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Franceinfo s’inquiète pour les policiers musulmans

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6 février 2020

Temps de lecture : 8 minutes
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Franceinfo s’inquiète pour les policiers musulmans

Temps de lecture : 8 minutes

Le 25 janvier 2020, la cellule investigation de Radio France se penchait sur les suspensions de policiers pour risques de radicalisation. Un reportage surprenant.

Le 25 jan­vi­er 2020 au matin, le reportage de la Cel­lule inves­ti­ga­tion de Radio France, réal­isé par Elodie Guéguen et Emmanuel Leclère, dif­fusé à plusieurs repris­es sur Fran­ce­in­fo durant 5 min­utes, inter­roge l’observateur sur la façon qu’ont une par­tie des médias de percevoir la « rad­i­cal­i­sa­tion » dans la police, puisque c’est l’étrange mot main­tenant retenu, mot qui masque sou­vent le fait que les rad­i­caux en ques­tion sont des musulmans.

Ouverture du reportage

Enquête Fran­ce­in­fo
Sus­pen­sions de policiers pour rad­i­cal­i­sa­tion : la dif­fi­cile appli­ca­tion du principe de « vigilance »
« Une dizaine de policiers soupçon­nés de rad­i­cal­i­sa­tion ont été sus­pendus pro­vi­soire­ment depuis lattaque du 3 octo­bre 2019 à la préfec­ture de police de Paris. Les agents de con­fes­sion musul­mane évo­quent un cli­mat de sus­pi­cion devenu délétère depuis le drame. »

Le ton est don­né : un principe de vig­i­lance qui créerait de la sus­pi­cion à l’égard des « agents de con­fes­sion musul­mane », façon d’atténuer le car­ac­tère spé­ci­fique de l’islam. A l’écoute de la présen­ta­tion, l’auditeur com­prend d’emblée que le reportage ne va pas inter­roger les risques liés à l’islam pesant sur les Français ou les col­lègues de ces policiers musul­mans mais para­doxale­ment la manière dont ces derniers seraient en quelque sorte des victimes.

Dans la police, ça dénonce grave, paraît il

Le reportage débute par une cita­tion du prési­dent Macron qui, le 8 octo­bre 2019, annonçait vouloir « bâtir » une « société de vig­i­lance ». Des mots suiv­is de ceux-ci : « repér­er ces petits riens qui devi­en­nent des grandes tragédies », autrement dit des détails mon­trant qu’un polici­er musul­man ris­querait de bas­culer dans le ter­ror­isme. Par con­tre, le prési­dent ne s’est pas inter­rogé sur le fait même de la forte présence de musul­mans au coeur de la police, comme du reste au sein de l’armée, alors que des indi­vidus dits de « con­fes­sion musul­mane » sont les seuls à s’affirmer comme des enne­mis recon­nus de la France, sur le ter­ri­toire nation­al, européen ou à l’échelle mon­di­ale. Dans une guerre, il y a un ou des enne­mis. Dans la guerre actuelle­ment menée par une bonne par­tie de l’islam con­tre la France, l’ennemi se désigne lui-même. La ques­tion de la présence de musul­mans au sein des forces de l’ordre et de l’armée pour­rait du coup se pos­er, quelle que soit la réponse don­née. C’est juste­ment ce que Fran­ce­in­fo ne traite pas. Pourquoi ? Rap­pelons que les mots du prési­dent étaient pronon­cés devant les cer­cueils des qua­tre policiers assas­s­inés 5 jours plus tôt « par un agent de la direc­tion parisi­enne du ren­seigne­ment ». Une for­mu­la­tion pro­pre­ment extra­or­di­naire pour désign­er un ter­ror­iste musul­man infil­tré au coeur de l’appareil du ren­seigne­ment de la police nationale, infil­tra­tion qui devrait peut-être plus intéress­er la Cel­lule inves­ti­ga­tion de Radio France.

Chasse aux sorcières ?

