Qui sera le prochain pape ? Cette question n’est pas tout à fait celle qui brûle les lèvres de la majorité des journalistes. En réalité, ils veulent savoir si le prochain pape sera un progressiste ou un conservateur.
De l’importance d’avoir un pape pro-LGBT
Jean-François Colosimo évoque pour L’Express une succession « entre risque de repli conservateur ou pontificat de transition ». Le pape François a ouvert une voie, il serait dramatique de ne pas s’y engager. Les chantiers sont nombreux, notamment en faveur des personnes homosexuelles. Le Point note que « de son pontificat, nombreux sont ceux qui retiendront son action bienveillante en faveur d’une forme de reconnaissance des homosexuels au sein de l’institution ecclésiale, quoique celle-ci demeure inachevée. » Un « premier pas en direction des fidèles LGBT catholiques » qui « a suscité l’ire d’une frange conservatrice de l’Église ».
Le pape François reflète ainsi, plus qu’une ouverture, un véritable séisme, tant il aurait rompu avec la tradition de ses prédécesseurs. Selon Cyrille de Compiègne, porte-parole de D&J Arc-en-Ciel, association LGBT chrétienne, cité par Le Point, « les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI ont été des pontificats de fermeture et d’entérinement dans les textes de la condamnation de l’homosexualité. »
En réalité, le pape François était un professionnel du déplacement de la fenêtre d’Overton. Evoquer un changement ou une révolution, observer les réactions, se rétracter. De quoi en décevoir beaucoup, qui attendent des changements radicaux de la part de l’Église. Le Point continue ainsi à citer des personnes proches des milieux homosexuels qui estiment que « C’est le pape des déceptions. Il a mené une politique de petits pas, d’allers-retours. Parfois, il a avancé, souvent, il a reculé, puis réavancé, mais on ne sait pas finalement dans quelle direction il voulait vraiment aller. » Selon ce titre, « malgré toutes ces avancées, la position de l’Église reste la même : l’homosexualité est un péché. » De là à dire que le pape François était principalement un communiquant, il n’y a qu’un pas.
Les médias rêvent d’une Église africaine, mais à l’occidentale
Le pape François avait les yeux tournés vers l’Amérique du Sud et l’Afrique, persuadé que l’avenir de l’Église se trouvait là, et non en Europe ou en Amérique du Nord. Il va de soi que les médias se félicitent de cette ouverture. Seulement, ces régions sont également très conservatrices, et cela ne fait pas l’affaire des médias. Le Monde déplore ainsi que François ait eu à « gérer une contradiction : alors que l’Église catholique est en perte de vitesse aussi bien en Europe qu’en Amérique latine, les pays où elle a le plus le vent en poupe, en particulier sur le continent africain, sont aussi ceux où sont rejetées le plus vigoureusement les évolutions sur le plan de la sexualité et des mœurs. »
L’Église est encore trop à droite
Pour les médias, il reste encore de nombreux chantiers à achever pour l’Église. Le Monde note ainsi que « ni la question centrale de la place des femmes, ni celle de l’ordination de prêtres mariés, ni celle de l’accueil des couples de même sexe, vigoureusement combattues par des pans entiers de l’Église, notamment en Afrique, n’auront connu d’avancée concrète. » Le quotidien regrette notamment que le « caractère systémique » des abus sexuels n’ait pas été reconnu, ni « leur ampleur, voire leur réalité, dans bien des régions du monde. »
Le Monde titre « après le pape François, l’ouverture de l’Église en question ». Selon le média, le pape « disparaît précisément au moment où les forces qui s’opposaient à ses choix se renforcent. » Le quotidien pense notamment aux bons résultats de la droite aux diverses élections à travers le monde, notamment aux Etats-Unis et en Europe. « Seul le temps long dira si, au-delà du pontificat de François, l’Église romaine sera capable de rejeter durablement l’impasse identitaire et la tentation conservatrice présentes sur tous les continents et si clairement combattues par le chef qu’elle vient de perdre », note le quotidien.
Selon la plupart des médias, le prochain pape devra adapter l’Église au monde, alors que les catholiques renâclent. C’est ainsi que BFM TV présente l’un des possibles successeurs de François, Mario Grech dont il sera question plus en détail plus bas, comme un cardinal ayant participé à « créer une Église ouverte et attentive, tout en étant à l’écoute des préoccupations conservatrices. » Des préoccupations qui, par opposition, seraient donc fermées et égoïstes, ce qui ne donne pas envie de s’y retrouver.
Comment les médias présentent les « papabili »
Les papabili sont les cardinaux pressentis pour être le nouveau pape. Le conclave se tiendra entre les 135 cardinaux électeurs âgés de moins de 80 ans. BFMTV en présente 15. L’un d’eux, Matteo Mario Zuppi archevêque de Bologne, en Italie, est décrit comme un « homme svelte au visage jovial » qui « jouit d’une grande popularité en Italie ». La raison de sa popularité explique ce portrait louangeur : l’archevêque de Bologne est apprécié pour « son action auprès des plus démunis. Il prône l’accueil des migrants et des fidèles homosexuels au sein de l’Église. » Même son de cloche pour Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille. Un « défenseur de la fraternité interculturelle à la personnalité souriante et affable » qui a « très tôt cherché à favoriser un dialogue interreligieux apaisé et à oeuvrer pour la défense des migrants, deux piliers du pontificat de François. » La France pourrait bien avoir son pape, et BFM TV en serait ravi. À moins que le choix des cardinaux ne penche pour Antonio Tagle, ancien archevêque de Manille, aux Philippines, qui « est en pointe dans la défense des pauvres, des migrants et des personnes marginalisées » et est décrit comme un « homme charismatique aux lunettes rectangulaires, à l’allure juvénile et au sourire facile ».
À l’inverse, Peter Erdö, archevêque de Budapest qui « affiche des vues très conservatrices, aussi bien concernant les divorcés remariés que les couples homosexuels » et auquel on « a reproché son silence face aux dérives antidémocratiques du gouvernement de Viktor Orban », est décrit comme un « intellectuel austère ». Une description peu amicale que BFM TV n’infligera cependant pas à Timothy Dolan, archevêque de New-York, qui, quoique conservateur et « farouche opposant à l’avortement », est dépeint comme « un extraverti jovial qui apprécie le sport, la bière ». À moins qu’il ne s’agisse de présenter « ce cardinal costaud au visage rougeaud » comme un candidat peu sérieux. Le dernier de la liste est le cardinal Rober Sarah, « ultra-conservateur ».
La continuité avec le pontificat de François est particulièrement remarquée par les médias sur tous les sujets liés à l’accueil des migrants. BFMTV remarque donc également Anders Arborelius, évêque de Stockholm, qui « à l’unisson de François, défend l’accueil en Europe des migrants. » De la même façon, les cardinaux qui ont participé à l’œuvre de François sont remarqués. C’est le cas de Mario Grech, évêque de Gozo, en Italie, qui « a joué un rôle crucial au cours du synode sur l’avenir de l’Église voulu par François. Mgr Grech a été le secrétaire général de cette assemblée mondiale qui a délibéré de questions cruciales comme la place des femmes et des divorcés remariés. »
On se demande qui, des catholiques ou des médias, attend l’élection du futur pape avec le plus d’impatience. En tout cas, les favoris ne sont peut-être pas les mêmes.
Adélaïde Hecquet