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Accueil | Veille médias | Un ministère de la Vérité au gouvernement espagnol

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18 décembre 2020

Temps de lecture : 5 minutes
Accueil | Veille médias | Un ministère de la Vérité au gouvernement espagnol

Un ministère de la Vérité au gouvernement espagnol

Temps de lecture : 5 minutes

Le contraste est frappant : une recherche Google sur les mots Espagne + “fake news” + Sanchez ne fait apparaître qu’un seul article critique du gouvernement de gauche (et d’extrême gauche) espagnol, celui de RSF qui s’inquiète de « la liberté de la presse menacée par la procédure du gouvernement contre la désinformation ». En revanche, une recherche sur les mots Hongrie + “fake news” + Orban permet d’obtenir dans les premiers résultats uniquement des titres laissant entendre que la Hongrie serait désormais une dictature.

Pedro Sanchez crée une structure extra-judiciaire

Les arti­cles en ques­tion datent du print­emps 2020 quand, dans le cadre de « l’état de dan­ger » décrété pour faire face à la pandémie, un délit de dés­in­for­ma­tion avait été instau­ré en Hon­grie pour tout acte de dés­in­for­ma­tion volon­taire et malveil­lant en rap­port avec la pandémie de Covid-19. L’état de dan­ger n’exonérait toute­fois pas le gou­verne­ment d’avoir à traduire les con­trevenants devant les tri­bunaux. L’article de RSF porte au con­traire sur une struc­ture extra-judi­ci­aire per­ma­nente, mise en place par le gou­verne­ment de Pedro Sánchez pour lut­ter con­tre la dés­in­for­ma­tion dans les médias et sur les réseaux soci­aux. Pub­liée le 5 novem­bre dans l’équivalent espag­nol du Jour­nal offi­ciel, la déci­sion approu­vée par le Con­seil de sécu­rité nationale crée une com­mis­sion inter­min­istérielle chargée de lut­ter con­tre ce qui sera con­sid­éré comme étant des cam­pagnes de dés­in­for­ma­tion, notam­ment, mais pas seule­ment, lorsqu’elles sont menées depuis l’étranger.

Ce seront donc les mem­bres du gou­verne­ment de Pedro Sánchez, com­posés de mil­i­tants du par­ti social­iste (PSOE) et de l’alliance du par­ti d’extrême gauche Podemos avec les com­mu­nistes (Unidas Podemos) qui décideront de ce qui est vrai et ce qui relève de la fausse infor­ma­tion aus­si bien dans les médias tra­di­tion­nels que sur les réseaux sociaux.

« Nous déplorons qu’une mesure aux ter­mes aus­si impré­cis con­stitue le fonde­ment d’une lutte con­tre la dés­in­for­ma­tion. Partout dans le monde, nous dénonçons les lois cen­sées lut­ter con­tre les fake news qui, en réal­ité, visent à éroder la lib­erté de la presse à tra­vers une ambiguïté délibérée », déclare le prési­dent de RSF Espagne, Alfon­so Arma­da. « C’est pourquoi nous deman­dons au gou­verne­ment espag­nol de révis­er, dans un esprit de pré­ci­sion, toutes les mesures de cette procé­dure, et de revenir sur son pou­voir de déter­min­er ce qui est et n’est pas de la désinformation. »

L’ère de la « post-vérité » a bon dos

Le chef du par­ti d’extrême gauche Podemos, vice-prési­dent du Con­seil des min­istres présidé par Pedro Sánchez, ne dis­ait-il pas le 8 novem­bre, dans une inter­view pour le jour­nal argentin Pági­na 12, que les médias « ont une ligne édi­to­ri­ale déter­minée par la struc­ture de pro­priété qu’il y a der­rière » et que « de nos jours, les pou­voirs médi­a­tiques qui tra­vail­lent avec l’extrême droite esti­ment qu’il est légitime de men­tir. Nous l’avons vu en Espagne, en Argen­tine, en Bolivie, et nous le voyons aux États-Unis : Don­ald Trump en est un pro­duit. (…) La plus grande men­ace pour nos sys­tèmes démoc­ra­tiques, c’est l’extrême droite et le com­porte­ment de cer­tains pou­voirs médi­a­tiques déter­minés qui méprisent la vérité. Nous, les démoc­rates, nous devons nous regrouper, être unis et nous défendre con­tre cette men­ace. (…) Avec sa défaite [aux États-Unis] l’extrême droite mon­di­ale perd son act­if poli­tique le plus puis­sant, mais elle reste un énorme dan­ger en Amérique et en Europe ».

S’exprimant à pro­pos de ce que les médias espag­nols appel­lent désor­mais « Comité de la Vérité » ou « Min­istère de la Vérité », la min­istre de la Défense Mar­gari­ta Rob­les, du PSOE, estime que le rôle de cette com­mis­sion gou­verne­men­tale « a peut-être été mal expliqué » et que son rôle n’est pas tant de repér­er les fauss­es nou­velles que les cam­pagnes qui « de manière organ­isée et malveil­lante pré­ten­dent remet­tre en cause les insti­tu­tions démocratiques ».

Dans une inter­view pub­liée le 21 novem­bre sur le site El Con­fi­den­cial Dig­i­tal, le prési­dent de l’Association de la presse de Madrid, Juan Caño, jugeait mal­gré tout que « ce gou­verne­ment met beau­coup de bâtons dans les roues du tra­vail jour­nal­is­tique. Racon­ter la vérité et cul­tiv­er la lib­erté d’expression ressem­ble à une course d’obstacles ».

Nouvelle Inquisition ?

Un édi­to­r­i­al du 30 novem­bre du quo­ti­di­en El Mun­do (un jour­nal à la ligne assez hétérogène, mais générale­ment plutôt de droite) com­para­it ce « Comité de la Vérité » à l’Inquisition et à la cen­sure fran­quiste. Un arti­cle du même jour­nal pub­lié le 5 novem­bre voy­ait dans ce comité un out­il de sur­veil­lance sous con­trôle du pre­mier min­istre, puisque dirigé et coor­don­né par son chef de cab­i­net et par le secré­taire d’État à la Com­mu­ni­ca­tion. Le 6 novem­bre, le jour­nal ABC, de cen­tre-droit, affir­mait que la Com­mis­sion européenne était inquiète « du plan de Sánchez pour sur­veiller les médias » et remar­quait que le gou­verne­ment espag­nol avait approu­vé la créa­tion de sa stratégie de lutte con­tre la dés­in­for­ma­tion sans con­sul­ter les médias et en pré­ten­dant s’appuyer sur un Plan d’action pour la démoc­ra­tie européenne de la Com­mis­sion européenne alors que ce plan n’avait pas encore été lui-même approu­vé au niveau européen. « Le gou­verne­ment sur­veillera les médias pour pour­suiv­re ce qu’il con­sid­ér­era être de la ‘dés­in­for­ma­tion ‘ », titrait encore ABC le 5 novembre.

Le quo­ti­di­en de gauche El País ras­sur­ait toute­fois ses lecteurs dès le 9 novem­bre, sous le titre : « La Com­mis­sion européenne approu­ve le décret du gou­verne­ment con­tre la dés­in­for­ma­tion ». Il est expliqué dans l’article d’El País – l’équivalent espag­nol du jour­nal Le Monde – que « en 2018, la Com­mis­sion a demandé à tous les États mem­bres de met­tre en place des plans et des struc­tures nationales pour détecter et con­tr­er les cam­pagnes de désinformation ».

Elle est quand même bien gen­tille cette Union Européenne, mais si peu pour les Européens.