Une tribune publiée dans Le Monde réclame des sanctions strictes contre les médias russes, accusant l’ARCOM de passivité. Cette croisade contre un média étranger et affilié officiellement à un État soulève des questions sur la liberté d’information et les priorités de ses signataires.
La tribune parue dans Le Monde le 14 mai appelle à une application rigoureuse des sanctions européennes contre les médias russes, tels que Russia Today (RT) ou Sputnik, accusés de relayer la propagande du Kremlin. Les signataires s’indignent de l’accessibilité de ces médias en France, pointant du doigt l’inaction de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) et des opérateurs comme Orange, Free ou SFR. Pourtant, cette prise de position, sous couvert de lutte contre la désinformation, mérite un regard critique, tant elle semble occulter des enjeux plus complexes.
La propagande à géométrie variable
D’abord, l’argumentation repose sur une vision manichéenne : d’un côté, les médias russes, qualifiés de propagandistes, de l’autre, une Europe vertueuse garante de la vérité. Or, la réalité est plus nuancée. Si un média comme Russia Today est indéniablement favorable au Kremlin, bloquer l’accès à ces médias risque de priver les citoyens d’une source d’information qu’ils pourraient analyser par eux-mêmes et qui permettrait un rééquilibrage alors que le traitement de l’information sur le sujet dans les médias français tourne régulièrement au charlatanisme.
La liberté d’accès à l’information, même controversée, est un pilier démocratique. En outre, la tribune passe sous silence le fait que des médias indépendants russophones, comme ceux du bouquet Svoboda, sont également écartés par des opérateurs comme Eutelsat, ce qui interroge la cohérence de cette lutte sélective.
Ensuite, l’appel à une censure renforcée par l’ARCOM et les fournisseurs d’accès soulève une question de faisabilité et de proportionnalité. Les sanctions européennes, bien que claires, sont difficiles à appliquer uniformément sur Internet, où les contournements (VPN, sites miroirs) sont monnaie courante. Accuser les opérateurs de laxisme sans proposer de solutions techniques réalistes semble plus symbolique que pratique mais la coloration très politique de la tribune semble surtout témoigner d’une volonté de quelques élus de gagner en visibilité.
De plus, la tribune ignore le risque d’une escalade : la Russie, en réponse pourrait accroître sa censure contre les médias occidentaux. Cette surenchère risquerait ainsi d’être contre-productif et placerait la France une nouvelle fois dans la situation du censeure alors que l’interruption du media télévisé RT France en janvier 2023 avait déjà envoyé un tel signal.
Enfin, il est intéressant de s’attarder sur les signataires de cette tribune dans un journal, Le Monde, qui a tendance à voir des russes partout. Parmi eux, Julien Bayou, avocat et figure politique exfiltré des Écologistes après une cabale féministe, et Nathalie Loiseau, eurodéputée Renew, présidente de la commission spéciale sur le bouclier européen de la démocratie, incarnent une ligne atlantiste marquée. Claude Malhuret, sénateur Horizons, et Boris Vallaud, président du groupe socialiste à l’Assemblée, renforcent le poids politique de l’initiative. Des acteurs associatifs, comme Jean-Pierre Pasternak (Union des Ukrainiens de France) ou Olga Prokopieva (Russie-Libertés) née à l’époque du soutien aux militantes de « Pussy Riot », apportent une dimension militante pro-ukrainienne.
On retrouve enfin la patte de Reporters sans frontières, via son directeur général Thibaut Bruttin, dont l’obsession antirusse n’est plus à prouver.
Derrière un engagement contre la désinformation, l’unanimité dans une approche punitive et l’identité des signataires, tous atlantistes, interroge et semble faire fi du principe de pluralisme qui demeure la meilleure arme contre les propagandes.
Rodolphe Chalamel