Le discret patron d’ARTE et président des États généraux de l’information
Bruno Patino est lancé pour un second quinquennat à la présidence de la chaîne franco-allemande Arte. Prolongé jusqu’en 2031, il aura la lourde tâche de développer le versant plateforme de la chaîne qui compte déjà plus de trois décennies d’existence.
« La reconduction de Bruno Patino […] permettra de poursuivre les dynamiques insufflées à ARTE », a résumé le président du conseil, l’essayiste et petit monarque dans le royaume d’ARTE Bernard-Henri Lévy à l’issue du vote du conseil de surveillance. C’est donc sous le patronage du très médiatique philosophe BHL que Bruno Patino a été reconduit le 8 décembre 2025 à la présidence du directoire d’Arte France pour un second mandat de cinq ans, qui débutera en mars 2026.
Discret mais résolument ancré culturellement dans la ligne de centre gauche européiste qui guide la chaîne, il est à la fois un personnage discret, réfléchi et déterminé, comme en témoigne son ascension professionnelle.
La décision du conseil de surveillance a été prise à l’unanimité, sur recommandation d’un comité ad hoc chargé d’évaluer le premier mandat et les orientations proposées pour la suite.
À 60 ans, Patino incarne une figure qui détonne cependant avec ses pairs puisqu’il s’agit d’un dirigeant passé par presque tous les étages de la fabrique médiatique, de la presse à la radio, de la télévision au numérique. Arte mise avec lui ainsi sur un profil à la fois intellectuel et gestionnaire, capable de poursuivre son travail pour une chaîne culturelle ancrée à gauche qui doit, en plus de la bataille éditoriale, se tailler une part du gâteau dans le domaine technologique.
Le conseil de surveillance justifie la reconduction de son président par la volonté d’« européaniser les offres », de renforcer Arte.tv et d’élargir l’audience, notamment chez les jeunes, une cible idéologique de choix pour le média.
Sa famille
Né le 8 mars 1965 à Courbevoie, Bruno Patino est le fils de Hugo Patiño, passé de la direction d’orchestre à La Paz (Bolivie) à la production pour le service espagnol de RFI. Sa mère a travaillé comme assistante sociale dans une fondation dédiée aux enfants autistes. Son grand-père maternel a été administrateur général de France-Soir. Marié, il est père de deux enfants
Parcours universitaire
Diplômé de Sciences Po Paris et de l’ESSEC, Bruno Patino a complété sa formation par un master of Arts à Johns Hopkins (SAIS), un doctorat en sciences politiques à Paris III et un programme de management à l’INSEAD. Cette trajectoire académique, peu commune dans l’audiovisuel, lui donne une certaine légitimité pour envisager la mutation d’une structure dans un secteur médiatique changeant.
Parcours professionnel
Après des débuts marqués par des expériences internationales, notamment auprès de l’ONU à New York puis au Chili au début des années 1990, il est également correspondant du Monde au Chili, il a occupé des fonctions clés au sein du Groupe Le Monde, présidé Le Monde Interactif et dirigé Télérama. Il prend ensuite la tête de France Culture (2008–2010), rejoint France Télévisions pour piloter le numérique et France 5, puis les programmes et antennes du groupe. En 2014, il échoue à accéder à la présidence de Radio France.
En 2015, il arrive à Arte France comme directeur éditorial avant d’en devenir président du directoire en juillet 2020. En janvier 2024, après la démission de Bruno Lasserre de son poste de président des États généraux de l’information, Bruno Patino le remplace.
Parcours militant
Il a été élu en 2008 au conseil municipal de Sceaux sur une liste de centre et de centre droit, puis a démissionné rapidement. Cet épisode semble plus signaler un ancrage local qu’un engagement partisan durablement assumé et ses inclinations idéologiques sont celles de la gauche.
Ce qu’il gagne
La rémunération de Bruno Patino depuis 2020 n’est pas publiquement détaillée. Cependant, pour la précédente titulaire du poste, Véronique Cayla (jusqu’en 2020), le salaire annuel brut était de 259 113 euros en 2014, dont une part fixe de 227 666 euros et une part variable.
Compte tenu de la stabilité des rémunérations dans l’audiovisuel public français, le salaire actuel de Bruno Patino est vraisemblablement proche de 250 000 à 260 000 euros bruts par an, hors avantages en nature potentiels.
Prix et récompenses
Bruno Patino est chevalier de l’ordre national du Mérite (2016) et chevalier de la Légion d’honneur (2022).
Conférences & communications
Il intervient régulièrement dans des événements consacrés à l’innovation médiatique et au numérique, notamment dans l’écosystème professionnel des médias. À la tête d’un média télévisé, il passe cependant rarement devant la caméra.
Quelques apparitions sont néanmoins à relever, notamment pour les 30 ans de la chaîne sur France Info. Il y défend un média franco-allemand tourné vers l’Europe, en conformité avec l’acronyme ARTE : « Association relative à la télévision européenne ».
