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Ségolène Royal rejoint LCI : « la confusion des rôles est un risque réel »

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5 octobre 2020

Temps de lecture : 9 minutes
Accueil | Veille médias | Ségolène Royal rejoint LCI : « la confusion des rôles est un risque réel »

Ségolène Royal rejoint LCI : « la confusion des rôles est un risque réel »

Temps de lecture : 9 minutes

Les proximités diverses entre politiques et journalistes ne datent pas d’hier. Les journalistes recherchent des informations, les politiques recherchent de la connivence. Ces connivences peuvent aller jusqu’à partager la même opinion voire le même lit. Ou bien donner lieu à des aller-retour entre carrières politique et médiatique, comme l’arrivée de Ségolène Royal sur LCI. Nous empruntons à Sputnik un article du 3 octobre 2020 sur le sujet, sous la signature de Victor Lefebvre. Certains intertitres sont de notre rédaction.

Ségolène, une belle prise pour LCI

« Ségolène Roy­al tien­dra une chronique régulière dans l’émission domini­cale « En toute fran­chise » sur LCI. Si l’ex-ministre social­iste n’est pas la pre­mière per­son­nal­ité poli­tique à rejoin­dre un média, la pra­tique soulève des inter­ro­ga­tions : la porosité entre monde poli­tique et sphère médi­a­tique est-elle souhaitable ?

Indé­ni­able­ment, il s’agit d’une belle prise. L’arrivée prochaine de Ségolène Roy­al sur l’antenne de LCI, comme chroniqueuse dans l’émission du dimanche En toute fran­chise, est un joli coup médi­a­tique pour la chaîne du groupe TF1, que révèle le JDD dans son édi­tion du 27 sep­tem­bre.
En 2017, c’était un autre social­iste bien con­nu, Julien Dray, qui débat­tait tous les mer­cre­dis avec le jour­nal­iste Nico­las Beytout sur la même antenne. Les social­istes sont pour­tant loin de détenir pas le mono­pole de la chronique médi­a­tique. Par­mi les per­son­nal­ités poli­tiques, bien d’autres s’y sont essayés avant eux.

Deux poids et deux mesures

Citons pêle-mêle, ces dernières années, l’ancien Pre­mier min­istre Jean-Pierre Raf­farin dans l’émission 19h le dimanche sur France 2, Hen­ri Guaino, anci­enne plume de Nico­las Sarkozy, sur Sud Radio, Jean-Louis Debré, ex-prési­dent du Con­seil con­sti­tu­tion­nel, sur Paris Pre­mière et Europe 1 ou encore Daniel Cohn-Ben­dit, sur Europe 1 égale­ment. Rares sont en revanche les per­son­nal­ités d’extrême droite à suiv­re un chemin iden­tique, à l’exception notable de Jean Mes­si­ha, mem­bre du RN, qui a son rond de servi­ette à Bal­ance ton post, une émis­sion de débats ani­mée par Cyril Hanouna sur C8.
Inter­rogé par Sput­nik, Claude Chol­let, prési­dent de l’Observatoire des jour­nal­istes et de l’information médi­a­tique (OJIM), rap­pelle néan­moins que Jean Mes­si­ha avait été écarté de l’antenne d’Europe 1 en août 2017 en rai­son de tweets jugés « problématiques » :

« Que Ségolène Roy­al rejoigne l’antenne de LCI en tant qu’éditorialiste n’est pas en soi choquant, mais il y a quand même une forme de deux poids, deux mesures : l’annonce de l’arrivée de Jean Mes­si­ha sur Europe 1 avait sus­cité un tol­lé, ce qui avait d’ailleurs empêché sa venue », souligne Claude Chollet.

La col­lu­sion se ferait donc davan­tage « entre les soci­aux-libéraux des deux côtés », si l’on en croit Claude Chollet.

Plus récem­ment, c’est Gas­pard Gantzer, l’ancien con­seiller en com­mu­ni­ca­tion de François Hol­lande, qui a fait par­ler de lui en rejoignant à son tour l’équipe de Bal­ance ton post.

