« Seize siècles après sa disparition, saint Augustin impose le nom de l’Algérie dans tous les médias du monde », écrit un journaliste algérien sur son compte Facebook, au lendemain de l’annonce de l’élection du nouveau souverain pontife.
Les médias et réseaux sociaux foisonnent de marques de fierté et de rappels d’histoire de saint Augustin, maître théologien du Ve siècle d’origine algérienne dont se réclame Léon XIV. Ce dernier a tenu, dès son premier prêche, le 9 mai, à s’affirmer comme homme de dialogue, passeur de civilisations, mais surtout comme « fils de saint Augustin », revendiquant un ancrage spirituel – et même physique – en Afrique du Nord.
« Un pape augustin »
Cette référence à saint Augustin, natif de Thagaste (actuellement Souk Ahras, à l’est), est venue rappeler les racines multiculturelle et multiconfessionnelle de l’Algérie. Cela fait oublier, un moment, les stigmatisations périodiques dont fait l’objet ce pays pour non-respect de la liberté du culte. Selon le rapport 2025 de l’ONG Porte Ouvertes, toutes les églises protestantes ont été fermées par les autorités algériennes. Ce qui n’a pas empêché les médias locaux, y compris ceux proches du gouvernement, de célébrer l’élection d’un pape « augustin ».
Dans un article intitulé « Quand le nouveau pape faisait l’éloge de l’Algérie à travers de Saint Augustin », le site d’information Tout sur l’Algérie (TSA) met en relief la portée symbolique de cette déclaration. L’auteur de l’article décrit la ville natale de saint Augustin, Souk Ahras, comme une « matrice spirituelle » de l’Église et rappelle le poids de l’héritage nord-africain dans la théologie catholique. Chose que les manuels scolaires algériens – et même d’ailleurs – mentionnent rarement.
De son côté, Algérie360 tente, dans un long commentaire, de répondre à la question : « En quoi l’Algérie a‑t-elle marqué la spiritualité du nouveau pape ? » L’analyse met l’accent sur « l’intérêt mondial » qu’aurait suscité le lien du pape avec l’ordre augustinien et rappelle le rôle de l’ancienne cité algérienne Hippone (Bône, actuellement Annaba) dans la formation intellectuelle du saint.
Peut-on être musulman et attaché au pape ?
Le Matin d’Algérie (inaccessible en Algérie sans VPN) évoque un « pape missionnaire », « héritier de saint Augustin ». L’auteur du compte-rendu dépeint Léon XIV comme « le prolongement d’une mission spirituelle enracinée entre Afrique du Nord et Vatican ». Ce journal reprend également la déclaration sentencieuse du pape : « Je suis un fils de saint Augustin ! »
Sur les réseaux sociaux, plusieurs professionnels des médias ont accueilli, avec le même enthousiasme, l’arrivée d’un souverain pontife à l’enracinement théologique algérien. Le journaliste arabophone Nacerdine Saadi écrit à ce propos : « Seize siècles après sa disparition, saint Augustin impose le nom de l’Algérie dans tous les médias des cinq continents. » Mohamed-Chérif Lachichi, lui, a republié sur sa page Facebook un ancien article paru dans Liberté (aujourd’hui disparu), rendant hommage aux origines « annabies » du théologien et maître à penser de l’actuel pape.
Nassira Belloula, journaliste et romancière, place l’évènement sous les mêmes auspices : « Le nouveau pape, écrit-elle sur X, a eu le mérite de diriger les regards […] vers l’Algérie antique, vers Thagaste, son lieu de naissance (Souk Ahras), et Annaba (Hippone), » ajoutant le rôle-clé de M’daourouch, autre cité antique algérienne, dans le parcours intellectuel de saint Augustin.
Peut-on être simultanément musulman et attaché à ce point à la figure d’un théologien chrétien ? « Saint Augustin, souligne un internaute, ne se limite pas à la chrétienté ; il incarne une pensée profonde et une philosophie intemporelle. »
Face au drame des chrétiens d’Orient
Dans le reste du monde arabe, Léon XIV semble également avoir bonne presse. Les médias, toutes tendances confondues, ont mis en avant son profil d’« homme d’équilibre », de «paix » et de « dialogue interreligieux ». La région en a tellement besoin aujourd’hui pour désamorcer les graves crises qui la minent et qui sont en partie provoquées par le chiisme religieux ou confessionnel.
La chaîne de télévision du Hezbollah, Al-Manar, accorde toutes les faveurs à Léon XIV, en rappelant son appel à « la paix mondiale ». Un compte rendu publié sur le site officiel du mouvement chiite souligne « une volonté de réconciliation universelle à travers un message spirituel fort ».
Sur le même ton, Al-Majalla, hebdomadaire pro-saoudien paraissant à Londres, brosse un portrait fouillé intitulé « Pape Léo XIV, un Américain d’origine méditerranéenne », reprenant l’antienne algérienne à ce sujet. L’article décrit un pape « au profil métissé, à la croisée des mondes », et met en exergue son positionnement «équilibré » entre tradition et ouverture.
La presse arabe d’obédience chrétienne se montre particulièrement optimiste de l’engagement du nouveau pape en faveur des chrétiens d’Orient qui traversent une conjoncture difficile, notamment en Syrie et en Irak, où ils sont persécutés et contraints à l’exil. Le site Acimena salue, à ce propos, l’intérêt qu’a porté Léon XIV aux chrétiens d’Orient dès sa première allocution. « L’Église a besoin de l’Orient », avait-il clamé. Reste à savoir, si du point de vue arabe, l’Orient a besoin de l’église ?
Mussa A.