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Assassinat d’Elias : Patrick Cohen dans la tourmente

30 juin 2025

Temps de lecture : 6 minutes
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Assassinat d’Elias : Patrick Cohen dans la tourmente

Temps de lecture : 6 minutes

Le 26 juin 2025, Stéphanie, mère d’Élias, un ado­les­cent de 14 ans trag­ique­ment assas­s­iné à Paris en jan­vi­er 2025, était l’in­vitée de Lau­rence Fer­rari dans l’émission Punch­line dif­fusée sur CNews. Dans un témoignage poignant, elle a exprimé sa colère et son indig­na­tion face aux pro­pos tenus par le jour­nal­iste Patrick Cohen. Lors de cette inter­ven­tion, Stéphanie a vive­ment cri­tiqué l’éditorialiste, l’accusant de manip­uler les faits entourant la mort de son fils.

« Refus de donner son portable »

Elle a déclaré sur le plateau :

« La semaine dernière, Patrick Cohen, dans son édi­to poli­tique sur France Inter, en par­lant de la déci­sion du con­seil con­sti­tu­tion­nel, a dit :

« Après la mort trag­ique du jeune Elias, tué à coups de machette pour avoir refusé de don­ner son portable…»

Ce que fait Patrick Cohen, c’est qu’il prend par­ti et qu’il manip­ule l’in­for­ma­tion et le meurtre d’Elias, en déci­dant lui-même, alors qu’on ne con­naît pas encore la vérité, que Elias a refusé de don­ner son télé­phone. Il réalise un biais cog­ni­tif, c’est-à-dire qu’il sous-entend que, si Elias avait don­né son télé­phone, il ne serait pas mort. Ce que fait Patrick Cohen, c’est quelque chose qu’on con­naît bien : une femme vio­lée, si elle n’avait pas porté une mini-jupe, elle n’au­rait pas été vio­lée… Donc pour nous, les par­ents d’Elias, cinq mois après la mort de notre enfant, enten­dre Patrick Cohen, qui est cen­sé être un jour­nal­iste rigoureux, on voit là qu’il ne l’est pas, qu’il est médiocre. Tenir de tels pro­pos, pour nous c’est indécent. »

Ce témoignage met en lumière le sen­ti­ment d’injustice ressen­ti par la famille d’Élias face à ce qu’elle perçoit comme une sim­pli­fi­ca­tion abu­sive et un manque de rigueur jour­nal­is­tique. En pointant du doigt un « biais cog­ni­tif », Stéphanie dénonce une nar­ra­tion qui, selon elle, attribue implicite­ment une part de respon­s­abil­ité à son fils dans son pro­pre meurtre, une approche qu’elle juge non seule­ment erronée mais pro­fondé­ment blessante.

Un contexte tendu : le clash entre Patrick Cohen et Rachida Dati

Cette con­tro­verse inter­vient dans un cli­mat déjà houleux autour de Patrick Cohen, récem­ment sous les feux des pro­jecteurs à la suite d’un échange par­ti­c­ulière­ment vir­u­lent avec la min­istre de la Cul­ture, Rachi­da Dati. Le 18 juin 2025, le plateau de C à vous sur France 5 a été le théâtre d’une con­fronta­tion d’une rare inten­sité entre le jour­nal­iste, chroniqueur emblé­ma­tique de l’émission ani­mée par Anne-Élis­a­beth Lemoine et édi­to­ri­al­iste poli­tique à France Inter, et la min­istre. L’interview, ini­tiale­ment cen­trée sur des accu­sa­tions relayées par Com­plé­ment d’enquête et Le Nou­v­el Obs, por­tait sur des hon­o­raires non déclarés que Rachi­da Dati aurait perçus de GDF Suez (aujourd’hui Engie) pour des presta­tions d’avocate pré­sumées fic­tives. Cohen, fidèle à son style incisif, a pressé la min­istre de s’expliquer sur ces allégations.

Mais l’échange a rapi­de­ment dérapé. Refu­sant de répon­dre directe­ment aux ques­tions, Rachi­da Dati est passée à l’offensive, met­tant en cause le com­porte­ment pro­fes­sion­nel de Cohen. Elle a évo­qué une enquête de Medi­a­part pub­liée en févri­er 2025, qui rap­por­tait les témoignages de 20 anciens col­lab­o­ra­teurs accu­sant le jour­nal­iste de har­cèle­ment et de man­age­ment tox­ique lors de son pas­sage à la tête de la mati­nale de France Inter, entre 2010 et 2017. Dati a lancé, avec une pointe d’ironie : « Est-ce que c’est vrai, Mon­sieur Cohen ? Est-ce que vous harcelez vos col­lab­o­ra­teurs ? » Elle a même men­acé de saisir la jus­tice via l’article 40 du code de procé­dure pénale, qui oblige toute autorité à sig­naler au pro­cureur les dél­its dont elle a con­nais­sance dans l’exercice de ses fonctions.