Il a également pu profiter d’un passage sur la télévision pour évoquer la « plateformisation » de la chaîne qu’il veut réactiver à l’information et éditorialiser.
Publications
Auteur de plusieurs essais, Bruno Patino a publié neuf ouvrages entre 2000 et 2024, explorant initialement des thèmes politiques avant de se tourner vers les ruptures causées par Internet et l’économie de l’attention (l’abondance d’information crée une pauvreté d’attention). Son premier livre, Pinochet s’en va (IHEAL, 2000), analyse la transition démocratique au Chili après le régime de Pinochet.
En 2005, avec Jean-François Fogel, il signe Une presse sans Gutenberg (Grasset), qui examine l’impact d’Internet sur le journalisme et la presse traditionnelle, marquant la fin de l’ère de l’imprimerie. Huit ans plus tard, toujours avec Fogel, La condition numérique (Grasset, 2013) approfondit les transformations anthropologiques, sociales et économiques induites par le numérique.
En 2016, Télévisions (Grasset) offre un récit personnel sur son expérience à la direction des programmes de France Télévisions, mêlant anecdotes et analyses des mutations audiovisuelles. À partir de 2019, Patino se concentre sur l’attention comme ressource rare : La civilisation du poisson rouge (Grasset) critique comment les plateformes web exploitent les neurosciences et les données personnelles via des récompenses aléatoires pour capter l’attention humaine.
Ce thème se poursuit en 2022 avec Tempête dans le bocal (Grasset), qui explore les turbulences d’une société numérique saturée. En 2023, S’informer, à quoi bon ? (La Martinière) questionne l’utilité de l’information dans un monde surchargé, tandis que Submersion (Grasset) aborde les excès d’immersion digitale. Enfin, Rire avec le diable (Grasset, 2024), un essai court, revient sur Pinochet, renouant avec son premier livre écrit 23 ans plus tôt.
À travers ces œuvres, majoritairement chez Grasset, Patino trace essentiellement l’évolution des médias, critiquant les effets addictifs du web sur la société et influençant les débats sur la régulation numérique.
Sa nébuleuse
Ses réseaux professionnels relient la presse du Groupe Le Monde, l’audiovisuel public (France Culture, France Télévisions) et la gouvernance franco-allemande d’Arte.
Il l’a dit
« On est une chaîne culturelle au sens large, c’est-à-dire, vie des idées, vie de la culture, marche du monde, essayer de l’expliquer, essayer d’avoir toutes les formes narratives, tous les goûts ». C Médiatique janvier 2025.
« La question n’est plus de publier ou produire des images, c’est qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné, ces images peuvent avoir un sens […] J’aime beaucoup dans le mot service public le mot « service » […] on est vraiment au service du public ». C Médiatique janvier 2025.
Sur la question d’un possible fléchage publicitaire : « Il faudra, à un moment, aller vers des mécanismes plus contraignants, notamment vis-à-vis des grandes plateformes. Instaurer une contribution spécifique sur la publicité digitale, orientée vers l’écosystème de l’information, pourrait être une étape structurante. Et au fond, c’est même une question de justice économique : l’information produit de la valeur, elle doit être rémunérée à la hauteur de cette valeur. », entretien pour geste.fr le 19 juin 2025.
« Une IA c’est assez bête, ça ne connaît pas les phrases, ça ne réfléchit pas, en tout cas pour l’instant, l’IA ça produit des phrases par statistique et ce qui est fou c’est que ces phrases produites par statistique ont un sens. », « Masterclass » lors de la Semaine de la presse et des médias à l’école, avril 2025.
On l’a dit
« Un ange passe : Bruno Patino. Descendant d’un compositeur bolivien, le patron de France Culture fait carrière plus vite que la musique. », Philippe Lançon (journaliste à Libération et Charlie Hebdo) dans un portrait élogieux en 2009, soulignant sa rapidité de carrière.
« Que Bruno Patino prenne la succession de Véronique Cayla, à la tête d’Arte, c’est réjouissant. Véronique a réalisé un parcours [où] Arte a progressé, s’est rajeunie. Meilleur service digital, de loin. Bruno y a largement contribué. Il a le talent pour aller plus loin. », Pierre Lescure (ancien président de Canal+ et figure des médias français) sur X le 23 juin 2020.
« Bruno Patino, ancien du Monde, est responsable d’Arte. […] Il prône le pluralisme. Sauf pour l’odieux visuel public colonisé par la gauche intolérante. », Gilles-William Goldnadel (avocat et chroniqueur) sur X le 14 septembre 2024.
Photo : Bruno Patino présentant son livre “Tempête dans le bocal : la nouvelle civilisation du poisson rouge”, janvier 2022. Capture d’écran vidéo (CC BY 3.0 / Wikipédia / Librairie Mollat).












