La nouvelle était attendue, elle est désormais officielle : Delphine Ernotte a bien été reconduite par l’ARCOM pour un troisième mandat à la tête de France Télévisions.
Une décision attendue donc mais qui interroge tout de même tant les controverses se sont multipliées ces dernières semaines.
L’annonce était cousue de fil blanc. D’aucuns diraient même que les dés étaient pipés. Mercredi 14 mai, l’ARCOM a annoncé sa décision de reconduire Delphine Ernotte pour un troisième mandat à la tête de France Télévisions, permettant ainsi à la « Dame de Fer » de passer 15 ans à la tête du groupe — une première dans l’audiovisuel français.
Dans les coulisses de l’ARCOM, on évoque « le choix de la continuité ». Dans les colonnes des grands médias, on explique que « les autres candidats ne faisaient pas le poids ». Il est vrai que face à Delphine Ernotte, les trois autres concurrents (Frédérique Dumas, ex-député LREM, Irène Grenet, passée chez France Télévisions Publicité, et Jean-Philippe Lefèvre, anciennement à Public Sénat durant 22 ans) campaient, dès le départ, le rôle d’acteurs de second plan.
Mais tout de même, le choix de l’ARCOM de reconduire la présidente sortante interroge. Car entre des résultas (plus que) mitigés et des conflits d’intérêts révélés ces dernières semaines, le gendarme de l’audiovisuel aurait pu se laisser tenter à un brin de nouveauté. Tour d’horizon.
Un budget en déficit
Comme le révélait La Lettre, c’est en effet sous la présidence de Delphine Ernotte que France Télévisions a présenté en 2025, « pour la première fois depuis neuf ans », un budget en déficit de 86 millions d’euros.
Dans le rouge, le groupe audiovisuel public a d’ailleurs multiplié emprunts et mesures d’économies pour financer son activité 2025 et renflouer les caisses. Au total, le groupe audiovisuel public aurait signé deux prêts pour un montant de 40 millions d’euros et un autre (de 50 millions d’euros) serait en cours de négociations auprès de l’Agence France Trésor.
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Preuve, s’il en fallait, que la situation financière du groupe inquiète depuis que Delphine Ernotte en a repris les rênes, trois magistrats de la Cour des Comptes (Christine de Mazières, Laurent Roussely, Gwenaëlle Suc) se sont lancés, en janvier 2025, dans une nouvelle évaluation (le dernier rapport de la rue Cambon — déjà très sévère — datait de 2016) de la gestion des comptes du groupe audiovisuel pour la période 2017–2024.
Mais l’affaire risque là encore de ne pas être mince : en mars 2024 déjà, l’Inspection générale des finances (IGF) pointait dans un rapport l’opacité des comptes et l’absence de comptabilité analytique.
Des promesses non tenues
Sur les promesses faites au CSA en 2020, là aussi le bât blesse. Cette année-là, Delphine Ernotte présentait devant le CSA un ambitieux projet de réforme pour France Télévisions, s’engageant sur 35 promesses.
Cinq ans plus tard, révèle le collectif Médias Citoyens, un bilan « implacable s’impose » : « 22 d’entre elles n’ont pas été tenues soit 63% du total ».
« Ces promesses non respectées touchent aux chantiers les plus stratégiques : numérique, jeunesse, information, diversité, coopération interservices… Autant de domaines cruciaux pour l’avenir du service public », souligne le collectif, rappelant que Delphine Ernotte a été seule à choisir ces engagements.
« Elle disposait des moyens pour les mettre en œuvre, elle avait une gouvernance consolidée. Pourquoi alors tant de promesses inabouties ? Pourquoi tant d’opacité autour de leur suivi ? »
Ainsi, sous la présidence Ernotte, France Info qui devait à la fois : devenir « la première offre d’information sur tous les écrans », « contrarier le fatalisme et la prophétie d’un média condamné au vieillissement » et « ouvrir les portes et les fenêtres » se révèle finalement, en 2025, la lanterne rouge des chaines d’info en continu (avec 0,8 % de part d’audience), une télévisions de retraités (70 % des téléspectateurs de France Télévisions sont des inactifs — un record parmi les chaînes publiques européennes) et n’a jamais été aussi opaque quant à son fonctionnement et sa comptabilité.
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Les producteurs amis devenus lobbyistes
Aux côtés des résultats plus que mitigés de la présidence Ernotte — certains évoquent même un bilan « médiocre » — il est également une autre controverse, récemment soulevée par le Canard Enchaîné, au parfum de conflit d’intérêt. Comme l’a révélé le palmipède le 15 avril 2025, Delphine Ernotte a en effet pu bénéficier du soutien appuyé des grands producteurs privés (fournisseurs de programmes des chaînes publiques) – Mediawan (mastodonte de la production audiovisuelle fondé par Pierre-Antoine Capton, Xavier Niel et Matthieu Pigasse) en tête.
Et pour cause… la présidente sortante — invitée d’ailleurs chez Maxim’s par Pierre-Antoine Capton pour fêter ses 50 ans — a permis très largement à leurs affaires de prospérer. Au total, sous la présidence d’Ernotte, ces producteurs se sont ainsi « partagé un gâteau de 462 millions d’euros » — une première dans l’histoire de l’audiovisuel public français, jamais une telle proportion d’argent public n’ayant été utilisée pour enrichir aussi si peu d’acteurs privés.
« Pour mesurer l’ampleur du système mis en place, il suffit d’observer les comptes de Mediawan, premier fournisseur de contenus de France Télévisions, dont le chiffre d’affaires s’élève à 1,6 milliard d’euros. Ce groupe, détenu par le trio Capton-Pigasse-Niel, produit un grand nombre d’émissions diffusées sur France 2, France 3 et France 5. Il réalise 40 % de ses activités françaises grâce à son principal client : France Télévisions », détaille de son côté le collectif Médias Citoyens.
Deux « autres larrons suivent » : le groupe formé par Elephant et Fimalac, du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, qui dépend à 39 % de la télé publique, et le géant Banijay de Stéphane Courbit (Fort Boyard, Taratata, etc.) qui vit lui à hauteur de 20 % des commandes de l’équipe Ernotte ».
Un accord « tacite » avec Rachida Dati
Enfin, notons également que plusieurs médias ont récemment évoquer « un accord tacite » qui aurait été conclu entre Delphine Ernotte et Rachida Dati : en échange de son ralliement au projet de holding de l’audiovisuel public, la ministre de Culture aurait en effet proposé d’appuyer la reconduction de Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions.
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« Delphine Ernotte se verrait bien diriger ce méga holding. Et aurait mis un doigt dans la tambouille de sa ministre de tutelle… », nous apprend de son côté Paul Quinio dans les colonnes de Libération.