Une défense fragile et des accusations en miroir

Vis­i­ble­ment pris de court, Patrick Cohen n’a pas formelle­ment démen­ti les accu­sa­tions. Il s’est con­tenté de soulign­er qu’aucune plainte judi­ci­aire ni procé­dure interne n’avait été déposée con­tre lui. Pour­tant, comme l’a rap­pelé l’Obser­va­toire du jour­nal­isme (OJIM), plusieurs anciens salariés de France Inter ont effec­tive­ment décrit un man­age­ment agres­sif de la part de Cohen, mar­qué par des cri­tiques acerbes, des humil­i­a­tions et une « atmo­sphère de tra­vail anx­iogène ». En 2024, des jour­nal­istes avaient déjà publique­ment dénon­cé ses méth­odes, ren­forçant la crédi­bil­ité des témoignages rap­portés par Medi­a­part. Dans un effort pour repren­dre la main, Cohen a qual­i­fié l’attitude de Dati de « déshon­o­rante », l’accusant de recourir à des attaques per­son­nelles pour esquiver les ques­tions sur ses pro­pres agisse­ments. Mal­gré les ten­ta­tives d’Anne-Élisabeth Lemoine pour apais­er les ten­sions, Dati a per­sisté, inter­ro­geant l’équipe de C à vous sur un sup­posé « cli­mat de peur » au sein de l’émission.

Voir aus­si : Anne-Élis­a­beth Lemoine, portrait

Une ironie soulignée par le Huffington Post

L’échange a sus­cité un vif écho dans les médias et sur les réseaux soci­aux, où l’ironie de la sit­u­a­tion n’a échap­pé à per­son­ne. Comme l’a noté Loïse Dela­cotte dans un arti­cle pub­lié le 19 juin 2025 sur le Huff­in­g­ton Post : « Dans son clash avec Patrick Cohen, Rachi­da Dati a oublié ces enquêtes de Medi­a­part sur elle, pas eux. Dans C à vous, la min­istre de la Cul­ture s’est accrochée avec le jour­nal­iste poli­tique, en évo­quant des faits reprochés à ce dernier. Omet­tant qu’elle avait elle-même été visée par des arti­cles de Medi­a­part. » En effet, Medi­a­part avait pub­lié des enquêtes en décem­bre 2024 et novem­bre 2022, pointant du doigt les méth­odes d’intimidation de Dati con­tre la presse et ses liens avec un lob­by­iste, des accu­sa­tions qu’elle a soigneuse­ment omis de men­tion­ner lors de son offen­sive con­tre Cohen.

Une toile de fond explosive : la réforme de l’audiovisuel public

Ce clash s’inscrit dans un con­texte plus large, mar­qué par une forte ten­sion autour de la réforme de l’audiovisuel pub­lic portée par Rachi­da Dati. Cette réforme, visant à créer une hold­ing pour regrouper Radio France, France Télévi­sions et l’INA, a provo­qué une lev­ée de boucliers par­mi les salariés du secteur. Dès le 26 juin 2025, une grève illim­itée a été déclenchée à Radio France, suiv­ie par France Télévi­sions le 30 juin. Les grévistes exi­gent la sus­pen­sion de la min­istre, dénonçant une men­ace sur l’indépendance et la péren­nité de l’audiovisuel pub­lic. Comme l’a résumé France Cul­ture : « Grève illim­itée à Radio France con­tre la réforme de l’audiovisuel pub­lic. La min­istre de la Cul­ture Rachi­da Dati veut créer une hold­ing pour cha­peauter Radio France, France Télévi­sions et l’INA. » Quant à elle, la min­istre relève une sit­u­a­tion inten­able et esquisse une piste de réflex­ion : « L’audiovisuel pub­lic appar­tient à tous les Français, pour près de 4 mil­liards d’eu­ros. Pour­tant, les jeunes et les caté­gories pop­u­laires s’en détour­nent. 62% des Français s’in­for­ment sur les réseaux soci­aux. L’au­dio­vi­suel pub­lic doit s’adapter à ces nou­veaux usages par des investisse­ments mas­sifs dans le numérique. »

Voir aus­si : Patrick Cohen

Antoine Legor­ju

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