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[Dossier] Le lab d’Europe 1: après l’anecdotique, le politique

24 novembre 2014

Temps de lecture : 10 minutes
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[Dossier] Le lab d’Europe 1: après l’anecdotique, le politique

Temps de lecture : 10 minutes

Nous vous expliquions il y a quelques semaines le fonctionnement du Lab d’Europe 1, site médiatique où règnent l’anecdotique et le superficiel. Voici en complément, à travers à l’observation des articles de la dernière semaine de septembre, l’étude du parti pris des rédacteurs du Lab. Bien loin de la théorique objectivité des journalistes, on découvre comment, par le choix des angles et des sujets, le site nous plonge dans le bain du politiquement correct.

Scruter l’actualité poli­tique ? Oui, mais sans accorder la même place à tous ! Sur notre semaine de sep­tem­bre, voici le classe­ment des par­tis en fonc­tion du nom­bre d’articles qui leur a été con­sacrés (quand deux par­tis sont con­cernés, les arti­cles ont été comp­tés pour les deux partis) :

  • Par­ti Social­iste : 44 articles
  • Union pour un Mou­ve­ment Pop­u­laire : 20 articles
  • Front Nation­al : 9 articles
  • MoDem : 3 articles
  • Front de Gauche : 1 article
  • Par­ti de Gauche : 1 article
  • Union des Démoc­rates et Indépen­dants : 1 article
  • Debout la République : 1 article

Comme on peut le remar­quer, il y a une nette préférence pour le Par­ti Social­iste, puisque sur les 86 arti­cles de la semaine, plus de la moitié lui sont con­sacrés ! Si nous regar­dons plus en détail, nous pou­vons nous ren­dre compte qu’il y a égale­ment des dif­férences de choix séman­tique pour tous ces partis.

Prenons par exemple cet article sur le changement de nom des partis politiques, emblématique de l’état d’esprit très politiquement correct du Lab :

L’idée, « swag », de chang­er de nom pour un par­ti, Manuel Valls, lui, « l’a en tête depuis 2007 » rap­pelle le rédac­teur avant de faire le tour des partis.

  • Si le FN y pense, ce n’est que pour arrêter de « rebuter » les gens, même si Jean-Marie Le Pen trou­ve cela « débile ».
  • En ce qui con­cerne l’UMP, ce serait une aide pour sor­tir de la crise, un « cham­boule­ment » nécessaire.
  • Pour le PS, ce serait un choix « icon­o­claste », donc ter­ri­ble­ment rebelle, même si cer­tains aimeraient garder « ce beau nom ».
  • L’UDI et Debout la République sont égale­ment évo­qués, deux lignes cha­cun. Le pre­mier parce que le nom est récent, mais le deux­ième, parce que trop minori­taire ? Il est pour­tant le seul dont le change­ment de nom est acté, mais cet événe­ment n’a man­i­feste­ment pas mérité l’attention du Lab, qui ren­voie le lecteur vers Le Parisien, alors qu’il con­sacre huit arti­cles en trois jours au Par­ti Social­iste, lorsque Manuel Valls en évoque sim­ple­ment l’idée…

Cette « ligne rédac­tion­nelle » se retrou­ve dans le reste des arti­cles du Lab comme nous allons le voir maintenant.

Le traitement sympathique du PS

Le PS est-il sym­pa­thique aux yeux du Lab ? Si nous obser­vons le vocab­u­laire et les angles choi­sis, nous nous ren­dons rapi­de­ment compte que le Par­ti social­iste béné­fi­cie glob­ale­ment d’un regard posi­tif de ses rédac­teurs. Prenons Mar­tine Aubry par exem­ple, pas moins de sept arti­cles, en une semaine, lui sont con­sacrée. « Elle a pris la tête de la fronde », tel un valeureux chef de guerre, elle est com­parée à l’impératrice chi­noise Cixi, se révèle ferme sur ses posi­tions, mais pas menaçante tout de même. Certes, elle bro­carde tout le monde, pour cer­tains elle a même plan­té un coup de poignard dans le dos de ses copains, mais tout de même, quel sens de l’humour elle a, Mar­tine : voyez comme elle se marre aux remar­ques grivois­es de Sophia Aram con­cer­nant le superbe plug anal qui ornait la place Vendôme ! Ségolène Roy­al est égale­ment présen­tée comme une femme courageuse, forte et qui tient tête aux autres politi­ciens, y com­pris de son camp, pour défendre ses pro­jets et son hon­neur de femme.

