[Première diffusion le 15 février 2016] Rediffusions estivales 2016
La nouvelle majorité conservatrice au pouvoir est bien décidée à rééquilibrer le paysage audiovisuel polonais, largement dominé par les progressistes pro-européens. La télévision publique polonaise va-t-elle passer d’une propagande à l’autre ou va-t-elle au contraire gagner en indépendance ?
Le parlement polonais a adopté le 31 décembre dernier une « petite loi sur les médias », la grande loi de réforme des médias publics étant attendue pour le printemps. Cette « petite loi » a changé la manière dont sont nommés les directoires et les conseils de surveillance de la radio et de la télévision publiques. Désormais, ce n’est plus le Conseil national de la radiophonie et de la télévision (KRRiT) qui nomme les membres de ces organes, mais le ministre du Trésor public qui est aussi le ministre de tutelle de toutes les entreprises publiques. En vertu de la nouvelle loi, les mandats des membres actuels des directoires et conseils de surveillance des médias publics prennent fin, ce qui permet à la nouvelle majorité parlementaire d’en nommer de nouveaux. Le 8 janvier, c’est donc un homme proche du parti Droit et Justice (PiS), Jacek Kurski, homme politique et journaliste, qui est devenu le nouveau président de la télévision publique polonaise TVP. Le ministre du Trésor public a également nommé le même jour une nouvelle présidente de la radio publique Polskie Radio, et un nouveau directeur pour la chaîne d’information publique TVP Info ainsi que pour l’agence d’information de TVP. La télévision publique, et notamment sa branche information, prennent ainsi un tour clairement conservateur.
Le grand ménage
Il est encore trop tôt pour dire à quoi ressembleront les médias publics polonais après la grande réforme du printemps. Le but affiché est de les rendre moins commerciaux et de les recentrer sur leur mission de service public, mais à ce jour leur future indépendance n’est pas garantie. En principe il devrait être créé un Conseil des médias nationaux (RMN) qui sera l’autorité de surveillance des médias publics, ce qui ôtera de l’importance au KRRiT dont l’existence est imposée par la constitution polonaise sans que ses missions soient précisément définies. Si les membres du KRRiT ont été nommés par la Diète, le Sénat et le président précédents pour une durée de 6 ans, le parlement a chaque année la possibilité de rejeter le rapport d’activité du KRRiT, ce qui entraîne automatiquement l’extinction de son mandat et la nécessité de nommer de nouveaux membres. C’est probablement ce qui va se passer en avril prochain, car la composition actuelle du conseil de l’audiovisuel polonais résulte d’un accord passé en 2010, après la mort du président Lech Kaczyński dans la catastrophe aérienne de Smolensk et l’élection du président Bronisław Komorowski. Cet accord passé entre la coalition PO-PSL au pouvoir et le parti social-démocrate SLD (issu de l’ancien parti communiste) a permis à ces partis de se partager le KRRiT et les médias publics. Ainsi, le président actuel du KRRiT est un ancien cadre du parti Plateforme civique (PO) et les trois autres membres sont d’anciens cadre de la PO, du parti « paysan » PSL et du SLD. Le membre choisi par le SLD était un dignitaire du parti communiste à l’époque de la dictature. Après les nouvelles nominations à la tête de TVP et de Polskie Radio par le nouveau KRRiT, quasiment tous les journalistes conservateurs, jugés trop proches du PiS (premier parti d’opposition) ou gênants pour le gouvernement PO-PSL de l’actuel président du Conseil européen Donald Tusk ont perdu leur travail dans les médias publics.
Des médias publics farouchement anti-conservateurs
De l’avis de l’électorat du PiS, les médias publics ont alors été transformés en organes de propagande progressistes, européistes et surtout anti-PiS. Il est certain que le style des informations télévisées a beaucoup changé en 2010 : un plus grand nombre de sujets mais avec un traitement plus superficiel, et aussi beaucoup plus de coupures et de montage des déclarations des uns et des autres, à la mode des deux grandes télévisions d’information privées TVN et Polsat, ce qui permet bien entendu toutes les manipulations. Cette orientation clairement anti-opposition conservatrice s’est transformée en de violentes attaques contre la nouvelle majorité et le nouveau gouvernement de Beata Szydło après les élections du 25 octobre gagnées par le PiS. Ainsi, lorsque le 22 novembre le nouveau ministre de la Culture est venu s’exprimer sur la chaîne TVP Info à propos d’une pièce de théâtre contenant des scènes pornographiques présentée au Teatr Polski de la ville de Wrocław, et donc subventionnée, pour expliquer pourquoi il avait demandé l’interdiction de cette représentation, la journaliste censée lui permettre d’exprimer sa position et celle du gouvernement n’a cessé de l’interrompre et de l’attaquer, l’empêchant carrément de parler. Le PiS était donc sous une forte pression de son électorat et de certains médias conservateurs pour remplacer rapidement la direction des chaînes publiques.
2,5 millions de Polonais se mobilisent pour une chaîne catholique
L’exigence de médias publics plus « objectifs », ou en tout cas aussi plus bienveillants vis-à-vis de la nouvelle majorité, est d’autant plus forte que les médias privés sont largement dominés par l’idéologie progressiste, européiste, pro-LGBT et anti-PiS. C’est sans l’ombre d’un doute l’orientation des deux grosses chaînes privées, TVN et Polsat, qui se partagent avec leurs sous-chaînes la quasi-totalité du bouquet de la TNT (hormis les fréquences occupées par la télévision publique). TVN, après avoir appartenu un temps au Français Canal+, à été revendu en 2015 à l’Américain Scripps Networks. Polsat appartient majoritairement à un homme d’affaires polonais qui est aussi un ancien délateur au service de la police politique du régime communiste. Si l’on trouve aujourd’hui sur la TNT une seule chaîne catholique et conservatrice, plus proche du PiS que des autres partis, ce n’est que grâce à la pression de la rue : de 2012 à 2013, au moment où les fréquences étaient attribuées, le conseil de l’audiovisuel KRRiT refusait une place à TV Trwam, du groupe médiatique Lux Veritatis (également propriétaire de la station de radio Radio Maryja et du quotidien national Nasz Dziennik) appartenant à l’ordre des Rédemptoriste. La plus grosse manifestation (il y en a eu des centaines dans tout le pays) a réuni environ 200 000 personnes en septembre 2012 à Varsovie et plus de 2,5 million de signatures de protestations ont été envoyées au KRRiT pour l’obliger à accorder une concession sur la TNT à une chaîne catholique dans ce pays de 38 millions d’habitants dont plus de 90 % se considèrent catholiques et 40 % se rendent régulièrement à la messe le dimanche. Auparavant, la télévision TV Trwam ne pouvait être vue que sur le câble ou avec une antenne satellite.
La grille des programmes de TV Trwam est cependant dominée par des émissions religieuses et d’évangélisation, et les programmes d’information ou à caractère politique y sont minoritaires. La seule autre télévision privée conservatrice, Telewizja Republika, récente et aux moyens très limités par rapport aux grands groupes médiatiques, ne peut pas être vue sur la TNT. Mais aujourd’hui, avec la télévision publique qui prend un tour conservateur face aux deux grands groupes médiatiques TVN et Polsat, le paysage télévisuel polonais devient plus diversifié et plus équilibré. D’où la tentation, à l’heure où la « grande loi médiatique » du printemps est en préparation, d’agir comme le gouvernement précédent plutôt que de chercher à faire de la télévision publique une télévision objective et neutre, si tant est qu’une telle télévision est possible.