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<span class="dquo">«</span> Jusqu’au dernier ukrainien » de Régis Le Sommier

20 mai 2023

Temps de lecture : 5 minutes
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« Jusqu’au dernier ukrainien » de Régis Le Sommier

Temps de lecture : 5 minutes

Régis Le Sommier est un journaliste français dont l’essentiel de la carrière s’est déroulé pendant 27 années au sein de Paris Match (« le poids des mots, le choc des photos »), depuis stagiaire jusqu’à directeur-adjoint de la rédaction en passant par grand reporter et correspondant aux États-Unis d’Amérique. Aujourd’hui à la tête de la rédaction d’Omerta, média digital et HS papier orienté investigations, il est le premier journaliste à s’être rendu des deux côtés des lignes de front sur le théâtre des opérations de la guerre en Ukraine. Il vient de publier « Jusqu’au dernier Ukrainien » aux éditions Max Milo.

Un livre assumé de journaliste

C’est assuré­ment un livre de jour­nal­iste, qui l’as­sume en tant que tel. Et qui s’as­sume per­son­nelle­ment. En dévoilant ou rap­pelant au pas­sage juste le peu qu’il faut d’in­time pour don­ner une cohérence glob­ale à la démarche. Hon­nêteté et pudeur rares, à une époque où les jour­nal­istes qui écrivent des livres dévelop­pent les plus grands efforts — sou­vent vains aux yeux des obser­va­teurs éveil­lés — pour que leurs ouvrages appa­rais­sent comme tout sauf pré­cisé­ment des livres de jour­nal­istes. Ce qui nous inflige par­fois des leçons du niveau cours de rat­tra­page en cul­ture générale pour sous-officiers pro­mus dans le Grand Corps. Ce qui nous impose sou­vent des leçons de philoso­phie du niveau café du com­merce ou cafe­te­ria de restau­rant uni­ver­si­taire. Ce qui nous acca­ble régulière­ment de répéti­tions de lieux com­muns idéologiques plus ou moins bien mâchés, avec la plu­part du temps en prime la cuistrerie de celui qui se pose avec la docte atti­tude d’un expert con­fir­mé alors qu’il vient à peine de finir de lire le Que sais-je sur le sujet. Non, là, avec Jusqu’au dernier Ukrainien, on se trou­ve en prise directe avec la vérité de celui qui a pris la peine d’aller sur les sites de l’événe­ment. Qui rap­porte fidèle­ment les cer­ti­tudes qu’il y a vues. Qui pos­sède l’hu­mil­ité de cir­con­scrire son pro­pos aux faits. Avec en bonus la mise en per­spec­tive his­torique facil­i­tant la com­préhen­sion, grâce à la longue expéri­ence et la grande cul­ture de l’auteur.

Une lecture empreinte d’honnêteté

D’emblée on en apprend plus sur lui que sur le con­flit rus­so-ukrainien en général. Et c’est tant mieux au demeu­rant, car c’est pré­cisé­ment cette fran­chise qui per­met de saisir l’an­gle qu’il a choisi pour nous aider à décrypter cette guerre. Laque­lle n’est pas si loin­taine de nous que ça en fait, ce serait une erreur de sous-estimer le peu de temps et d’e­space qui nous en sépare, pour l’in­stant. Et c’est juste­ment grâce à ce qu’il veut bien nous dévoil­er de lui que l’au­teur nous donne les clefs de la lec­ture du con­flit ukrainien. Cette hon­nêteté intel­lectuelle représente un cas unique à ce jour au milieu de la foule de jour­nal­istes qui pré­ten­dent nous informer “objec­tive­ment” sur cette guerre, en omet­tant soigneuse­ment de nous indi­quer de quel point de vue ils par­lent. Régis Le Som­mi­er, lui, n’a pas besoin d’ar­gu­menter pour prou­ver la vérac­ité et l’équili­bre de ses pro­pos : il est allé s’im­merg­er des deux côtés de la ligne de front, bra­vant tous les risques inhérents à ce pari fou, osé et réus­si. Du reste, à date, il est le seul à l’avoir fait : être allé sur le ter­rain, à quelques cen­taines de mètres des lignes enne­mies, des deux côtés. Les experts de plateau TV, qui dis­ser­tent avec aisance et suff­i­sance du con­flit sans être la plu­part du temps allé plus loin qu’une porte du périphérique parisien, ne le lui par­don­neront pas.

Équilibre de traitement

D’au­tant moins que l’équili­bre de traite­ment entre les deux camps dans le reportage et dans les réflex­ions se fait naturelle­ment dans le réc­it de Régis Le Som­mi­er. Les faits non seule­ment sont têtus mais encore se prê­tent mal à l’en­robage idéologique à géométrie vari­able. L’au­teur voit ce qu’il voit, mais a en plus le courage de dire ce qu’il voit. Les par­ti­sans de la croisade occi­den­tale pour la démoc­ra­tie droit-de-l’hom­miste con­tre la résur­gence du total­i­tarisme sovié­tique seront déçus. Les sec­ta­teurs du néo-tsarisme rem­part con­tre la déca­dence atlan­tique égale­ment. Les faits sont les faits. Le rôle du jour­nal­iste est de les rap­porter. Ce que fait Régis Le Som­mi­er, qui se dis­pense de « vouloir appli­quer la dialec­tique du Bien et du Mal à une pro­fes­sion dont la fonc­tion pre­mière est de s’attacher au réel et d’en ren­dre compte », nous rap­pelle-t-il, fustigeant l’insupportable biais moral­isa­teur qu’il attribue en par­ti­c­uli­er à la presse américaine.

Et c’est tant mieux : les esprits libres et curieux, con­traire­ment aux fana­tiques, y trou­veront leur compte. Quel que soit son a pri­ori si le lecteur déjà infor­mé sur la guerre en Ukraine en pos­sède un, surtout s’il a choisi son camp, il trou­vera infor­ma­tion factuelle et matière à réflex­ion avec Régis Le Som­mi­er. Si en revanche le lecteur éprou­ve de la peine à saisir en syn­thèse les faits et les enjeux de ce con­flit ain­si que ses con­séquences, de même si sa lucid­ité l’autorise à appréci­er les moti­va­tions et les actions de cha­cun des deux camps sans aveu­gle­ment par­ti­san, alors la leçon de prag­ma­tisme de Régis Le Som­mi­er n’en sera que mieux reçue.

« À l’ère de l’internet et du numérique, où l’information cir­cule à une vitesse ver­tig­ineuse, la vérité se noie sou­vent, voire s’anéantit dans un flot d’informations défor­mées. L’urgence de l’instant pousse à être les pre­miers à “informer”, mais trop sou­vent sans avoir le courage de révéler ce qui dérangerait l’opinion publique façon­née par la pro­pa­gande offi­cielle », c’est la per­ti­nente accu­sa­tion que por­tent les auteurs de « Nou­velle ère » (Nou­velle Ère, Ester Mann et Lévon Minasian, La lucarne indé­cente, 2022) à l’encontre des agences de presse et des médias. En para­phras­ant Boileau salu­ant l’arrivée de Mal­herbe dans notre lit­téra­ture, on peut dire « enfin Régis Le Som­mi­er vint » pour déjouer ce piège et restau­r­er la valeur du jour­nal­isme à l’ancienne.

Marc Des­gorces-Roumil­hac

Régis Le Som­mi­er, Jusqu’au dernier Ukrainien, réc­it d’un reporter de guerre, Max Milo, Paris 2023, 176 pages, 18,90 €

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