Ojim.fr
Veille médias
Dossiers
Portraits
Infographies
Vidéos
Faire un don
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
<span class="dquo">«</span> France », un film de Bruno Dumont qui dénonce les médias du spectacle

L’article que vous allez lire est gratuit. Mais il a un coût. Un article revient à 50 €, un portrait à 100 €, un dossier à 400 €. Notre indépendance repose sur vos dons. Après déduction fiscale un don de 100 € revient à 34 €. Merci de votre soutien, sans lui nous disparaîtrions.

31 août 2021

Temps de lecture : 4 minutes
Accueil | Veille médias | « France », un film de Bruno Dumont qui dénonce les médias du spectacle

« France », un film de Bruno Dumont qui dénonce les médias du spectacle

Temps de lecture : 4 minutes

France de Meurs, de meurs comme tu meurs, comme mourir, comme tumeur. France est la fort belle vedette d’une grande chaîne de télévision et celle du dernier film de Bruno Dumont, une charge cruelle (et juste) contre les médias de l’information spectacle, de l’émotion programmée et de la mise en scène putassière.

Bruno Dumont

Dumont, onze films au comp­teur, depuis La vie de Jésus (1996, Caméra d’or à Cannes) jusqu’à l’émouvant dip­tyque Jean­nette, l’enfance de Jeanne d’Arc (2017) et Jeanne (2019) en pas­sant par le mag­nifique Flan­dres (2006), sans oubli­er la for­mi­da­ble série pour la télévi­sion P’tit Quin­quin (2014) et Coin-coin et les z’inhumains (2018).

Un cinéaste réputé austère, avec des bud­gets ser­rés, tour­nant sou­vent en décors naturels, avec des acteurs non pro­fes­sion­nels comme les deux pro­tag­o­nistes inou­bli­ables de la série télévisée P’tit Quin­quin, le com­man­dant Van der Wey­den et son adjoint Car­pen­tier, joués par Bernard Pru­vost et Philippe Jore, respec­tive­ment ouvri­er et sans emploi. Il tourne sou­vent dans sa région d’origine et de rési­dence, le Nord de la France, en par­ti­c­uli­er le Boulonnais.

France, changement de décor

Change­ment de décor avec son dernier film sur les impos­tures médi­a­tiques, tourné en France, en Ital­ie (pour les sup­posées guer­res du Moyen-Ori­ent) et en Alle­magne. France de Meurs est l’enfant choyée de la télévi­sion spec­ta­cle et du poli­tique­ment cor­rect. Entre un mari un peu mou, un enfant androg­y­ne aban­don­né à lui-même, un somptueux et froid apparte­ment place des Vos­ges, elle court de stu­dio en pseu­do reportage sur le vif, d’interview pré-for­maté en con­férence de presse (superbe fausse con­férence d’Emmanuel Macron). Son assis­tante est à la fois son attachée de presse, son men­tor, sa thérapeute et son mau­vais génie. D’amours mal­heureux en caram­bouilles avec le réel, d’accident de voiture où elle ren­verse un scoot­er à celui où mari et fils trou­vent la mort, elle joue son rôle de poupée jour­nal­is­tique, met­teuse en scène (et fal­si­fi­ca­trice) du monde et d’elle-même.

« Ils sont asep­tisés, bien-pen­sants, bien­séants. Je ne sup­porte pas cette espèce de ton, cette espèce de représen­ta­tion des choses très puri­taine, très morale… «On a besoin d’air, je préfère des jour­nal­istes qui par­lent libre­ment. France TV ce n’est pas vrai, c’est une télé à la vision puri­taine. » Bruno Dumont au sujet de France Télévi­sions lors de l’émission de radio, «Cul­ture médias».

Le vrai est un moment du faux

Cette cita­tion de Guy Debord pour­rait résumer le film. Tout est faux chez la vedette, ses amours, sa famille comme son méti­er. France est un ravis­sant ecto­plasme (remar­quable Léa Sey­doux), héroïne de l’audimat dont elle est à la fois la vedette et la vic­time à tra­vers une véri­ta­ble méta­physique du men­songe. Le point nodal de sa car­rière est atteint dans un « reportage » bidon­né lorsqu’elle accom­pa­gne un bateau pneu­ma­tique de migrants avec le vocab­u­laire lar­moy­ant et cul­pa­bil­isant d’usage. Las, tout est faux, tout est un mon­tage, les jour­nal­istes sont dans un superbe bateau, les futurs clan­des­tins ont été sélec­tion­nés comme dans un cast­ing et un inci­dent de régie décou­vre le pot aux ros­es. Huée, vilipendée, France revien­dra quand même à l’écran car comme le dit son assis­tante-gourou : « le pire, c’est le mieux, crois-moi j’ai vingt ans de télévision ».

Mon­té comme un roman pho­to, avec des plans qui s’étirent, comme une réal­ité trop sol­lic­itée, le film donne tout cru le spec­ta­cle des élites médi­a­tiques (ou d’une bonne par­tie de ceux-ci), le spec­ta­cle de la fab­ri­ca­tion et de la fal­si­fi­ca­tion du réel, et finale­ment le spec­ta­cle du « théâtre de la mort » comme le dit l’héroïne dans un moment de lucid­ité. Un film qui a été hué lors de sa pro­jec­tion à la presse. On se demande bien pourquoi.

France, de Bruno Dumont, 2h14’, avec Léa Sey­doux (France), Blanche Gardin (l’assistante), Ben­jamin Bio­lay (le mari), en salle.