Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Sur Europe 1, liberté (seulement) pour Aphatie ?

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

27 septembre 2018

Temps de lecture : 7 minutes
Accueil | Veille médias | Sur Europe 1, liberté (seulement) pour Aphatie ?

Sur Europe 1, liberté (seulement) pour Aphatie ?

Temps de lecture : 7 minutes

Les médias officiels adoreraient la liberté d’expression. La preuve, ils prétendent être aux commandes pour la défendre. Du coup, elle pourrait être sauvée ? Alors, Europe 1 a créé « Aphatie en liberté ».

Lors du récent mer­ca­to de ren­trée, habituel jeu de chais­es mati­nales dans les stu­dios et sur les plateaux, Jean-Michel Aphatie est passé de Fran­ce­in­fo où il offi­ci­ait à l’interview poli­tique du matin, en com­pag­nie de Bruce Tou­s­saint, à Europe 1, radio dont la mati­nale bat­tait de l’aile sous l’égide de l’ancien héraut de France Inter, Patrick Cohen. Vous suiv­ez ? Non ? Ce n’est pas grave : les stu­dios changent mais non le con­tenu des voix, et celles-ci tien­nent en gros tou­jours le même dis­cours. Bien sûr, les résul­tats en ter­mes d’audience ne sont pas tou­jours au ren­dez-vous, ceci expli­quant cela. En cette ren­trée, Patrick Cohen a été débar­qué de la mati­nale d’Europe 1 et la radio a fait appel à Nikos Alia­gas, anci­enne vedette de TF1, pour sauver le navire. Ce dernier compte juste­ment sur le recrute­ment d’Aphatie. Rien de neuf, donc ? En apparence, seule­ment. Pourquoi ? Jusque-là, Aphatie se libérait seul et con­fondait jour­nal­isme et mil­i­tan­tisme. Main­tenant, il n’a plus de masque : il est là, dans le stu­dio, pour être « Aphatie en lib­erté ». Autrement dit, pour exprimer libre­ment ses opin­ions, cette même lib­erté dont l’évidence oblige de dire qu’il la réclame sou­vent pour autrui, ain­si récem­ment au sujet de Zem­mour. Cet extrait de pas­sage à la télévi­sion ajouté à sa nou­velle rente de sit­u­a­tion sur Europe 1 mon­tre un change­ment impor­tant : Jean-Michel Aphatie n’est plus un jour­nal­iste mil­i­tant tra­vail­lant pour un média mais un invité réguli­er mil­i­tant, ayant apparence de jour­nal­iste et donc payé comme tel. Cette évo­lu­tion, en péri­ode de volon­té de réor­gan­i­sa­tion de ce qui est autorisé à se penser dans les médias et sur les réseaux soci­aux, méri­tait un petit pot-pour­ri des récentes chroniques « en lib­erté » d’Aphatie.

Europe 1 libère l’expression d’Aphatie

On pour­rait sup­pos­er que cette expres­sion était bridée, il n’en est évidem­ment rien. Aphatie a été et est partout depuis de très longues années. En tout cas, dans sa nou­velle mati­nale, Nikos Alia­gas, lui offre une chronique dite « en lib­erté ». Une lib­erté qu’Aliagas qual­i­fie, pour l’annoncer, de « coup de gueule ». La lib­erté d’Aphatie, pour quoi faire ?

Lun­di 17 sep­tem­bre 2018, Aphatie est libre au sujet de la sor­tie d’Emmanuel Macron pro­posant à un chômeur de tra­vers­er la rue afin de trou­ver un emploi. Qu’en pense Jean-Michel ?

  • « Depuis, il y a beau­coup de cri­tiques, alors on se demande : est-ce qu’il a fait une boulette, Emmanuel Macron, ou pas ? »
  • « C’est vrai que la réponse est un peu vive, sans doute, inat­ten­due (…) mais il n’y a pas de mépris dans la réponse, au fond il n’y a pas d’agressivité. Que dit Emmanuel Macron ? Ben, bougez-vous, prenez-vous en main (…) Faites quelque chose, réagis­sez ».
  • « Il n’y a rien de scan­daleux là-dedans, des mil­liers de par­ents dis­ent cela tous les jours à leurs enfants ».
  • Ques­tion d’Aliagas : « Mais alors pourquoi les gens réagis­sent à votre avis ? »
  • « Mais parce que c’est Emmanuel Macron. Il y a aujourd’hui une hys­térie autour de Macron »
  • « Franche­ment same­di, ya pas de quoi fou­et­ter un chat ».

Mar­di 19 sep­tem­bre 2018, Aphatie s’intéresse au min­istre de l’intérieur Gérard Col­lomb, lequel vient d’annoncer sa volon­té de quit­ter le gou­verne­ment pour briguer à nou­veau la mairie de Lyon. Qu’en pense Jean-Michel ?

