Bruxelles prépare une refonte ciblée du Règlement général sur la protection des données (RGPD) dans le cadre du paquet « Digital Omnibus », afin de faciliter l’entraînement des systèmes d’intelligence artificielle (IA) sur les données personnelles, tout en lançant un « bouclier démocratique » censé protéger les élections et soutenir les médias. Un double mouvement qui pose la question de l’équilibre entre innovation, vie privée et pluralisme de l’information.
La Commission européenne s’apprête, le 19 novembre 2025, à présenter un projet d’ajustement du RGPD et de l’AI Act pour les adapter à l’ère de l’IA, tout en dévoilant un « bouclier démocratique » destiné à lutter contre les ingérences étrangères et la désinformation. Derrière la technicité des textes, c’est la gouvernance de l’espace informationnel européen qui se redessine.
Un RGPD reconfiguré pour l’IA
Selon les premières analyses du projet « Digital Omnibus », Bruxelles souhaite clarifier que l’entraînement des modèles d’IA sur des données personnelles peut reposer sur la base juridique de « l’intérêt légitime » des entreprises, à condition de respecter certains garde-fous (minimisation, transparence, tests de mise en balance).
Le texte toucherait aussi à la définition des données personnelles et au statut des données « pseudonymisées », qui pourraient, dans certains cas, sortir du champ de protection pleine et entière du RGPD, facilitant ainsi leur réutilisation pour l’IA.
Pour la Commission, il s’agit de « moderniser » un cadre jugé trop lourd et de réduire la complexité réglementaire pour les acteurs européens face aux concurrents américains et chinois.
Mais des ONG de défense des droits numériques, comme Noyb ou EDRi, dénoncent une « dérégulation » déguisée : elles alertent sur un affaiblissement structurel des protections, notamment pour les données sensibles, et parlent d’un « démantèlement » des principes fondateurs du RGPD.
Le risque est ici d’exposer les internautes à un usage non souhaité de leurs données.
IA, désinformation et « bouclier démocratique »
Parallèlement, la Commission a présenté un « bouclier démocratique européen » articulé autour d’un Centre européen pour la « résilience démocratique », chargé de coordonner les États membres contre les ingérences étrangères, les campagnes de désinformation et l’usage malveillant de l’IA (deepfakes, contenus générés par IA…).
Le dispositif s’appuie sur l’IA Act qui impose des obligations de transparence pour certains systèmes d’IA, notamment l’étiquetage des contenus synthétiques, et sur le DSA pour encadrer les grandes plateformes.
Il prévoit aussi un réseau européen de fact-checkers et des programmes de soutien aux médias, en particulier dans les « déserts médiatiques » et pour le journalisme indépendant.
Reporters sans frontières salue la volonté affichée de soutenir les médias comme antidotes à la désinformation, mais juge les mesures « insuffisantes » tant que ne sont pas imposés, par la loi, une meilleure visibilité algorithmique des sources fiables et une contribution financière des grandes plateformes au journalisme d’intérêt public.
Entre assouplissement du RGPD au bénéfice de l’IA et renforcement des outils contre la désinformation, l’UE tente en façade de concilier compétitivité technologique, protection des données et défense de l’ordre démocratique. En réalité, ces mesures pourraient tout aussi bien mener à une plus faible protection des données personnelles et renforcer des médias aux ordres ou tout au moins soumis à la doxa du donneur d’ordre européen. Et sous les fourches caudines des fact-checkers autorisés des médias et des associations de grand chemin.
Rodolphe Chalamel


