Pour­tant, le sujet de la Cel­lule inves­ti­ga­tion est tout autre : le fait que le préfet « demande à l’ensemble de ses ser­vices d’encourager la remon­tée des sig­nale­ments », autrement dit d’appliquer ce que le chef de l’Etat a demandé. Tra­duc­tion du point de vue de Fran­ce­in­fo : « c’est-à-dire le moin­dre soupçon de rad­i­cal­i­sa­tion islamiste ». Le prob­lème est de savoir si « les policiers musul­mans font l’objet d’une chas­se aux sor­cières ». Du coup il y a des sig­nale­ments mais surtout des « dénon­ci­a­tions ». 74 pour la seule pré­fec­ture de police de Paris, « dont 27 déjà classées sans suite ». Il était pos­si­ble de compter autrement : dont 47 pris­es en con­sid­éra­tion par exem­ple. Pour Fran­ce­in­fo, ce sont plutôt les « dénon­ci­a­tions qui s’emballent », plus que le dan­ger réel que cela pour­rait représen­ter. Un point choque les jour­nal­istes : « À ce stade, on ne sait pas ce que révéleront ces enquêtes admin­is­tra­tives. Mais, sans atten­dre leurs con­clu­sions, le min­istère de l’In­térieur a choisi de sus­pendre une dizaine de policiers et d’en désarmer qua­tre. Des mesures con­ser­va­toires, qui sem­blent avoir été pris­es dans l’ur­gence, pour ras­sur­er l’opin­ion publique et une insti­tu­tion meur­trie ». Et si c’était pour une rai­son plus sim­ple ? Des sus­pi­cions pour empêch­er de nou­veaux meurtres.

Boucs émissaires

Fran­ce­in­fo ne voit pas les choses ain­si et trou­ve quelques cas qui pour­raient laiss­er enten­dre que les policiers musul­mans seraient des boucs émis­saires. Un exem­ple avec la brigadier B… « en Seine-Saint-Denis ». Une local­i­sa­tion qui peut ques­tion­ner. Que lui reproche-t-on ? Des détails : « d’avoir partagé en 2014 des posts Face­book propales­tiniens rad­i­caux ou vio­lents ». Une « dénon­ci­a­tion » venant sans doute « de ses col­lègues ». Con­séquence, un pas­sage en con­seil de dis­ci­pline. Un rad­i­cal­isme de cette sorte pour­rait con­duire à se deman­der ce que la brigadier fait encore dans la police et dans le 93. Pas du côté de Fran­ce­in­fo: « Pour des posts Face­book, on l’a traitée comme si elle était le clone de Mer­ah », s’indigne un mem­bre du syn­di­cat de police Vigi, Noam Anouar.  

Radicalisés qu’ils disaient ?

Ce ne sont pas les vrais prob­lèmes de toute façon. Le souci viendrait plutôt de la déf­i­ni­tion de la rad­i­cal­i­sa­tion, selon la Cel­lule inves­ti­ga­tion. Pour cer­tains syn­di­cats, il y a risque d’interpréter « des signes religieux et de jeter l’opprobre sur des per­son­nes qui ne font que pra­ti­quer leur reli­gion (dans les locaux de la police ?) ». La direc­tion générale de la police nationale a un avis dif­férent, se sachant capa­ble de repér­er une pra­tique musul­mane rad­i­cal­isée (mais le sim­ple fait de pra­ti­quer l’islam dans les locaux de la police nationale n’est-il pas déjà une forme de rad­i­cal­i­sa­tion ?). En tout cas, Fran­ce­in­fo con­sid­ère que la sur­veil­lance voulue par le min­istère de l’intérieur est trop large puisque Cas­tan­er veut faire « remon­ter des sig­naux faibles », comme « le fait qu’il n’y avait pas de porc lors des pots organ­isés en présence de Mick­aël Har­pon » — l’assassin des qua­tre policiers de la pré­fec­ture de police de Paris le 3 octo­bre 2019.