  • « Sit­u­a­tion anor­male. Nor­male­ment, quand un min­istre dit “Je pars”, ben il part. Mais un min­istre qui dit “Je pars mais pas tout de suite, donc je reste”, ça c’est… on n’a jamais vu. Du coup ça affaib­li immé­di­ate­ment sa fonc­tion (…) son min­istère (…) L’État (…) le gou­verne­ment ».
  • « Quand il va aller dans sa ville, qu’est-ce qu’on va dire ? Il est plus min­istre. Il fait cam­pagne. L’intérêt général est bien servi comme cela ? »

Le min­istre déci­dant seul :

  • « C’est l’autorité d’Emmanuel Macron qui est affaib­lie. Cela fait beau­coup de dégâts. Edouard Philippe, c’est le pre­mier min­istre, d’un gou­verne­ment en per­pétuel remaniement. Déjà, avant, ses rela­tions n’étaient pas bonnes avec Gérard Col­lomb, vous croyez qu’elles vont s’améliorer là ? »
  • « C’est une sit­u­a­tion, que crée Gérard Col­lomb, qui est ris­i­ble, peut-être dan­gereuse, sans doute inten­able et pra­tique­ment inac­cept­able. On se demande com­ment Gérard Col­lomb ne se rend pas compte, et on se dit aus­si, curieuse­ment, que le pre­mier min­istre et le prési­dent de la République devraient avoir davan­tage d’exigences avec leurs min­istres ».

Ven­dre­di 21 sep­tem­bre 2018, Aphatie s’intéresse à la psy­chi­a­trie et à Marine Le Pen, laque­lle est depuis longtemps son dada. Présen­ta­tion d’Aliagas : « Polémique avec Marine Le Pen, mise en exa­m­en après la dif­fu­sion d’images d’exécution de l’Etat Islamique. Et les juges, dans le cadre de la procé­dure, lui deman­dent de se pli­er à des tests psy­chi­a­triques ». Qu’en pense Jean-Michel, du cerveau de cette femme politique ?

  • Aphatie ne peut réprimer un immense sourire de sat­is­fac­tion quand il com­mence ain­si : « Oui, exper­tise psy­chi­a­trique, dans cette affaire il faut bien le dire on est chez les fous. 16 décem­bre 2015, Marine Le Pen pub­lie sur son compte Twit­ter offi­ciel, tout à coup, à la sur­prise générale, des images mon­trant des per­son­nes exé­cutées par Daech. C’est vio­lent et une dif­fu­sion d’images vio­lentes sur inter­net, ça vous vaut une mise en exa­m­en automa­tique, et ça c’est bien fait pour Marine Le Pen ».

Les derniers mots de cette cita­tion ne man­quent pas d’intérêt.

  • « Et après, la jus­tice se demande : est-ce qu’elle est nor­male, et alors elle rend des comptes et c’est très bien, ou alors est-ce qu’il y a un trou­ble pour pub­li­er ce type d’images, elle peut être déclarée irre­spon­s­able, et donc il n’y a pas de procès ».
  • « On peut être opposé à Marine Le Pen, on sait bien qu’elle est pas folle (…) Par ailleurs, on con­naît les cir­con­stances qui ont poussé Marine Le Pen à pub­li­er ces images. 16 décem­bre 2015, Jean-Jacques Bour­din reçoit sur RMC l’islamologue Gilles Kepel, et Bour­din se lance dans un par­al­lèle foireux entre le FN et Daech en dis­ant, je cite que le repli iden­ti­taire est finale­ment une com­mu­nauté d’esprit entre le FN et Daech, c’est n’importe quoi. Et Marine Le Pen réag­it de travi­o­le en met­tant ces images sur twitter »
  • « Donc elle n’est pas folle, il n’y a pas besoin d’expertise psy­chi­a­trique, c’est une évi­dence, c’est presque un scan­dale. Il faut se pencher deux sec­on­des sur les juges de Nan­terre, ils ont bien dû se mar­rer entre eux : “dis donc, t’es pas capa­ble d’envoyer une exper­tise psy­chi­a­trique à Marine Le Pen… Tu vas voir si je suis pas capa­ble, tiens” (rire d’Aliagas), en fait, c’est potache au tri­bunal de Nan­terre, et nous on en fait évidem­ment beaucoup ».
  • « On peut con­clure comme cela ce matin, on est tous dingues »

Il n’a pas tort Aphatie : ils sont tous dingues. Pourquoi ? Aucun sujet traité lors de cette semaine, aucune opin­ion du chroniqueur ne présente le moin­dre car­ac­tère essen­tiel. Il s’agit sim­ple­ment d’un com­men­taire, depuis la cour de récréa­tion, sur ce qui se passe dans cette même cour de récréa­tion médi­a­tique. Il n’y a aucun vrai sujet, à aucun moment, et pour­tant Aphatie en fait des chroniques. On peut être en désac­cord ou en accord avec les avis et opin­ions de Jean-Michel Aphatie, trans­for­mé chaque matin en com­men­ta­teur per­son­nel de la vie poli­tique. Mais ce n’est pas la ques­tion. Cette dernière est plus sim­ple : quelle est la légitim­ité de Jean-Michel Aphatie ? Plus pré­cisé­ment : qu’est-ce qui légitime son pas­sage du statut de jour­nal­iste à celui d’invité quo­ti­di­en à don­ner son opin­ion per­son­nelle à toute la France, sur des non-sujets ? Europe 1 ne pour­rait-elle pas don­ner la parole à des inter­venants intéres­sants, légitimes, sur des sujets d’importance, autrement dit à arrêter de croire que les audi­teurs sont des niais ? Un peu d’intelligence et de finesse d’esprit, des sujets et non pas des his­to­ri­ettes insignifi­antes de cour de récréa­tion de cette école pri­maire que sem­ble être devenu le Paris médi­a­tique, qui sait ? Cela redor­erait peut-être le bla­son de cette mati­nale et aug­menterait l’audience de la chaine.

Voir aussi