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Allemagne : Facebook et son shérif Violence Prevention Network

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3 septembre 2021

Temps de lecture : 7 minutes
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Allemagne : Facebook et son shérif Violence Prevention Network

Temps de lecture : 7 minutes

En tapant Junge Freiheit (hebdomadaire conservateur allemand NDR) sur Facebook, l’avertissement suivant apparaissait encore récemment : « Ces termes de recherche peuvent être associés à des groupes et individus extrémistes ».

Face­book tra­vaille avec « des organ­i­sa­tions qui aident à empêch­er la prop­a­ga­tion de la haine et de l’ex­trémisme vio­lent ». Les util­isa­teurs de Face­book peu­vent ain­si obtenir des infor­ma­tions auprès du « Vio­lence Pre­ven­tion Network/Réseau de préven­tion de la vio­lence » (VPN).

En un clic de souris, vous accédez au site inter­net du réseau, une organ­i­sa­tion non gou­verne­men­tale alle­mande active dans le domaine de la préven­tion de l’ex­trémisme et de la dé-rad­i­cal­i­sa­tion Entre-temps, la référence alar­mante con­cer­nant Junge Frei­heit a dis­paru. Cepen­dant, elle con­tin­ue d’ap­pa­raître lorsque l’on tape le nom de nom­breuses organ­i­sa­tions, asso­ci­a­tions et édi­teurs du spec­tre con­ser­va­teur ou de droite.

Qui ?

Qui déter­mine donc quelles organ­i­sa­tions reçoivent la men­tion « extrémistes » ? Face­book ou le Vio­lence Pre­ven­tion Net­work ? Et selon quels critères ces aver­tisse­ments sont-ils attribués ? On s’en serait douté : les deman­des adressées à Face­book à ce sujet restent sans réponse ; la société, opaque, ne révèle des infor­ma­tions que dans les cas les plus rares. Trou­ver un con­tact direct est presque impos­si­ble. De même avec le Vio­lence Pre­ven­tion Net­work. Aucune réponse à nos deman­des de ren­seigne­ments par cour­riel pen­dant deux semaines. L’at­taché de presse n’est pas joignable au télé­phone car « actuelle­ment en con­férence » et « revien­dra vers vous plus tard ». Mais aucun appel ne suit. Nou­v­el essai : l’at­taché de presse est absent…

De l’exploitation de la peur supposée

…De tels aver­tisse­ments sont “dégradants pour les four­nisseurs com­mer­ci­aux de médias et à l’en­con­tre de nos lois sur la con­cur­rence”, com­mente l’av­o­cat Joachim Stein­höfel dans une inter­view accordée à Junge Frei­heit. Il ajoute : « ils ne sont pas autorisés, même pour les prestataires à but non lucratif. Parce que, pour autant qu’on puisse le voir, ils n’ont aucune base con­tractuelle et sem­blent égale­ment vio­l­er les droits de la per­son­ne. Le prob­lème est que presque per­son­ne ne s’en défend”. Le déséquili­bre entre le mono­pole du non sub­sti­tu­able et tout puis­sant Face­book et le sim­ple util­isa­teur joue égale­ment un rôle ici », explique Maître Steinhöfel.

Ain­si, une ONG privée sert de porti­er de l’e­space pub­lic et en règle l’ac­cès. De tels aver­tisse­ments peu­vent naturelle­ment effray­er un util­isa­teur non aver­ti des réal­ités des réseaux soci­aux, ce qui a égale­ment des con­séquences économiques directes pour les médias con­cernés, ain­si mar­qués au fer rouge.

Qui est derrière le Violence Prevention Network ?

Alors, qu’est-ce que le Vio­lence Pre­ven­tion Net­work ?

Cette asso­ci­a­tion, fondée en 2004, se veut « un réseau de spé­cial­istes expéri­men­tés qui œuvrent avec suc­cès depuis des années dans la dé-rad­i­cal­i­sa­tion des crim­inels vio­lents motivés par l’ex­trémisme, comme dans la préven­tion de l’ex­trémisme ». Depuis 2015, le réseau, cen­tre de con­seil péd­a­gogique, est prin­ci­pale­ment financé par le pro­gramme « Démoc­ra­tie vivante » du min­istère fédéral de la Famille, des Aînés, de la Femme et de la Jeunesse. Il y a six ans, divers pro­jets du réseau rece­vaient 330 000 € de sub­ven­tions. Le total est passé à 340 000 € en 2016, puis à 1 875 130 € en 2017, 2 910 720 € en 2018 et enfin à 3 360 115 € pour 2019. Au cours des deux dernières années, l’or­gan­i­sa­tion a reçu 2 932 419,86 € (2020), plus 3 005 891,70 € de fonds de pro­jets, aux­quels s’a­joutent, pour le finance­ment de l’as­so­ci­a­tion, près de 455 000 € de sub­ven­tions par an. Un sou­tien financier est égale­ment accordé par plusieurs Län­der (n.d.t. = entités cor­re­spon­dant très approx­i­ma­tive­ment à nos régions). Pour 2019, le réseau indique un bud­get total de 7 535 003,10 €. De quoi employ­er aujour­d’hui plus de 100 salariés à temps plein.

