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Pourquoi les Algériens musulmans s’enthousiasment pour le nouveau pape

20 mai 2025

Temps de lecture : 5 minutes
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Pourquoi les Algériens musulmans s’enthousiasment pour le nouveau pape

Temps de lecture : 5 minutes

« Seize siè­cles après sa dis­pari­tion, saint Augustin impose le nom de l’Algérie dans tous les médias du monde », écrit un jour­nal­iste algérien sur son compte Face­book, au lende­main de l’annonce de l’élection du nou­veau sou­verain pontife.

Les médias et réseaux soci­aux foi­son­nent de mar­ques de fierté et de rap­pels d’histoire de saint Augustin, maître théolo­gien du Ve siè­cle d’origine algéri­enne dont se réclame Léon XIV. Ce dernier a tenu, dès son pre­mier prêche, le 9 mai, à s’affirmer comme homme de dia­logue, passeur de civil­i­sa­tions, mais surtout comme « fils de saint Augustin », revendi­quant un ancrage spir­ituel – et même physique – en Afrique du Nord.

« Un pape augustin »

Cette référence à saint Augustin, natif de Tha­gaste (actuelle­ment Souk Ahras, à l’est), est venue rap­pel­er les racines mul­ti­cul­turelle et mul­ti­con­fes­sion­nelle de l’Algérie. Cela fait oubli­er, un moment, les stig­ma­ti­sa­tions péri­odiques dont fait l’objet ce pays pour non-respect de la lib­erté du culte. Selon le rap­port 2025 de l’ONG Porte Ouvertes, toutes les églis­es protes­tantes ont été fer­mées par les autorités algéri­ennes. Ce qui n’a pas empêché les médias locaux, y com­pris ceux proches du gou­verne­ment, de célébr­er l’élection d’un pape « augustin ».

Dans un arti­cle inti­t­ulé « Quand le nou­veau pape fai­sait l’éloge de l’Al­gérie à tra­vers de Saint Augustin », le site d’information Tout sur l’Algérie (TSA) met en relief la portée sym­bol­ique de cette déc­la­ra­tion. L’auteur de l’article décrit la ville natale de saint Augustin, Souk Ahras, comme une « matrice spir­ituelle » de l’Église et rap­pelle le poids de l’héritage nord-africain dans la théolo­gie catholique. Chose que les manuels sco­laires algériens – et même d’ailleurs – men­tion­nent rarement.

De son côté, Algérie360 tente, dans un long com­men­taire, de répon­dre à la ques­tion : « En quoi l’Al­gérie a‑t-elle mar­qué la spir­i­tu­al­ité du nou­veau pape ? » L’analyse met l’accent sur « l’intérêt mon­di­al » qu’aurait sus­cité le lien du pape avec l’ordre augus­tinien et rap­pelle le rôle de l’ancienne cité algéri­enne Hip­pone (Bône, actuelle­ment Anna­ba) dans la for­ma­tion intel­lectuelle du saint.

Peut-on être musulman et attaché au pape ?

Le Matin d’Algérie (inac­ces­si­ble en Algérie sans VPN) évoque un « pape mis­sion­naire », « héri­ti­er de saint Augustin ». L’auteur du compte-ren­du dépeint Léon XIV comme « le pro­longe­ment d’une mis­sion spir­ituelle enrac­inée entre Afrique du Nord et Vat­i­can ». Ce jour­nal reprend égale­ment la déc­la­ra­tion sen­ten­cieuse du pape : « Je suis un fils de saint Augustin ! »

Sur les réseaux soci­aux, plusieurs pro­fes­sion­nels des médias ont accueil­li, avec le même ent­hou­si­asme, l’arrivée d’un sou­verain pon­tife à l’enracinement théologique algérien. Le jour­nal­iste arabo­phone Nac­er­dine Saa­di écrit à ce pro­pos : « Seize siè­cles après sa dis­pari­tion, saint Augustin impose le nom de l’Al­gérie dans tous les médias des cinq con­ti­nents. » Mohamed-Chérif Lachichi, lui, a repub­lié sur sa page Face­book un ancien arti­cle paru dans Lib­erté (aujourd’hui dis­paru), ren­dant hom­mage aux orig­ines « anna­bies » du théolo­gien et maître à penser de l’actuel pape.

Nas­sira Bel­loula, jour­nal­iste et roman­cière, place l’évènement sous les mêmes aus­pices : « Le nou­veau pape, écrit-elle sur X, a eu le mérite de diriger les regards […] vers l’Algérie antique, vers Tha­gaste, son lieu de nais­sance (Souk Ahras), et Anna­ba (Hip­pone), » ajoutant le rôle-clé de M’daourouch, autre cité antique algéri­enne, dans le par­cours intel­lectuel de saint Augustin.

Peut-on être simul­tané­ment musul­man et attaché à ce point à la fig­ure d’un théolo­gien chré­tien ? « Saint Augustin, souligne un inter­naute, ne se lim­ite pas à la chré­tien­té ; il incar­ne une pen­sée pro­fonde et une philoso­phie intemporelle. » 

Face au drame des chrétiens d’Orient

Dans le reste du monde arabe, Léon XIV sem­ble égale­ment avoir bonne presse. Les médias, toutes ten­dances con­fon­dues, ont mis en avant son pro­fil d’« homme d’équilibre », de «paix » et de « dia­logue inter­re­ligieux ». La région en a telle­ment besoin aujourd’hui pour désamorcer les graves crises qui la minent et qui sont en par­tie provo­quées par le chi­isme religieux ou confessionnel.

La chaîne de télévi­sion du Hezbol­lah, Al-Man­ar, accorde toutes les faveurs à Léon XIV, en rap­pelant son appel à « la paix mon­di­ale ». Un compte ren­du pub­lié sur le site offi­ciel du mou­ve­ment chi­ite souligne « une volon­té de réc­on­cil­i­a­tion uni­verselle à tra­vers un mes­sage spir­ituel fort ». 

Sur le même ton, Al-Majal­la, heb­do­madaire pro-saou­di­en parais­sant à Lon­dres, brosse un por­trait fouil­lé inti­t­ulé « Pape Léo XIV, un Améri­cain d’origine méditer­ranéenne », reprenant l’antienne algéri­enne à ce sujet. L’article décrit un pape « au pro­fil métis­sé, à la croisée des mon­des », et met en exer­gue son posi­tion­nement «équili­bré » entre tra­di­tion et ouverture.

La presse arabe d’obédience chré­ti­enne se mon­tre par­ti­c­ulière­ment opti­miste de l’engagement du nou­veau pape en faveur des chré­tiens d’Orient qui tra­versent une con­jonc­ture dif­fi­cile, notam­ment en Syrie et en Irak, où ils sont per­sé­cutés et con­traints à l’exil. Le site Aci­me­na salue, à ce pro­pos, l’intérêt qu’a porté Léon XIV aux chré­tiens d’Orient dès sa pre­mière allo­cu­tion. « L’Église a besoin de l’Orient », avait-il clamé. Reste à savoir, si du point de vue arabe, l’Ori­ent a besoin de l’église ?

Mus­sa A.

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