Politique, médias, de fréquents allers-retours

Com­ment expli­quer de telles recon­ver­sions médi­a­tiques pour des hommes et des femmes poli­tiques ayant eu par le passé de hautes respon­s­abil­ités ? S’agit-il d’une volon­té de couper avec un milieu hos­tile, érein­tant, où les rival­ités sont permanentes ?
Gas­pard Gantzer apporte un début d’explication, lui qui avait présen­té sa can­di­da­ture à la mairie de Paris avant de se ral­li­er à Agnès Buzyn en févri­er dernier. En juil­let, il jus­ti­fi­ait ain­si son choix au Parisien :

« J’ai décidé de pren­dre du champ vis-à-vis de la poli­tique par­ti­sane et surtout de repren­dre ma lib­erté et mon indépendance. »

Même chose pour Rose­lyne Bach­e­lot, anci­enne min­istre de la San­té et précurseur en la matière, qui avait quit­té le monde poli­tique en 2012 pour faire car­rière dans les médias. Celle qui est passée par D8 (devenu C8), i>Télé (devenu CNews), Europe 1, RTL, RMC, LCI ou encore France 2 affir­mait ne pas envis­ager un retour en poli­tique… avant d’être nom­mée min­istre de la Cul­ture en juil­let dernier dans le gou­verne­ment Castex :

« Je ne reviendrai pas, c’est une déci­sion irrévo­ca­ble que j’ai prise […] La poli­tique est une drogue, les gens le savent. Ils pensent que je suis grave­ment intox­iquée et que si on me fait une propo­si­tion, je l’accepterai. Eh non ! », con­fi­ait Rose­lyne Bach­e­lot au Grand Jour­nal en 2016.

Une manière de survivre politiquement

​Claude Chol­let avance aus­si une expli­ca­tion très prosaïque: le besoin pour des poli­tiques en perte de vitesse de faire bouil­lir la mar­mite ou d’assurer leur autopromotion:
«La peur du chô­mage explique aus­si ces allers-retours: en jan­vi­er 2020, Ségolène Roy­al se fait débar­quer de son poste d’ambassadrice des pôles et espère ensuite un poste lors du dernier remaniement min­istériel, qu’elle n’obtient pas. Rejoin­dre aujourd’hui LCI est pour elle une manière d’exister poli­tique­ment», analyse Claude Chol­let pour Sput­nik.

Le besoin « d’exister poli­tique­ment » est-il pour autant la clé de voûte des immix­tions des poli­tiques dans la sphère médi­a­tique ? Cer­tains s’en défendent.

« Une frontière floue entre le monde politique et médiatique »

Autre expli­ca­tion invo­quée par les poli­tiques est la néces­sité de con­tribuer de manière plus directe aux débats de société. Qu’est-ce qui pousse un énar­que comme Gas­pard Gantzer à accepter de rejoin­dre l’équipe folk­lorique de Cyril Hanouna, par exem­ple ? Les audi­ences de Bal­ance ton post, qui réu­nit en moyenne 500.000 téléspec­ta­teurs par jour, jouent sans doute une large part… Pour expli­quer son choix, l’intéressé avance ain­si la « volon­té de créer un espace de débat quo­ti­di­en sur C8, qui s’adresse notam­ment aux jeunes et à un pub­lic var­ié et pop­u­laire.» Un argu­ment que repre­nait déjà à son compte Julien Dray à son arrivée sur LCI en 2017 : « Ça fait par­tie de notre tra­vail de faire vivre le débat d’idées et la confrontation. »

Une ques­tion se pose néan­moins : lorsqu’ils inter­vi­en­nent en tant que chroniqueur dans les médias, au nom de qui les poli­tiques s’expriment-ils ? Du média en ques­tion, de leur par­ti poli­tique d’origine, d’eux-mêmes ? La ques­tion n’est pas tou­jours tranchée et soulève un cer­tain nom­bre d’ambiguïtés.

En mars 2018, Hen­ri Guaino a par exem­ple été con­traint d’arrêter sa col­lab­o­ra­tion avec Sud Radio en qual­ité d’éditorialiste après avoir défendu sur BFMTV Nico­las Sarkozy, impliqué dans dif­férentes affaires judiciaires.

Le pro­prié­taire de Sud Radio de l’époque, Didi­er Maïs­to – qui a annon­cé mer­cre­di 30 sep­tem­bre qu’il quit­tait la radio –, jus­ti­fi­ait ain­si sa déci­sion d’écarter l’ancien con­seiller spé­cial de Nico­las Sarkozy :

« La fron­tière est par­fois floue entre le monde médi­a­tique et poli­tique. Ça ne me dérange pas que des hommes poli­tiques devi­en­nent des édi­to­ri­al­istes ou, inverse­ment, que des édi­to­ri­al­istes ou jour­nal­istes veuil­lent embrass­er une car­rière poli­tique, mais on ne peut pas faire les deux en même temps. Il faut savoir qui s’exprime, il faut tou­jours savoir d’où l’on par­le et qui par­le », théori­sait Didi­er Maïs­to dans une chronique sur Sud Radio en mars 2018.

