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Illusions perdues de Balzac au cinéma, misères du journalisme

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5 novembre 2021

Temps de lecture : 3 minutes
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Illusions perdues de Balzac au cinéma, misères du journalisme

Temps de lecture : 3 minutes

Il est difficile de faire un mauvais film avec le scénario inspiré de Balzac, l’ascension du jeune Lucien de Rubempré, venu chercher la gloire littéraire à Paris depuis son Angoulême natale, qui trouvera dans le journalisme, argent, mensonges, prévarication, renommée, avant de sombrer par les vices qui avaient permis son apparente ascension sociale. Avec sa pléiade de vedettes (Depardieu, Balibar, Vincent Lacoste), le film de Xavier Giannoli se laisse regarder gentiment, mais le véritable intérêt est la comparaison entre deux époques, celle de la Restauration et la nôtre.

Un film en costumes

Avec un gros bud­get de 19M€, le déco­ra­teur peut s’en don­ner à cœur joie. Il ne manque pas une den­telle, pas un jabot, pas un bas, pas un bijou, pas un fiacre qui n’évoque les années 1820/1830. Si le tout fait pass­er un moment agréable, les lim­ites du genre de film en cos­tumes se font sen­tir et la pel­licule sur papi­er impec­ca­ble­ment glacé ne provoque que peu d’émotion en dehors des émou­vantes ron­deurs de Coralie (la char­mante Salomé Dewaels), la maîtresse de Lucien.

1820/2021, réclame et brand content

Deux siè­cles nous sépar­ent de l’époque. En 1820 les médias ne sont con­sti­tués que par la presse écrite avec une révo­lu­tion tech­nique : l’ancêtre de la rota­tive, inven­té par les alle­mands, per­met une impres­sion plus rapi­de, des coûts réduits et une plus grande dif­fu­sion. C’est aus­si le début de la pub­lic­ité ou plutôt de la réclame pour les pilules pour le foie, la crème mirac­uleuse qui raje­u­nit ou les spec­ta­cles de théâtre du boule­vard du crime.

C’est égale­ment le règne de la cor­rup­tion, les arti­cles sont achetés à l’avance pour louer ou assas­sin­er tel livre, telle pièce de théâtre, tel pro­duit, tel per­son­nage. Une com­para­i­son avec le « brand con­tent » s’impose ici. Le brand con­tent c’est un arti­cle com­mandé par une entre­prise ou une asso­ci­a­tion ou un indi­vidu pour associ­er de manière pos­i­tive un pro­duit, une idée, un pro­jet dans un arti­cle ou une vidéo ou un pod­cast audio dont l’apparence est neu­tre et dénuée d’esprit pub­lic­i­taire. La dif­férence avec l’achat pur et dur en liq­uide des arti­cles des jour­naux libéraux ou roy­al­istes de l’époque appa­raît au fond assez faible. Des deux côtés on pro­duit sur la com­mande d’un don­neur d’ordre qui paie et sous cou­vert de jour­nal­isme ; à ceci près qu’en 1820 les rédac­teurs ne fai­saient pas de leçons de morale.

Si les dif­férences d’environnement tech­nique à deux siè­cles de dis­tance sont évi­dentes (appari­tion de la radio, de la télévi­sion, du dig­i­tal, vitesses de pro­duc­tion et de dif­fu­sion des con­tenus etc), les ressem­blances ne man­quent pas. Le souci de l’immédiat, du scan­dale, de la polémique (du buzz de nos jours), l’influence des action­naires, l’entre soi, l’argent et le faux-sem­blant omniprésents, sont com­muns aux deux épo­ques. La scène clé du film est sans doute ou celle où le jeune Lucien de Rube­m­pré (Ben­jamin Voisin, très vraisem­blable dans le rôle) est sacré jour­nal­iste par le directeur de sa pub­li­ca­tion, Le Cor­saire-Satan :

« Au nom de la rumeur, de la fausse infor­ma­tion, de l’absence de principes, je te bap­tise jour­nal­iste », au cham­pagne et dans un éclat de rire général.

Tout ressem­blance avec un des 230 por­traits de jour­nal­istes que nous avons pub­liés serait pure­ment for­tu­ite et due au hasard

Illu­sions per­dues, d’après Hon­oré de Balzac, film de Xavier Gian­no­li, 2h29, 2021. Mieux : lire ou relire Illu­sions per­dues, Balzac, folio clas­sique, 956 p., 9,90 €