L’as­so­ci­a­tion exerce égale­ment son influ­ence en con­seil­lant le gou­verne­ment fédéral. L’an­née dernière, elle a par­ticipé aux audi­ences prélim­i­naires de la « Com­mis­sion gou­verne­men­tale pour la lutte con­tre l’ex­trémisme de droite et le racisme ». Une com­mis­sion qui a décidé de la répar­ti­tion de plus d’un mil­liard d’eu­ros dans la « Lutte con­tre la droite ». Des représen­tants du réseau ont siégés au comité dirigé par le secré­taire d’É­tat du min­istère de l’In­térieur, Markus Ker­ber. L’ac­cent a été mis, entre autres, sur « le ren­force­ment de la coopéra­tion entre les autorités de sécu­rité, le pou­voir judi­ci­aire, l’É­tat et les organ­i­sa­tions de la société civile » dans le domaine de la lutte con­tre l’ex­trémisme de droite et le racisme. Le compte ren­du offi­ciel de cette réu­nion, con­sultable sur le site inter­net du min­istère fédéral de l’In­térieur, présente l’une des reven­di­ca­tions cen­trales des par­tic­i­pants : « La coopéra­tion entre les ONG et les organes exé­cu­tifs de l’É­tat » devrait être « insti­tu­tion­nal­isée », peut-on lire. Des organ­i­sa­tions privées récla­ment donc plus d’in­flu­ence sur un domaine de com­pé­tence de l’État.

Un “Violence Prevention Network” antipopuliste

Le réseau a su très tôt utilis­er la focal­i­sa­tion du gou­verne­ment fédéral actuel sur la « lutte con­tre la droite ». Dès 2015, il annonçait : « La mon­tée en puis­sance des par­tis et mou­ve­ments pop­ulistes de droite tels que Pegi­da ou AfD force à met­tre en œuvre davan­tage de pro­jets visant l’ex­trémisme de droite. » Nou­veaux pro­jets, donc nou­velles sub­ven­tions — pour Vio­lence Pre­ven­tion Net­work aussi.

L’ac­cent est donc mis sur l’ex­trémisme de droite. L’as­so­ci­a­tion s’in­ter­roge dans ses brochures si le terme con­cerne aus­si les « con­ser­va­teurs nation­al­istes, la Nou­velle Droite, la Révo­lu­tion Nationale ou Con­ser­va­trice », « ou s’il se lim­ite sim­ple­ment au nation­al-social­isme et au néo-nazisme ». Le réseau veut non seule­ment for­mer les esprits sur Inter­net mais aus­si influ­encer tous les espaces publics — jusqu’aux jardins d’en­fants : le pro­jet « Ear­ly Birds » vise à lut­ter con­tre les dis­crim­i­na­tions dès l’âge prés­co­laire. Les édu­ca­teurs doivent être for­més à traiter avec des par­ents « qui s’ex­pri­ment et se com­por­tent de manière dis­crim­i­na­toire, général­isée et désoblig­eante envers cer­tains groupes de per­son­nes ». « Islam­o­pho­bie », « image néga­tive des réfugiés/migrants »,  « pop­ulisme de droite » comme « extrémisme de droite » sont des mots clés.

Deux­ième grand sujet du cen­tre de con­seil : l’is­lamisme — car il est « devenu clair que les cas de jeunes exposés à des proces­sus de rad­i­cal­i­sa­tion islamiste sont en aug­men­ta­tion en Alle­magne ». Le réseau offre des aides et des for­ma­tions dans les pris­ons pour socialis­er autant que pos­si­ble les détenus islamistes, visant à dés-idéol­o­gis­er les per­son­nes rad­i­cal­isées par le biais de pro­jets édu­cat­ifs et effectue un tra­vail d’in­for­ma­tion dans les mosquées.

Des employés pour le moins discutables

…L’ir­réal­isme des tra­vailleurs soci­aux de ce réseau atteint par­fois cer­taines lim­ites, comme on a pu le con­stater lorsque le touriste Thomas L. a été assas­s­iné à Dres­de en 2020. L’a­gresseur afghan, qui avait poignardé des homo­sex­uels avec un couteau par haine, était aupar­a­vant en prison où il avait été pris en charge par le réseau – ce qui ne l’a vis­i­ble­ment pas fait aban­don­ner sa vision du monde selon l’is­lam. « Un risque résidu­el demeure », a regret­té ensuite le directeur général du Vio­lence Pre­ven­tion Net­work, Thomas Mücke, diplômé en péd­a­gogie, dans un quo­ti­di­en berli­nois. « En ce qui con­cerne la dé-rad­i­cal­i­sa­tion, il faut sup­pos­er que des rechutes peu­vent sur­venir. On ne peut pas étein­dre tous les incendies, mais empêch­er qu’ils se propa­gent comme un feu de paille ».

Source : Junge Frei­heit, 09/08/2021. Tra­duc­tion AC (nous avons un peu rac­cour­ci l’article original).

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