Les médias en perdent leur latin.
Le pape Léon XIV était parmi les papabile, certes, mais pas parmi les favoris. N’ayant que peu d’informations sur ses opinions – ce qui est en soit une bonne nouvelle pour un pape, ils ont bien du mal à dessiner ce que pourrait être son pontificat.
Un pape discret. Quelle tuile !
Un « prélat américain au profil discret », et un « homme timide et réservé » selon Le Figaro. Une manière « visiblement plus sobre » que celle de François. « Un inconnu » pour le grand public selon Le Monde. Au fond, ce qui est difficile pour les médias, c’est que Léon XIV est, selon Etienne de Montety, « apprécié pour son sens de l’écoute ». Or, quand on écoute, on parle peu, ce qui donne d’autant moins de grain à moudre aux médias, qui étaient friands du pape François précisément parce qu’il parlait beaucoup. Quitte ensuite à lui reprocher des effets d’annonces et de la communication.
Conservateur ou progressiste ? Dieu seul le sait
Les médias rêvaient d’un progressiste, estimaient qu’il faudrait tout de même un pape un brin conservateur pour ne pas braquer les catholiques, et se retrouvent avec Léon XIV. Ils cherchent donc ce qui, dans sa personnalité, correspond à leurs pronostics. Le Monde note qu’il donne « une image rassurante ». En effet, les Augustiniens, dont il vient, ont la réputation d’être « attachés à la tradition autant qu’à la charité ». De plus, Léon XIV connaît la curie, qui a été bien malmenée par François. Le quotidien précise cependant que le nouveau pape est également « ancré dans la modernité et soucieux des exclus », donc dans les traces du pape François, auquel il a d’ailleurs rendu « un hommage appuyé ». D’un autre côté, Le Figaro note que son élection est « le fruit d’un conclave harmonieux » et en veut pour preuve les réactions des cardinaux. Tous les cardinaux. Le cardinal Blase Cupich, « bergoglien historique », donc fervent partisan du pape François, a montré un « visage réjoui ». De l’autre côté du spectre politique romain, le cardinal Burke, « l’un des symboles de la résistance conservatrice contre le pontificat de François », a envoyé un « message d’action de grâces » sur son compte X. Léon XIV fera-t-il des déçus ou enrayera-t-il le divorce de l’Eglise catholique ? L’avenir le dira.
L’international, l’atout de Léon XIV ?
La première bénédiction de Léon XIV est « sous le signe de la paix », selon Le Figaro, et il en a profité pour « [admonester] tous les belligérants du monde ». En cela, le nouveau pape marque une certaine différence avec son prédécesseur. L’un des points les plus reprochés à l’héritage de François concerne le message international. En effet, ce dernier avait tendance à voir les conflits sous le prisme du dialogue interreligieux qu’il essayait de nouer. Un filtre qui l’avait conduit à ménager la Russie pour ne pas se brouiller avec les orthodoxes et la Palestine pour ne pas froisser les musulmans. Le pape Léon XIV, lui, « laisse entrevoir une rupture » selon Le Monde, notamment sur le sujet de la guerre en Ukraine. Le nouveau pape restant malgré tout celui de l’écoute, de la discrétion, le quotidien note une évolution « subtile, prudente, mais claire ». Alors que François « au nom d’un pacifisme total », demandait une paix rapide et reprenait certains points de l’argumentaire russe, Léon XIV, lui, utilise une « sémantique proche de celle employée par Kiev et ses alliés européens ».
Que fera Léon XIV de l’héritage de Léon XIII ?
Enfin, Léon XIV se place, c’est évident, dans la lignée de Léon XIII, qui avait écrit l’encyclique Rerum novarum. Cette encyclique a fondé la doctrine sociale de l’Eglise, qui aborde la façon d’être catholique dans son devoir d’Etat, à savoir, souvent, le travail. Une encyclique largement étudiée et mise à jour. Dans les différentes associations catholiques concernant les professionnels plus ou moins jeunes, la doctrine sociale de l’Eglise est ce que l’on appelle un must. L’Humanité, cela n’étonnera personne, ne fréquente guère ces cercles et se demande donc si Léon XIV va « dépoussiérer cette encyclique », qui n’a jamais pris la poussière.
Léon XIV : une histoire marquée par la violence
Le Dauphiné Libéré dresse un portrait dithyrambique de Léon XIV, comme si le journaliste travaillait déjà sur son dossier de canonisation. Mais au fil de l’article, on discerne une histoire qu’aucun média ne semble vouloir raconter. Robert Prevost, actuel Léon XIV, grandit dans « un quartier de gens de la classe moyenne qui travaillaient dur, avec de solides valeurs familiales et une foi dans la communauté catholique ». Son père est directeur d’école, sa mère bibliothécaire. Aujourd’hui dans ce lieu où il semblait faire autrefois bon vivre, « des maisons sont murées et des commerces ont été transformés en temples évangéliques sur fond de déclin de la religion catholique. L’église paroissiale où le jeune Robert était enfant de chœur et son ancienne école sont à l’abandon. » Mais surtout, le quartier, et même la maison où a grandi Robert Prevost, souffrent de « beaucoup de violences liées au trafic de drogue ».
Robert Prevost ne pouvait pas ignorer ce qu’était devenu le quartier où il avait grandi, et cela soulève une question. Son sacerdoce mis au service des plus pauvres, notamment en Amérique du Sud, peut-il être une façon de traiter à la source certains des problèmes qui ont défiguré son quartier ? Son message pour la paix n’est-il qu’en direction de Donald Trump et Vladimir Poutine, ou également destiné aux trafiquants de drogue ?
Adélaïde Hecquet