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Comme nouveau pape, les médias dominants veulent un progressiste

30 avril 2025

Temps de lecture : 6 minutes
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Comme nouveau pape, les médias dominants veulent un progressiste

Temps de lecture : 6 minutes

Qui sera le prochain pape ? Cette ques­tion n’est pas tout à fait celle qui brûle les lèvres de la majorité des jour­nal­istes. En réal­ité, ils veu­lent savoir si le prochain pape sera un pro­gres­siste ou un conservateur.

De l’importance d’avoir un pape pro-LGBT

Jean-François Colosi­mo évoque pour L’Express une suc­ces­sion « entre risque de repli con­ser­va­teur ou pon­tif­i­cat de tran­si­tion ». Le pape François a ouvert une voie, il serait dra­ma­tique de ne pas s’y engager. Les chantiers sont nom­breux, notam­ment en faveur des per­son­nes homo­sex­uelles. Le Point note que « de son pon­tif­i­cat, nom­breux sont ceux qui retien­dront son action bien­veil­lante en faveur d’une forme de recon­nais­sance des homo­sex­uels au sein de l’in­sti­tu­tion ecclésiale, quoique celle-ci demeure inachevée. » Un « pre­mier pas en direc­tion des fidèles LGBT catholiques » qui « a sus­cité l’ire d’une frange con­ser­va­trice de l’Église ».

Le pape François reflète ain­si, plus qu’une ouver­ture, un véri­ta­ble séisme, tant il aurait rompu avec la tra­di­tion de ses prédécesseurs. Selon Cyrille de Com­piègne, porte-parole de D&J Arc-en-Ciel, asso­ci­a­tion LGBT chré­ti­enne, cité par Le Point, « les pon­tif­i­cats de Jean-Paul II et de Benoît XVI ont été des pon­tif­i­cats de fer­me­ture et d’en­térine­ment dans les textes de la con­damna­tion de l’homosexualité. »

En réal­ité, le pape François était un pro­fes­sion­nel du déplace­ment de la fenêtre d’Overton. Evo­quer un change­ment ou une révo­lu­tion, observ­er les réac­tions, se rétracter. De quoi en décevoir beau­coup, qui atten­dent des change­ments rad­i­caux de la part de l’Église. Le Point con­tin­ue ain­si à citer des per­son­nes proches des milieux homo­sex­uels qui esti­ment que « C’est le pape des décep­tions. Il a mené une poli­tique de petits pas, d’allers-retours. Par­fois, il a avancé, sou­vent, il a reculé, puis réa­vancé, mais on ne sait pas finale­ment dans quelle direc­tion il voulait vrai­ment aller. » Selon ce titre, « mal­gré toutes ces avancées, la posi­tion de l’Église reste la même : l’ho­mo­sex­u­al­ité est un péché. » De là à dire que le pape François était prin­ci­pale­ment un com­mu­ni­quant, il n’y a qu’un pas.

Les médias rêvent d’une Église africaine, mais à l’occidentale

Le pape François avait les yeux tournés vers l’Amérique du Sud et l’Afrique, per­suadé que l’avenir de l’Église se trou­vait là, et non en Europe ou en Amérique du Nord. Il va de soi que les médias se félici­tent de cette ouver­ture. Seule­ment, ces régions sont égale­ment très con­ser­va­tri­ces, et cela ne fait pas l’affaire des médias. Le Monde déplore ain­si que François ait eu à « gér­er une con­tra­dic­tion : alors que l’Église catholique est en perte de vitesse aus­si bien en Europe qu’en Amérique latine, les pays où elle a le plus le vent en poupe, en par­ti­c­uli­er sur le con­ti­nent africain, sont aus­si ceux où sont rejetées le plus vigoureuse­ment les évo­lu­tions sur le plan de la sex­u­al­ité et des mœurs. »

L’Église est encore trop à droite

Pour les médias, il reste encore de nom­breux chantiers à achev­er pour l’Église. Le Monde note ain­si que « ni la ques­tion cen­trale de la place des femmes, ni celle de l’ordination de prêtres mar­iés, ni celle de l’accueil des cou­ples de même sexe, vigoureuse­ment com­bat­tues par des pans entiers de l’Église, notam­ment en Afrique, n’auront con­nu d’avancée con­crète. » Le quo­ti­di­en regrette notam­ment que le « car­ac­tère sys­témique » des abus sex­uels n’ait pas été recon­nu, ni « leur ampleur, voire leur réal­ité, dans bien des régions du monde. »

Le Monde titre « après le pape François, l’ouverture de l’Église en ques­tion ». Selon le média, le pape « dis­paraît pré­cisé­ment au moment où les forces qui s’opposaient à ses choix se ren­for­cent. » Le quo­ti­di­en pense notam­ment aux bons résul­tats de la droite aux divers­es élec­tions à tra­vers le monde, notam­ment aux Etats-Unis et en Europe. « Seul le temps long dira si, au-delà du pon­tif­i­cat de François, l’Église romaine sera capa­ble de rejeter durable­ment l’impasse iden­ti­taire et la ten­ta­tion con­ser­va­trice présentes sur tous les con­ti­nents et si claire­ment com­bat­tues par le chef qu’elle vient de per­dre », note le quotidien.