Manuel Valls béné­fi­cie aus­si d’un sacré cap­i­tal sym­pa­thie, le Lab nous le présente dans l’affect, après la « perte d’un ami », com­prenez la mort de Christophe de Marg­erie, le PDG de Total. Puis lorsqu’il ren­con­tre Zahia à la Fiac, il trou­ve tou­jours le bon mot et l’attitude la plus « habile » pour ne pas se faire piéger. Idem dans un arti­cle con­sacré à Jean-Marie Le Guen, où le Secré­taire d’État chargé des Rela­tions avec le Par­lement prend posi­tion con­tre les fron­deurs. Arti­cle que le rédac­teur arrive à con­clure en citant une remar­que ironique de Manuel Valls, sans rap­port avec l’article, mais per­me­t­tant au Pre­mier min­istre de se van­ter d’être à l’avant-garde. Dans un autre post évo­quant le Pre­mier min­istre à l’origine de la polémique sur le change­ment de nom de son par­ti, le rédac­teur écrit que Manuel Valls « met le feu au PS » : autant de choix rédac­tion­nels qui don­nent l’impression d’un Pre­mier min­istre ter­ri­ble­ment insoumis, mais si ouvert poli­tique­ment.

Enfin, les rédac­teurs du Lab col­la­borent à la novlangue du sys­tème. Ils par­lent ain­si « d’astuce » pour évo­quer la magouille du PS afin de garder le siège de Pierre Moscovi­ci à l’Assemblée nationale. Et lorsqu’ils recon­nais­sent le cynisme de François Reb­samen qui par­le d’abord de « con­trôle » puis « d’accompagnement » des chômeurs, ils appel­lent cela « le sens de la for­mule ».

Le traitement d’une UMP « bling-bling »

Les arti­cles con­sacrés à l’UMP met­tent en relief divers aspects, jamais très reluisants du par­ti de droite. D’abord, le côté guerre des chefs, course à la prési­dence du par­ti oblige. Hervé Mari­ton est plutôt rail­lé ou en tout cas il n’est pas pris au sérieux pour sa ten­ta­tive de com­para­i­son des pro­grammes des can­di­dats qu’il a lui-même réal­isée, faute de débat interne. L’ironie du rédac­teur est man­i­feste : « il ne lâchera rien » ou « voici de quoi a l’air ce fameux doc­u­ment ». Éti­enne Baldit appelle cette envie de débat­tre sur le fond un « coup de com’ bien sen­ti ». Sarkozy n’est pas oublié, moqué notam­ment pour ses métaphores « sur­prenantes ». Mais c’est surtout son côté « méga­lo » qui lui est reproché, tou­jours à demi-mot bien sûr. « Nico­las Sarkozy, qui n’a pas per­du son intérêt pour les chiffres d’audience le con­cer­nant, s’est félic­ité de voir son comp­teur grimper. » Étrange juge­ment alors que les médias ne jurent que par les sondages.

Un des autres angles pour les papiers con­sacrés à l’UMP, c’est le dan­ger que le par­ti penche trop à droite. D’abord avec la « mithri­dati­sa­tion » des thès­es d’extrême droite selon Cécile Duflot. Bien sûr, lorsque Nico­las Sarkozy prononce un dis­cours plus à droite que d’habitude, le Lab, ne juge pas lui-même les pro­pos, mais relaie le tweet de @lecontempteur « de là ou je suis, en ani­mant la page FB de mon Media, je vois bien que ces pro­pos réson­nent. Comme ceux de Zem­mour » et la réponse de Cécile Duflot : « Face à un monde mou­vant et incer­tain, un dis­cours de réas­sur­ance basé sur la haine de l’autre prospère tou­jours. ». Même si, citoyens, ras­surez-vous, le Lab vous informe égale­ment que la droiti­sa­tion des esprits n’est pas encore acquise avec ce lien vers Slate.

Un autre dan­ger que court l’UMP serait le noy­au­tage de ce par­ti par les forces de La Manif pour Tous (LMPT). D’ailleurs Luc Châ­tel a appelé à faire des dons à l’UMP pour défendre la famille, « un procédé déjà util­isé pour lut­ter con­tre le mariage et l’adoption pour les cou­ples de même sexe ». Et puis, les trois can­di­dats à la prési­dence du par­ti ont accep­té de par­ticiper au meet­ing de Sens Com­mun, une struc­ture qui ambi­tionne de « noy­auter l’UMP » et de « récupér­er » le par­ti au prof­it des idéaux de La Manif Pour Tous, rien que ça.

Enfin, dernier volet, l’UMP serait le par­ti des voy­ous qui détour­nent de l’argent. Sur les soix­ante par­lemen­taires mis en cause par l’administration fis­cale, le Lab joue le gros plan sur un député et un séna­teur UMP. Cela per­met de cacher un peu le social­iste Théve­noud, surtout que le prési­dent de la com­mis­sion des finances à l’Assemblée nationale est égale­ment mis en cause et il est… UMP ! On en prof­ite alors pour réclamer sa démis­sion via la secré­taire nationale du Par­ti de Gauche, Raquel Garrido.

