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Les derniers jours de Samuel Paty, une enquête exemplaire

16 juillet 2023

Temps de lecture : 5 minutes
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Les derniers jours de Samuel Paty, une enquête exemplaire

Temps de lecture : 5 minutes

Souvenez-vous, c’était le 16 octobre 2020, il y a bientôt trois ans et nous avons presque oublié. Ce jour-là Samuel Paty, professeur d’histoire géographie au collège du bois d’aulne de Conflans-Sainte-Honorine était assassiné puis décapité par le Tchétchène Aboullakh Abouyezi Anzorov, arrivé en France comme réfugié en 2010. Un récit exemplaire et glaçant sous plume alerte et la signature de Stéphane Simon qui se lit comme un thriller effrayant. Suivons en abrégé son enquête jour par jour.

5 octobre

Samuel Paty donne un cours d’éducation civique et morale. Au col­lège ce sont les pro­fesseurs d’histoire géo­gra­phie qui don­nent ce cours. Il le donne à la qua­trième 5, sur le thème de la lib­erté d’expression et par­mi de nom­breux sujets abor­de celui de la tuerie de Char­lie heb­do en mon­trant rapi­de­ment qua­tre des car­i­ca­tures pub­liées par le jour­nal. Par mesure de pré­cau­tion, il indique que cer­taines images peu­vent être choquantes et invite les plus sen­si­bles à quit­ter la classe quelques min­utes, ce que font cinq élèves. Pas de com­men­taires particuliers.

6 octobre

La prin­ci­pale de l’école reçoit la mère de Yas­mi­na de qua­trième cinq. Yas­mi­na se plaint auprès de sa mère, que Samuel Paty aurait demandé aux élèves musul­mans de sor­tir du cours au moment des car­i­ca­tures, ce qui est faux, la prin­ci­pale enreg­istre et rassure.

7 octobre

Inter­ven­tions des par­ents de Zora, qua­trième 5 aus­si ; comme Yas­mi­na et sur le même reg­istre que celle-ci, elle dénonce Samuel Paty. Zora est con­nue comme un élé­ment per­tur­ba­teur, absences répétées, inci­vil­ités, insultes, et est sous le coup d’une expul­sion tem­po­raire de deux jours du col­lège. Le père de Zora, Brahim Chn­i­na, ancien repris de jus­tice devenu islamiste, envoie un mes­sage Face­book de dénon­ci­a­tion en don­nant le patronyme de Samuel Paty et l’adresse du col­lège. Seul prob­lème, Zora n’a pas pu assis­ter au cours l’ayant séché toute la journée, elle a été ren­seignée par Yas­mi­na et tente de jus­ti­fi­er son exclu­sion de deux jours comme une sanc­tion islamophobe.

8 octobre

Le matin, la mère de Zora est reçue par la prin­ci­pale et dénonce le com­porte­ment « scan­daleux et islam­o­phobe » de Samuel Paty. Zora (qui n’a pas assisté au cours, rap­pelons-le) est « per­tur­bée et souf­fre », d’ailleurs le père de Zora vien­dra en témoign­er promet-elle. Dans l’après-midi le père Brahim Chn­i­na, exige d’être reçu par la prin­ci­pale, il est accom­pa­g­né d’un fichi­er S Abdel­hakim Sefreioui, que la direc­trice prend pour un mem­bre de la famille. En fin de journée Brahim Chn­i­na dépose une plainte pour dis­crim­i­na­tion con­tre Samuel Paty et dif­fuse une vidéo de 2 min­utes où il attaque le pro­fesseur et qui sera très large­ment reprise.

9 octobre

Courageuse­ment, cer­tains des enseignants du col­lège, mis au courant des vidéos et des men­aces des par­ents de Zora, pren­nent leurs dis­tances. Une col­lègue con­sid­ère que « Samuel a merdé » et veut envoy­er une let­tre de plainte à l’académie, ce qu’elle ne fera pas sur les réserves d’un autre professeur.

Inter­ven­tion du « référent laïc­ité » de l’académie qui, soucieux de ménag­er la chèvre islamiste et le chou de la lib­erté d’expression, aban­donne Samuel Paty en rase cam­pagne. Il con­sid­ère que le pro­fesseur a une « appré­ci­a­tion inex­acte de la laïc­ité et de la neu­tral­ité », il a com­mis « une erreur » de bonne foi certes mais une erreur, il a été « mal­adroit » et a « frois­sé les élèves ». Le cirque des par­ents de Zora con­naît une vraie réus­site académique et médiatique.

10 et 11 octobre

C’est le week-end. De nom­breux mes­sages de sol­i­dar­ité avec Zora et ses par­ents sont repris par une par­tie de la com­mu­nauté musul­mane ; le ton va de la sim­ple répro­ba­tion à la men­ace affir­mée. Moins sol­idaire, une pro­fesseur de français du col­lège se démar­que de son col­lègue « Je ne sou­tiens pas notre col­lègue ». Entre référent laïc­ité qui le désavoue et cer­tains pro­fesseurs, Samuel Paty doit se sen­tir un peu seul.

12 octobre

C’est con­nu, la peur est com­mu­nica­tive. Le lun­di, deux autres pro­fesseurs du col­lège con­damnent Samuel Paty et son com­porte­ment inadapté.

13 octobre

C’est le jour où Chn­i­na et Anzarov échangent des appels télé­phoniques, dont la teneur demeure incertaine.

14 octobre

Samuel Paty porte plainte con­tre Brahim Chn­i­na. La prin­ci­pale du col­lège reçoit de nom­breux mes­sages en colère, appels télé­phoniques furieux de par­ents d’élèves musul­mans et d’autres.

15 octobre

Anzarov veut se pro­cur­er une arme, il alerte deux amis : Azim, tchétchène comme lui et Naïm, fran­co-algérien, pour l’aider à en trou­ver. Il achète un couteau qui sera l’arme du crime, veut un revolver, n’en trou­ve pas et se con­tentera d’un pis­to­let à air com­primé. Il est déjà en pos­ses­sion d’un couteau Laguiole de grande taille qu’il utilis­era pour décapiter sa victime.

16 octobre

Naïm dépose Anzarov à prox­im­ité du col­lège sans con­naître ses inten­tions (?). Anzarov, qui con­naît le nom de Samuel Paty mais pas son vis­age, donne 300 euros à des col­légiens pour qu’ils le désig­nent, ce qu’ils font. À 16h52, Anzarov poignarde puis décapite Samuel Paty qui ren­trait à son domi­cile à pied. À 16h55 il envoie des pho­tos sur Snapchat et Insta­gram. Menaçant, il est abat­tu par la police.

Conclusion

Que reste‑t’il de Samuel Paty ? Décoré à titre posthume de la Légion d’honneur, tout comme le « référent laïc­ité » qui a été pro­mu de son côté inspecteur d’académie et est bien vivant. Un réc­it jour­nal­is­tique exem­plaire (nom­breuses sources, toutes avec leurs références) qui donne à penser et à agir, nour­ri de très nom­breuses notes en bas de pages, un réc­it comme on souhait­erait en voir plus sou­vent, mais sur d’autres sujets moins macabres.

Stéphane Simon, Les derniers jours de Samuel Paty, Enquête sur une tragédie qui aurait pu être évitée, Plon, 2023, 236p, 21€

Illus­tra­tion : cap­ture d’écran C dans l’air, Stéphane Simon — Enquête : les derniers jours de Samuel Paty, 13 avril 2023