Selon la plu­part des médias, le prochain pape devra adapter l’Église au monde, alors que les catholiques renâ­clent. C’est ain­si que BFM TV présente l’un des pos­si­bles suc­cesseurs de François, Mario Grech dont il sera ques­tion plus en détail plus bas, comme un car­di­nal ayant par­ticipé à « créer une Église ouverte et atten­tive, tout en étant à l’é­coute des préoc­cu­pa­tions con­ser­va­tri­ces. » Des préoc­cu­pa­tions qui, par oppo­si­tion, seraient donc fer­mées et égoïstes, ce qui ne donne pas envie de s’y retrouver.

Comment les médias présentent les « papabili »

Les papa­bili sont les car­dinaux pressen­tis pour être le nou­veau pape. Le con­clave se tien­dra entre les 135 car­dinaux électeurs âgés de moins de 80 ans. BFMTV en présente 15. L’un d’eux, Mat­teo Mario Zup­pi archevêque de Bologne, en Ital­ie, est décrit comme un « homme svelte au vis­age jovial » qui « jouit d’une grande pop­u­lar­ité en Ital­ie ». La rai­son de sa pop­u­lar­ité explique ce por­trait louangeur : l’archevêque de Bologne est appré­cié pour « son action auprès des plus dému­nis. Il prône l’ac­cueil des migrants et des fidèles homo­sex­uels au sein de l’Église. » Même son de cloche pour Jean-Marc Ave­line, archevêque de Mar­seille. Un « défenseur de la fra­ter­nité inter­cul­turelle à la per­son­nal­ité souri­ante et affa­ble » qui a « très tôt cher­ché à favoris­er un dia­logue inter­re­ligieux apaisé et à oeu­vr­er pour la défense des migrants, deux piliers du pon­tif­i­cat de François. » La France pour­rait bien avoir son pape, et BFM TV en serait ravi. À moins que le choix des car­dinaux ne penche pour Anto­nio Tagle, ancien archevêque de Manille, aux Philip­pines, qui « est en pointe dans la défense des pau­vres, des migrants et des per­son­nes mar­gin­al­isées » et est décrit comme un « homme charis­ma­tique aux lunettes rec­tan­gu­laires, à l’al­lure juvénile et au sourire facile ».

À l’inverse, Peter Erdö, archevêque de Budapest qui « affiche des vues très con­ser­va­tri­ces, aus­si bien con­cer­nant les divor­cés remar­iés que les cou­ples homo­sex­uels » et auquel on « a reproché son silence face aux dérives anti­dé­moc­ra­tiques du gou­verne­ment de Vik­tor Orban », est décrit comme un « intel­lectuel austère ». Une descrip­tion peu ami­cale que BFM TV n’infligera cepen­dant pas à Tim­o­thy Dolan, archevêque de New-York, qui, quoique con­ser­va­teur et « farouche opposant à l’a­vorte­ment », est dépeint comme « un extraver­ti jovial qui appré­cie le sport, la bière ». À moins qu’il ne s’agisse de présen­ter « ce car­di­nal costaud au vis­age rougeaud » comme un can­di­dat peu sérieux. Le dernier de la liste est le car­di­nal Rober Sarah, « ultra-conservateur ».

La con­ti­nu­ité avec le pon­tif­i­cat de François est par­ti­c­ulière­ment remar­quée par les médias sur tous les sujets liés à l’accueil des migrants. BFMTV remar­que donc égale­ment Anders Arbore­lius, évêque de Stock­holm, qui « à l’u­nis­son de François, défend l’ac­cueil en Europe des migrants. » De la même façon, les car­dinaux qui ont par­ticipé à l’œuvre de François sont remar­qués. C’est le cas de Mario Grech, évêque de Gozo, en Ital­ie, qui « a joué un rôle cru­cial au cours du syn­ode sur l’avenir de l’Église voulu par François. Mgr Grech a été le secré­taire général de cette assem­blée mon­di­ale qui a délibéré de ques­tions cru­ciales comme la place des femmes et des divor­cés remariés. »

On se demande qui, des catholiques ou des médias, attend l’élection du futur pape avec le plus d’impatience. En tout cas, les favoris ne sont peut-être pas les mêmes.

Adélaïde Hec­quet

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