Le traitement de l’épouvantail Front National

Si on lit entre les lignes des rédac­teurs du Lab, on s’aperçoit qu’ils man­quent bien de neu­tral­ité à l’égard du Front Nation­al. Sys­té­ma­tique­ment qual­i­fié du terme-qui-fait-peur : « extrême-droite », le FN est évo­qué soit comme un épou­van­tail pour les autres par­tis (ici ou ) soit asso­cié aux-heures-les-plus-som­bres-de-notre-his­toire (ici ou ). Les rédac­teurs ten­teraient presque de met­tre en garde le citoyen con­tre le dan­ger d’un par­ti qui a récolté 25 % aux dernières élec­tions. « Pense-t-il [Philippe Mar­tel, chef de cab­i­net de Marine Le Pen] que le FN puisse impos­er son agen­da et son rythme à la presse ? Oui. »

Le juge­ment de valeur se ressent égale­ment lorsque, par exem­ple, le rédac­teur Jules Dar­manin affirme que « Robert Ménard a fait de sa ville the place to be pour tous les ten­ants de l’extrême droite et de la droite nation­al­iste ». Il cite ensuite Éric Zem­mour et Philippe de Vil­liers, les asso­ciant ain­si de fac­to à ce terme épou­van­tail d’extrême droite. Le rédac­teur qual­i­fie ensuite Alain Soral, d’« idéo­logue », alors que dans d’autres arti­cles du Lab, Bernard-Hen­ri Lévy est un philosophe-activiste ou même sim­ple­ment philosophe. Dif­férence de juge­ment, dites-vous ?

Guère de neu­tral­ité aus­si pour ce même rédac­teur lorsqu’il évoque Éric Zem­mour dans un autre arti­cle qu’il con­clut ain­si : « Jean-Marie Le Pen et celui qu’il appelle “Éric” — qui se refuse tou­jours à dire pour qui il vote — ont décidé­ment bien des choses en com­mun. ». Épi­logue lourd de sous-entendus…

Enfin, n’oublions pas d’évoquer la légère mau­vaise fois de Del­phine Legouté, dans son arti­cle con­sacré à ce jeune élu FN con­ver­ti à l’islam. « Un choix que lui reproche le par­ti », affirme la rédac­trice avant de citer quelques lignes plus loin Gaé­tan Dus­sausaye, directeur nation­al du Front Nation­al de la Jeunesse, qui assure le contraire…

Le traitement par le mépris et la condescendance des « petits »

Le Modem

Le par­ti de François Bay­rou a droit à trois arti­cles durant la semaine analysée. Mais deux con­cer­nent la volon­té de Manuel Valls (encore lui !) de ten­dre la main au par­ti cen­triste (ici et ). Le seul con­sacré réelle­ment au Modem rend compte de la volon­té de François Bay­rou que l’assemblée soit dis­soute. Loin d’être pris au sérieux, « le prési­dent du MoDem prône donc un remède de cheval », le rédac­teur achève son arti­cle en pro­posant au lecteur un lien où Michel Sapin « se moque car­ré­ment » de François Bayrou.

Debout la France

Un arti­cle pour le par­ti de Nico­las Dupont-Aig­nan. Loin d’être flat­teur, l’article explique com­ment NDA n’avait tou­jours pas eu con­nais­sance de la mort de Christophe de Marg­erie dans un acci­dent d’avion au lende­main de celle-ci. Peut-on faire con­fi­ance à un homme si peu infor­mé ? sem­ble être la ques­tion posée en filigrane.

L’UDI

Un arti­cle à notre comp­teur égale­ment pour l’UDI. Celui-ci raille Jean-Christophe Lagarde, can­di­dat à la prési­dence du par­ti, de « faire face à un sondage peu flat­teur : seuls 2 % des Français con­sid­èrent qu’il est le can­di­dat qui incar­ne le mieux le cen­tre ». L’homme rétorque que d’autres incon­nus ont réus­si à faire mieux que des fig­ures pop­u­laires, « je me sou­viens qu’Alain Kriv­ine était très con­nu et Olivi­er Besan­cenot incon­nu. Il se trou­ve qu’il a fait 5 fois plus de voix qu’Alain Kriv­ine. » Ce à quoi le rédac­teur répond : « reste déjà à savoir si l’homme en tête au pre­mier tour le restera au sec­ond tour ».

Dans un autre reg­istre de la con­de­scen­dance, cette fois-ci dans un arti­cle con­sacré au coup de gueule de la Voix du Nord, qui se plaint que Mar­tine Aubry préfère les médias nationaux, le Lab moque le quo­ti­di­en région­al « vexé » et « mécon­tent ». Serait-ce par mépris parisien ?

En faisant la synthèse de tous ces articles, il apparaît clairement que par petites touches, par choix sémantiques savants, le Lab se situe clairement du côté du politiquement correct, version militante. Condescendance pour ceux qui ne sont pas grands, antipathie à peine dissimulée pour le Front National, ironie pour les événements de l’UMP tandis que l’accent est mis sur les personnalités fortes et sympathiques du PS. En plus d’être champion dans le règne du superficiel et de l’anecdotique, le Lab tient décidément une place de choix dans les médias de propagande et de formatage idéologique, aux côtés du Grand Journal de Canal+, du 28′ d’Arte et de Street Press.

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