Il serait choquant de sélec­tion­ner des mem­bres des ser­vices de ren­seigne­ment sur « des pra­tiques religieuses et que des inter­dits ali­men­taires fondent une autori­sa­tion ou pas à par­ticiper à un ser­vice de ren­seigne­ment. Donc un agent de ren­seigne­ment veg­an doit aus­si être sig­nalé ? », se demande l’interlocuteur trou­vé par la Cel­lule inves­ti­ga­tion, Flo­ran Vadil­lo, « spé­cial­iste du ren­seigne­ment », au style proche de Benal­la, prési­dent du think tank L’Hétairie et ancien con­seiller spé­cial du garde des sceaux du par­ti social­iste Jean-Jacques Urvoas, ce dernier con­damné par la Cour de jus­tice en sep­tem­bre 2019 à un mois de prison avec sur­sis et 5000€ d’amende pour vio­la­tion du secret professionnel.

Signaux faibles et confusion des esprits

Deux point remarquables :

  • il n’est pas inter­dit de penser qu’exclure le porc d’un pot au pré­texte que l’un des agents est musul­man est un sig­nal plutôt élevé que faible.
  • la com­para­i­son avec les veg­ans suf­fit à retir­er toute crédi­bil­ité au Think tank de ce pseu­do expert. Depuis quand une guerre est-elle menée par les veg­ans à l’échelle mon­di­ale con­tre tout ce qui est dif­férent d’eux, guerre respon­s­able de morts en très grand nom­bre ?Les jour­nal­istes ont un inter­locu­teur aux argu­ments encore plus per­cu­tants en la per­son­ne de Noam Anouar, le syn­di­cal­iste déjà évo­qué : « À par­tir du moment où on va aller chercher dans leur vie privée en met­tant des fonc­tion­naires sur écoute, en essayant de savoir si les fonc­tion­naires avaient ten­dance à deman­der des jours de con­gés quand c’était lAïd, ou quand c’était ven­dre­di… Je pense quon vio­le le principe d’égalité, parce quun fonc­tion­naire bre­ton, athée, qui demande un jour de con­gé le ven­dre­di, on ne va pas le soupçon­ner. Mais sil est sup­posé musul­man et quil sappelle Mohamed, on va en faire un critère de radicalisation. »

    Ce syn­di­cal­iste, qui est peut-être musul­man est un éton­nant polici­er dont les com­pé­tences ne lui per­me­t­tent pas de saisir que bre­tons et athées, actuelle­ment, ne mas­sacrent pas des pop­u­la­tions entières au nom de dogmes total­i­taires. Il en va de même pour Sofi­ane Achat­ib, respon­s­able juridique du syn­di­cat Unsa-police, qui insiste sur des exem­ples : un fonc­tion­naire qui n’a pas bu d’alcool à un pot ou qui n’a pas fait la bise car il était malade.

Circulez y’a rien à voir

La con­clu­sion du reportage tombe comme un couperet : « Selon les infor­ma­tions de la cel­lule inves­ti­ga­tion de Radio France, aucune des enquêtes admin­is­tra­tives lancées après le 3 octo­bre 2019 na pu établir, à ce stade, quil existe, dans la police, des cas de rad­i­cal­i­sa­tion violente. »

Un exem­ple typ­ique du fonc­tion­nement jour­nal­is­tique sur Fran­ce­in­fo. Alors que qua­tre policiers ont été tués par un col­lègue musul­man, auquel on don­nait le priv­ilège de ne pas crois­er le moin­dre gramme de porc lors d’un pot, dans les locaux même de la pré­fec­ture de police de Paris, un tueur enne­mi de la France, mem­bre des ser­vices de ren­seigne­ment durant de longues années, infil­tré et ayant accès, pour une puis­sance enne­mie de la France, l’islam rad­i­cal, à des infor­ma­tions sen­si­bles, les jour­nal­istes de Radio France se deman­dent si regarder de plus près qui sont les policiers musul­mans de la police nationale et par ce biais repér­er éventuelle­ment de futurs assas­sins ou espi­ons ne serait pas « une chas­se aux sor­cières ». Avec des témoins bien choi­sis, deux musul­mans et un ancien con­seiller d’Urvoas.

Pour nos con­frères de Fran­ce­in­fo, la prob­lé­ma­tique des musul­mans présents au sein des forces de l’ordre, c’est un délit de sale gueule qui leur serait imposé. Le lun­di 3 févri­er un mil­i­taire musul­man attaquait une gen­darmerie en Moselle. Le réel revient par­fois en boomerang.