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Quand la censure des médias russes devient un prétexte à la vigilance sélective

19 mai 2025

Temps de lecture : 3 minutes
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Quand la censure des médias russes devient un prétexte à la vigilance sélective

Temps de lecture : 3 minutes

Une tri­bune pub­liée dans Le Monde réclame des sanc­tions strictes con­tre les médias russ­es, accu­sant l’ARCOM de pas­siv­ité. Cette croisade con­tre un média étranger et affil­ié offi­cielle­ment à un État soulève des ques­tions sur la lib­erté d’information et les pri­or­ités de ses signataires.

La tri­bune parue dans Le Monde le 14 mai appelle à une appli­ca­tion rigoureuse des sanc­tions européennes con­tre les médias russ­es, tels que Rus­sia Today (RT) ou Sput­nik, accusés de relay­er la pro­pa­gande du Krem­lin. Les sig­nataires s’indignent de l’accessibilité de ces médias en France, pointant du doigt l’inaction de l’Autorité de régu­la­tion de la com­mu­ni­ca­tion audio­vi­suelle et numérique (ARCOM) et des opéra­teurs comme Orange, Free ou SFR. Pour­tant, cette prise de posi­tion, sous cou­vert de lutte con­tre la dés­in­for­ma­tion, mérite un regard cri­tique, tant elle sem­ble occul­ter des enjeux plus complexes.

La propagande à géométrie variable

D’abord, l’argumentation repose sur une vision manichéenne : d’un côté, les médias russ­es, qual­i­fiés de pro­pa­gan­distes, de l’autre, une Europe vertueuse garante de la vérité. Or, la réal­ité est plus nuancée. Si un média comme Rus­sia Today est indé­ni­able­ment favor­able au Krem­lin, blo­quer l’accès à ces médias risque de priv­er les citoyens d’une source d’information qu’ils pour­raient analyser par eux-mêmes et qui per­me­t­trait un rééquili­brage alors que le traite­ment de l’information sur le sujet dans les médias français tourne régulière­ment au char­la­tanisme.

La lib­erté d’accès à l’information, même con­tro­ver­sée, est un pili­er démoc­ra­tique. En out­re, la tri­bune passe sous silence le fait que des médias indépen­dants rus­so­phones, comme ceux du bou­quet Svo­bo­da, sont égale­ment écartés par des opéra­teurs comme Eutel­sat, ce qui inter­roge la cohérence de cette lutte sélective.

Ensuite, l’appel à une cen­sure ren­for­cée par l’ARCOM et les four­nisseurs d’accès soulève une ques­tion de fais­abil­ité et de pro­por­tion­nal­ité. Les sanc­tions européennes, bien que claires, sont dif­fi­ciles à appli­quer uni­for­mé­ment sur Inter­net, où les con­tourne­ments (VPN, sites miroirs) sont mon­naie courante. Accuser les opéra­teurs de lax­isme sans pro­pos­er de solu­tions tech­niques réal­istes sem­ble plus sym­bol­ique que pra­tique mais la col­oration très poli­tique de la tri­bune sem­ble surtout témoign­er d’une volon­té de quelques élus de gag­n­er en visibilité.

De plus, la tri­bune ignore le risque d’une escalade : la Russie, en réponse pour­rait accroître sa cen­sure con­tre les médias occi­den­taux. Cette surenchère ris­querait ain­si d’être con­tre-pro­duc­tif et plac­erait la France une nou­velle fois dans la sit­u­a­tion du censeure alors que l’interruption du media télévisé RT France en jan­vi­er 2023 avait déjà envoyé un tel sig­nal.

Enfin, il est intéres­sant de s’attarder sur les sig­nataires de cette tri­bune dans un jour­nal, Le Monde, qui a ten­dance à voir des russ­es partout. Par­mi eux, Julien Bay­ou, avo­cat et fig­ure poli­tique exfil­tré des Écol­o­gistes après une cabale fémin­iste, et Nathalie Loiseau, eurodéputée Renew, prési­dente de la com­mis­sion spé­ciale sur le boucli­er européen de la démoc­ra­tie, incar­nent une ligne atlantiste mar­quée. Claude Mal­huret, séna­teur Hori­zons, et Boris Val­laud, prési­dent du groupe social­iste à l’Assemblée, ren­for­cent le poids poli­tique de l’initiative. Des acteurs asso­ci­at­ifs, comme Jean-Pierre Paster­nak (Union des Ukrainiens de France) ou Olga Prokopie­va (Russie-Lib­ertés) née à l’époque du sou­tien aux mil­i­tantes de « Pussy Riot », appor­tent une dimen­sion mil­i­tante pro-ukrainienne.

On retrou­ve enfin la pat­te de Reporters sans fron­tières, via son directeur général Thibaut Brut­tin, dont l’obsession antirusse n’est plus à prou­ver.

Der­rière un engage­ment con­tre la dés­in­for­ma­tion, l’unanimité dans une approche puni­tive et l’identité des sig­nataires, tous atlantistes, inter­roge et sem­ble faire fi du principe de plu­ral­isme qui demeure la meilleure arme con­tre les propagandes.

Rodolphe Cha­la­mel

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