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Delphine Ernotte reconduite à la tête de France Télévisions : pourquoi la décision de l’ARCOM interroge

17 mai 2025

Temps de lecture : 6 minutes
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Delphine Ernotte reconduite à la tête de France Télévisions : pourquoi la décision de l’ARCOM interroge

Temps de lecture : 6 minutes

La nouvelle était attendue, elle est désormais officielle : Delphine Ernotte a bien été reconduite par l’ARCOM pour un troisième mandat à la tête de France Télévisions.

Une déci­sion atten­due donc mais qui inter­roge tout de même tant les con­tro­ver­s­es se sont mul­ti­pliées ces dernières semaines.

L’annonce était cousue de fil blanc. D’aucuns diraient même que les dés étaient pipés. Mer­cre­di 14 mai, l’ARCOM a annon­cé sa déci­sion de recon­duire Del­phine Ernotte pour un troisième man­dat à la tête de France Télévi­sions, per­me­t­tant ain­si à la « Dame de Fer » de pass­er 15 ans à la tête du groupe — une pre­mière dans l’au­dio­vi­suel français.

Dans les couliss­es de l’ARCOM, on évoque « le choix de la con­ti­nu­ité ». Dans les colonnes des grands médias, on explique que « les autres can­di­dats ne fai­saient pas le poids ». Il est vrai que face à Del­phine Ernotte, les trois autres con­cur­rents (Frédérique Dumas, ex-député LREM, Irène Grenet, passée chez France Télévi­sions Pub­lic­ité, et Jean-Philippe Lefèvre, anci­en­nement à Pub­lic Sénat durant 22 ans) cam­paient, dès le départ, le rôle d’acteurs de sec­ond plan.

Mais tout de même, le choix de l’ARCOM de recon­duire la prési­dente sor­tante inter­roge. Car entre des résul­tas (plus que) mit­igés et des con­flits d’intérêts révélés ces dernières semaines, le gen­darme de l’audiovisuel aurait pu se laiss­er ten­ter à un brin de nou­veauté. Tour d’horizon.

Un budget en déficit

Comme le révélait La Let­tre, c’est en effet sous la prési­dence de Del­phine Ernotte que France Télévi­sions a présen­té en 2025, « pour la pre­mière fois depuis neuf ans », un bud­get en déficit de 86 mil­lions d’euros.

Dans le rouge, le groupe audio­vi­suel pub­lic a d’ailleurs mul­ti­plié emprunts et mesures d’économies pour financer son activ­ité 2025 et ren­flouer les caiss­es. Au total, le groupe audio­vi­suel pub­lic aurait signé deux prêts pour un mon­tant de 40 mil­lions d’euros et un autre (de 50 mil­lions d’euros) serait en cours de négo­ci­a­tions auprès de l’Agence France Trésor.

Lire aus­si : France Télévi­sions : comptes dans le rouge, valses des postes… la direc­tion de Del­phine Ernotte en ques­tion ?

Preuve, s’il en fal­lait, que la sit­u­a­tion finan­cière du groupe inquiète depuis que Del­phine Ernotte en a repris les rênes, trois mag­is­trats de la Cour des Comptes (Chris­tine de Maz­ières, Lau­rent Rous­se­ly, Gwe­naëlle Suc) se sont lancés, en jan­vi­er 2025, dans une nou­velle éval­u­a­tion (le dernier rap­port de la rue Cam­bon — déjà très sévère — datait de 2016) de la ges­tion des comptes du groupe audio­vi­suel pour la péri­ode 2017–2024.

Mais l’affaire risque là encore de ne pas être mince : en mars 2024 déjà, l’Inspection générale des finances (IGF) pointait dans un rap­port l’opac­ité des comptes et l’ab­sence de compt­abil­ité analytique.

Des promesses non tenues

Sur les promess­es faites au CSA en 2020, là aus­si le bât blesse. Cette année-là, Del­phine Ernotte présen­tait devant le CSA un ambitieux pro­jet de réforme pour France Télévi­sions, s’engageant sur 35 promesses.

Cinq ans plus tard, révèle le col­lec­tif Médias Citoyens, un bilan « implaca­ble s’impose » : « 22 d’entre elles n’ont pas été tenues soit 63% du total ».