Car le mélange des gen­res est en effet ce qui guette ces poli­tiques recon­ver­tis. Rien ne per­met d’affirmer que ces derniers, à l’image de Rose­lyne Bach­e­lot, ne revien­dront pas aux affaires poli­tiques après leur pas­sage dans les médias.

Entrisme politique

À ce titre, le cas de Raquel Gar­ri­do est édi­fi­ant. Lorsqu’elle débar­que, à la ren­trée 2017, sur le plateau de Les Ter­riens du dimanche sur C8, une émis­sion ani­mée par Thier­ry Ardis­son, celle qui était jusqu’alors porte-parole de La France insoumise ne cache pas sa volon­té d’entrisme poli­tique dans les médias :

« Les chaînes publiques et privées ont intérêt à don­ner la parole à des Insoumis, car ils représen­tent 20% des électeurs et une cer­taine cul­ture poli­tique, qui est désor­mais implan­tée dans le pays. […] Il faut ray­on­ner pour con­va­in­cre davan­tage et pass­er de 20 à 50% ! », expli­quait Raquel Gar­ri­do à Europe 1 en 2017.

Une volon­té d’influence que n’a pas man­qué d’épingler le CSA, qui a décidé de décompter ses pris­es de parole sur C8 du temps de parole attribué à LFI… Résul­tat des cours­es : l’avocate chili­enne a été con­trainte de renon­cer à son engage­ment poli­tique. Pour un temps seule­ment, puisque cette dernière sera tête de liste aux élec­tions munic­i­pales pour la mairie de Bag­no­let, avec le sou­tien de… LFI. Le temps de faire cam­pagne, celle-ci avait mis en pause sa par­tic­i­pa­tion à l’émission Bal­ance ton post, sur C8 toujours.

Le culot de Roselyne

Inter­rogée par Europe 1 en août 2017 sur ce risque de col­lu­sion entre médias et poli­tiques, Rose­lyne Bach­e­lot met­tait en garde con­tre une « con­fu­sion des rôles » périlleuse entre médias et poli­tiques. Le témoignage ne manque pas de sel quand on con­naît la tra­jec­toire de l’actuelle min­istre de la Culture :

« Il faut vrai­ment avoir quit­té la vie poli­tique pour que la may­on­naise prenne, c’est une con­di­tion sine qua non. Si c’est juste une par­en­thèse, les per­son­nes que vous avez en face de vous ne savent pas si elles s’adressent à un chroniqueur ou à un mil­i­tant. La con­fu­sion des rôles est un risque réel », pro­fes­sait Rose­lyne Bach­e­lot en 2017, trois ans avant de rejoin­dre le gou­verne­ment Castex.

Dans l’autre sens, les exem­ples de jour­nal­istes ayant déchiré leur carte de presse pour entr­er en poli­tiques ne man­quent pas non plus. Les deux plus « anciens » sont sans doute Noël Mamère (qui a fait une grande par­tie de sa car­rière de jour­nal­iste sur Antenne 2) et Robert Ménard, qui a cofondé l’association Reporters sans fron­tières en 1985, avant de se rap­procher de l’extrême droite et du Front national.

Le proces­sus s’est dernière­ment accéléré : Bruno Roger-Petit, passé par à peu près tous les médias français, est devenu porte-parole de l’Élysée puis « con­seiller mémoire » auprès d’Emmanuel Macron ; Lau­rence Haïm, ex-cor­re­spon­dante de Canal+ à Wash­ing­ton, a spo­radique­ment con­tribué à la cam­pagne de LREM en tant que porte-parole ; Audrey Pul­var, ex-com­pagne d’Arnaud Mon­te­bourg et présen­ta­trice entre autres pour France 3 et CNews, s’est engagée auprès d’Anne Hidal­go en tant qu’adjointe à la mairie de Paris ; Bernard Guet­ta, longtemps spé­cial­iste des ques­tions géopoli­tiques sur France Inter, est devenu eurodéputé sur une liste LREM.

Ce décloi­son­nement entre les deux milieux peut-il jeter le dis­crédit sur la pro­fes­sion de jour­nal­iste? Pour Claude Chol­let, ces affinités étaient «évi­dentes» et ne devraient par con­séquent sur­pren­dre personne :

« Les gens devraient ouvrir les yeux sur ces pra­tiques. […] Il ne fal­lait pas être grand clerc pour devin­er leurs sym­pa­thies lorsqu’ils étaient jour­nal­istes. Mais ils auraient dû être dis­crédités depuis bien longtemps déjà ! », assène Claude Chol­let, prési­dent de l’Observatoire du jour­nal­isme, au micro de Sput­nik. »

Voir aussi : [Dossier] Journalistes et politiques : la proximité jusque dans l’intime