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Au quotidien turc Cumhuriyet, les kémalistes remplacent les progressistes

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26 septembre 2018

Temps de lecture : 4 minutes
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Au quotidien turc Cumhuriyet, les kémalistes remplacent les progressistes

Temps de lecture : 4 minutes

Cumhuriyet, “la République” en turc, est un des plus anciens quotidiens turcs. Fondé en 1924 par un journaliste et homme politique kémaliste, il affichait récemment un profil libéral pro occidental, hostile à l’islamisme conservateur du président Recep Erdogan.

Un produit kémaliste

Ali Rıza oğlu Mustafa Kemal Pacha (1881–1938) alias Atatürk (le père des turcs) avait pro­fondé­ment mod­i­fié son pays pen­dant les quinze ans de la révo­lu­tion kémal­iste (1923/1938) au cours de laque­lle le pre­mier prési­dent turc avait mar­qué forte­ment son empreinte. Abo­li­tion du sul­tanat, trans­fert de la cap­i­tale à Ankara, rem­place­ment de l’alphabet arabe par l’alphabet latin, sépa­ra­tion du pou­voir poli­tique (sul­tanat ou république) et du pou­voir religieux (cal­i­fat), droit de vote des femmes, qua­si par­ti unique (avec un par­ti d’opposition créé de toutes pièces), indus­tri­al­i­sa­tion rapi­de, grands travaux, inter­dic­tion du fez (et du hijab pour les femmes fonc­tion­naires) etc. La Turquie de 1938 aura peu de choses à voir avec celle qui a été dépecée lors du traité de Sèvres.

Si la lib­erté de la presse a eu des hauts et des bas pen­dant sa prési­dence, allant de la cen­sure totale à la tolérance rel­a­tive, Atatürk a tou­jours eu con­science de la néces­sité de moyens d’information qui sou­ti­en­nent sa poli­tique. Le quo­ti­di­en Cumhuriyet a glob­ale­ment suivi une ligne que l’on peut qual­i­fi­er de kémal­iste même après le décès de Mustafa Kemal en 1938.

15 juillet 2016, le tournant

C’est la date du coup d’État raté con­tre Erdo­gan. Celui-ci était il au courant du pro­jet, l’a‑t-il lais­sé éclore pour mieux l’étouffer ? L’histoire le dira. Tou­jours est-il qu’Er­do­gan en prof­ite pour asseoir son pou­voir, en par­ti­c­uli­er dans le monde des médias. La con­frérie soufie de Fethul­lah Gülen est accusée de com­plot et tous ceux qui y sont liés ou qui pour­raient lui être asso­ciés sont soumis à une répres­sion sévère, les jour­naux en pre­mier, des dizaines sont fer­més sur ordre des juges.

En novem­bre 2016 une douzaine de jour­nal­istes du quo­ti­di­en sont arrêtés et accusés de com­plic­ité avec la secte Gülen (ce dernier est réfugié aux États-Unis qui s’opposent à son extra­di­tion, en rétor­sion les autorités turques refusent de libér­er un pas­teur améri­cain accusé d’espionnage). Le procès sera long et com­pliqué. La juri­dic­tion est par­fois déplacée d’Istanbul à l’intérieur du pays, les accu­sa­tions de col­lu­sion sont éten­dues à celles de com­plic­ité avec la rébel­lion kurde. Les accusés seront libérés, cer­tains après quelques mois de déten­tion, d’autres après plus de dix huit mois dans les pris­ons du pays. Les prévenus sont con­damnés à des peines sus­pen­sives de prison de deux ans et demi à plus de huit ans (tous ont fait appel), ils ne sont pas libres de leurs activ­ités et ne peu­vent quit­ter le pays.

Conflit entre kémalistes et progressistes

Le quo­ti­di­en avait beau­coup évolué au début du XXIème siè­cle, per­dant de nom­breux lecteurs (moins de 40.000 exem­plaires de dif­fu­sion au print­emps 2018 con­tre plusieurs cen­taines de mil­liers à son apogée), s’éloignant forte­ment du kémal­isme nation­al­iste des fon­da­teurs pour se rap­procher d’une ligne pro­gres­siste qui serait celle des libéraux lib­er­taires en Europe type Le Monde en France ou Repub­bli­ca en Ital­ie. Petit à petit deux camps se fai­saient face à la rédac­tion : nation­al­istes con­tre pro­gres­sistes. En par­ti­c­uli­er depuis 2013 où un con­flit larvé interne se déroula autour de l’élection d’un nou­veau directoire.

Début sep­tem­bre 2018, ce sont les nation­al­istes (plus favor­ables à Erdo­gan, même s’ils ne sont pas exacte­ment sur une ligne iden­tique) qui l’emportent au nou­veau direc­toire. D’anciens respon­s­ables du quo­ti­di­en, élim­inés aupar­a­vant par les pro­gres­sistes, revi­en­nent aux manettes et le rédac­teur en chef Murat Sabun­cu est rem­placé par un kémal­iste bon teint, Alev Coskun. Avec le rachat d’un autre grand quo­ti­di­en, Hür­riyet, par un groupe économique proche du pou­voir, Erdo­gan a élim­iné deux de ses plus féro­ces adver­saires, reprenant para­doxale­ment une vieille poli­tique kémal­iste de con­trôle de l’opposition.