroge à juste titre sur ce qu’est « le har­cèle­ment de rue ».

En effet, tant qu’à ver­balis­er et à don­ner des amendes à des indi­vidus pour un délit, il peut sem­bler néces­saire que ce délit soit non seule­ment car­ac­térisé mais qu’il soit préal­able­ment défi­ni. C’est ce dernier verbe que la jour­nal­iste utilise, regret­tant juste­ment que le har­cèle­ment de rue ne soit pas « défi­ni ». Réponse de la por­teuse de pro­jet : « Très bien ! J’ai instal­lé un groupe de par­lemen­taires dont la mis­sion est juste­ment de le définir ». L’auditeur tend l’oreille… En cette séquence médi­a­tique où la ques­tion du sex­isme, du har­cèle­ment et des agres­sions sex­uelles est au cen­tre de toutes les atten­tions, semaine qui débute par l’annonce d’un « grand pro­jet de loi pour lut­ter con­tre le har­cèle­ment de rue », la Secré­taire d’État explique posé­ment que ce délit con­tre lequel la loi devra lut­ter n’est pas défi­ni. Qu’il n’a pas encore d’existence con­ceptuelle en somme. Sur­prise, Madame Mar­ti­choux insiste afin de com­pren­dre. Réponse de Mar­lène Schi­ap­pa : « On peut retenir la déf­i­ni­tion du har­cèle­ment de rue [dont elle vient juste­ment d’expliquer qu’il n’était pas défi­ni – la pen­sée com­plexe paraît s’étendre], et on peut retenir la notion d’outrage sex­iste, dont cer­tains experts dis­ent qu’il suf­fit effec­tive­ment d’une fois, dès lors que le car­ac­tère d’intimidation instal­lant un cli­mat d’insécurité pour les femmes est prou­vé ». Donc… Une preuve d’un cli­mat d’insécurité provo­qué par un délit dont la nature n’est pas définie mais dont on peut tout de même retenir… la définition.

Silence, quand tu nous tiens

Madame Schi­ap­pa pré­cise sa pen­sée : « On sait très bien intime­ment à par­tir de quand on se sent intimidée, harcelée, en insécu­rité ». Ain­si, la déf­i­ni­tion du har­cèle­ment de rue, délit qui va con­duire à des ver­bal­i­sa­tions et à des amendes, dépen­dra du « ressen­ti » de la per­son­ne non gen­rée de type féminin se sen­tant vic­time dudit har­cèle­ment. La Secré­taire d’État annonce une « for­ma­tion » pour les policiers, ce qui ne man­quera pas de les ras­sur­er. Reste que cette « déf­i­ni­tion » (l’in­time­ment) peut sur­pren­dre dans une république dont le socle est fondé sur le Bien com­mun, lequel ne fixe pas des lois en diver­sité, et rel­a­tivistes selon le ressen­ti des indi­vidus, mais des lois val­ables pour tous. La loi déter­mine les dél­its en fonc­tion de critères objec­tifs et non pas sub­jec­tifs. Ici, le bon vouloir d’un indi­vidu gen­ré de type féminin deviendrait-il source de l’application de la loi ? La ques­tion mérit­erait d’être posée. Elle ne l’est pas.

Pour­tant, ne rien com­pren­dre n’est pas tout. Il y a aus­si les silences. Et dans RTL Matin, ce lun­di 16 octo­bre 2016, ils sont silences bruyants. Pas un mot sur le har­cèle­ment de rue tel qu’il se développe dans cer­tains quartiers ? Pas un mot non plus sur cette forme de har­cèle­ment de rue qu’est le har­cèle­ment sex­iste ves­ti­men­taire inhérent à la cul­ture d’une par­tie spé­ci­fique des com­mu­nautés for­mant nation française ? Non. Pas un mot. Pas une ques­tion non plus. Madame Schi­ap­pa encore un effort ! Osez le fémin­isme ! Sans tabous ?

Crédit pho­to : cap­ture d’écran vidéo RTL