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Claas Relotius, saint, pêcheur, excommunié de la communauté médiatique

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8 juin 2019

Temps de lecture : 4 minutes
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Claas Relotius, saint, pêcheur, excommunié de la communauté médiatique

Temps de lecture : 4 minutes

Infox. Fake news. Complotisme. Tels sont les qualificatifs employés par les médias dominants pour disqualifier ceux qui les critiquent. Alors qu’ils diffusent du faux, parfois involontairement, parfois en toute connaissance de cause. Nous vous avions déjà parlé en début d’année 2019 de Claas Relotius, journaliste du Spiegel. Le Spiegel, grande conscience libérale libertaire allemande, qui publiait des reportages inventés. De nouveaux éléments indiquent qu’une partie de sa direction était aussi à la manœuvre.

Plus c’est gros plus ça passe

Qui aurait pu soupçon­ner le beau Claas, récom­pen­sé de l’équivalent du Pulitzer alle­mand et couron­né par CNN ? Sa recette était sim­ple : coller à l’actualité et au poli­tique­ment cor­rect. Dénon­cer la peine de mort aux États-Unis ? Hop, Claas invente la fig­ure d’une femme qui par­court les lieux des exé­cu­tions pour y met­tre fin. Un papi­er con­tre la tor­ture ? Hop, hop Claas fait sur­gir un Yéménite détenu à Guan­tanamo, comme le génie sor­ti de la lampe d’Aladin. Un peu de Syrie ? Hop, hop, hop il sus­cite un ado­les­cent qui aurait déclenché la guerre. Réchauf­fe­ment cli­ma­tique ? Il se trans­porte sur un tapis volant dans une île du Paci­fique men­acée par la mon­tée des eaux, même si l’île se trou­ve en réal­ité dans sa cham­bre. Du Trump bash­ing de base ? Tou­jours vif, Claas réalise un entre­tien bidon avec un célèbre foot­balleur anti-Trump. Une bonne quin­zaine de reportages à suc­cès auraient ain­si été inven­tés en total­ité ou partiellement.

Coupable mais pas seul

Il a fal­lu un hasard de cir­con­stances et les inquié­tudes d’un con­frère pour que Relotius se fasse pren­dre les doigts encore pois­seux sor­tant du pot de con­fi­ture des infox. Cer­tains de ses reportages étaient « ori­en­tés » par sa direc­tion pour aller dans le sens de l’empire du Bien. Le site Arrêt sur images a pub­lié des élé­ments d’une enquête (nous n’avons pas retrou­vé l’original) où l’on voit claire­ment com­ment cer­tains médias – en l’espèce le très moral Spiegel – créent lit­térale­ment de l’information sur mesure. Le con­texte : Relotius est à la fron­tière entre le Mex­ique et les États-Unis pour enquêter sur les pas­sages de clan­des­tins. Son chef de ser­vice (licen­cié depuis) lui demande de trou­ver une victime :

« On cherche une femme avec un enfant. Idéale­ment, elle vient d’un pays où c’est vrai­ment la merde… Elle a l’espoir d’une nou­velle vie, meilleure et libre aux États-Unis. »

Autrement dit : con­stru­is-moi un scé­nario à la Zola rec­ti­fié favela pour faire pleur­er Ingrid, notre fidèle lec­trice. Mais à toute vic­time il faut un bour­reau, il faut trou­ver un mili­cien tex­an chas­seur de clandestins :

« Ce type aura bien sûr voté Trump, il était déjà bien chaud quand Trump a annon­cé la con­struc­tion du mur à la fron­tière, et il se réjouit des gens qui vont arriv­er dans le con­voi, comme Obélix se réjouit de l’arrivée d’une nou­velle légion de romains ».

Tra­duc­tion : mets-moi en scène une bonne pièce de théâtre, au besoin tu l’écris. Peu importe le réel, il me faut de l’émotion pour influ­encer l’opinion publique alle­mande en faveur des clan­des­tins, en Amérique comme en Europe. C’est ain­si qu’un média qui a plusieurs mil­lions de lecteurs recon­stru­it le réel en fonc­tion de son idéolo­gie. Les Français auraient tort de se moquer de leurs con­frères alle­mands : Le Monde avait employé exacte­ment des procédés voisins en 2015 en met­tant en scène la pho­to du petit syrien Aylan mort sur une plage de Syrie. Comme le dis­ait une respon­s­able du quo­ti­di­en du soir en par­lant de la photo :

« Nous avons cher­ché le meilleur moyen de la présen­ter, avec un titre qui dis­ait qu’elle serait peut-être la pho­to qui per­me­t­trait la prise de con­science de l’Europe »

Voilà un aveu de poids. Qui en sera surpris ?