« Ces promess­es non respec­tées touchent aux chantiers les plus stratégiques : numérique, jeunesse, infor­ma­tion, diver­sité, coopéra­tion inter­ser­vices… Autant de domaines cru­ci­aux pour l’avenir du ser­vice pub­lic », souligne le col­lec­tif, rap­pelant que Del­phine Ernotte a été seule à choisir ces engagements.

« Elle dis­po­sait des moyens pour les met­tre en œuvre, elle avait une gou­ver­nance con­solidée. Pourquoi alors tant de promess­es inabouties ? Pourquoi tant d’opacité autour de leur suivi ? »

Ain­si, sous la prési­dence Ernotte, France Info qui devait à la fois : devenir « la pre­mière offre d’information sur tous les écrans », « con­trari­er le fatal­isme et la prophétie d’un média con­damné au vieil­lisse­ment » et « ouvrir les portes et les fenêtres » se révèle finale­ment, en 2025, la lanterne rouge des chaines d’info en con­tinu (avec 0,8 % de part d’audience), une télévi­sions de retraités (70 % des téléspec­ta­teurs de France Télévi­sions sont des inac­t­ifs — un record par­mi les chaînes publiques européennes) et n’a jamais été aus­si opaque quant à son fonc­tion­nement et sa comptabilité.

Voir aus­si : Le scan­dale des notes de frais de France Télévisions

Les producteurs amis devenus lobbyistes

Aux côtés des résul­tats plus que mit­igés de la prési­dence Ernotte — cer­tains évo­quent même un bilan « médiocre » — il est égale­ment une autre con­tro­verse, récem­ment soulevée par le Canard Enchaîné, au par­fum de con­flit d’intérêt. Comme l’a révélé le palmipède le 15 avril 2025, Del­phine Ernotte a en effet pu béné­fici­er du sou­tien appuyé des grands pro­duc­teurs privés (four­nisseurs de pro­grammes des chaînes publiques) – Medi­awan (mastodonte de la pro­duc­tion audio­vi­suelle fondé par Pierre-Antoine Cap­ton, Xavier Niel et Matthieu Pigasse) en tête.

Et pour cause… la prési­dente sor­tante — invitée d’ailleurs chez Maxim’s par Pierre-Antoine Cap­ton pour fêter ses 50 ans — a per­mis très large­ment à leurs affaires de prospér­er. Au total, sous la prési­dence d’Ernotte, ces pro­duc­teurs se sont ain­si « partagé un gâteau de 462 mil­lions d’euros » — une pre­mière dans l’histoire de l’audiovisuel pub­lic français, jamais une telle pro­por­tion d’argent pub­lic n’ayant été util­isée pour enrichir aus­si si peu d’acteurs privés.

« Pour mesur­er l’ampleur du sys­tème mis en place, il suf­fit d’observer les comptes de Medi­awan, pre­mier four­nisseur de con­tenus de France Télévi­sions, dont le chiffre d’affaires s’élève à 1,6 mil­liard d’euros. Ce groupe, détenu par le trio Cap­ton-Pigasse-Niel, pro­duit un grand nom­bre d’émissions dif­fusées sur France 2, France 3 et France 5. Il réalise 40 % de ses activ­ités français­es grâce à son prin­ci­pal client : France Télévi­sions », détaille de son côté le col­lec­tif Médias Citoyens.

Deux « autres lar­rons suiv­ent » : le groupe for­mé par Ele­phant et Fimalac, du mil­liar­daire Marc Ladre­it de Lachar­rière, qui dépend à 39 % de la télé publique, et le géant Ban­i­jay de Stéphane Cour­bit (Fort Boyard, Tarata­ta, etc.) qui vit lui à hau­teur de 20 % des com­man­des de l’équipe Ernotte ».

Un accord « tacite » avec Rachida Dati

Enfin, notons égale­ment que plusieurs médias ont récem­ment évo­quer « un accord tacite » qui aurait été con­clu entre Del­phine Ernotte et Rachi­da Dati : en échange de son ral­liement au pro­jet de hold­ing de l’audiovisuel pub­lic, la min­istre de Cul­ture aurait en effet pro­posé d’appuyer la recon­duc­tion de Del­phine Ernotte à la tête de France Télévisions.

Voir aus­si : Fusion de l’audiovisuel pub­lic : plus gros, plus effi­cace, plus utile ?

« Del­phine Ernotte se ver­rait bien diriger ce méga hold­ing. Et aurait mis un doigt dans la tam­bouille de sa min­istre de tutelle… », nous apprend de son côté Paul Quinio dans les colonnes de Libération.

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