Le sujet des droits d’auteur face à l’intelligence artificielle (IA) aura résolument tenu en haleine l’actualité de ces derniers mois : alors que l’OJIM partageait ce 8 octobre 2025 le scandale des résumés IA, dans le cadre duquel « Le New York Times, ayant perdu autour de 36 % de son trafic, a déjà attaqué Google en justice », le 13 juin 2025, « pour la première fois, un tribunal a condamné pénalement l’usage de l’intelligence artificielle générative dans une affaire de contrefaçon » (Emmanuel Moyrand, IA générative et droit d’auteur : la première condamnation pénale en Chine change la donne mondiale, 6 octobre 2025). Zoom sur une bataille qui bouleverse la création sur tous les continents.
Copie à la chinoise…
Comme l’analyse entre les lignes Emmanuel Moyrand, l’affaire du tribunal populaire du district de Tongzhou inclut très clairement la reproduction d’œuvres d’art de la créatrice Madame Zhang, dans la mesure où un outil d’intelligence artificielle a été utilisé pour « générer des images quasiment identiques à des œuvres protégées, puis de les avoir commercialisées sous forme de puzzles » à travers des boutiques d’e‑commerce. Cette affaire soulève des questions juridiques fortes, et révèle le manque de jurisprudence sur le sujet. Si dans cette situation précise, les coupables ont reconnu leur faute, ce qui n’a pas compliqué la décision du tribunal chinois, la question risque de se poser fréquemment à l’avenir.
La Chine veut valoriser commercialement l’IA
La question des droits d’auteur se pose également concernant les images générées légitimement par IA : ainsi que le partage le Bulletin documentaire de la propriété intellectuelle (revue PIBD) de l’INPI, « un tribunal de Pékin estime qu’une image générée par l’intelligence artificielle est protégeable par le droit d’auteur ». Pour l’analyste Julie Hervé, la question est plus large :
« [certains] observateurs soulignent quant à eux l’alignement de cette décision avec les objectifs de la Chine de devenir un leader mondial sur l’IA. En effet, la protection par le droit d’auteur d’œuvres générées par l’IA est non seulement une incitation à recourir à de tels outils, mais accroît également la valeur commerciale des produits et services générés par l’IA. »
Risques d’escroquerie via l’IA
Toujours en Chine, l’IA est critiquée de la même manière face à un autre problème : celui du trafic de visages volés, comme le partage le Courrier international reprenant un article du Xinjing Bao : « Les données relatives aux visages ou à la voix des individus se monnaient à vil prix sur Internet », ce qui « fait passer l’escroquerie en ligne à un niveau inédit ».
De manière plus large, alors que les innovations liées à l’IA – accessibles au grand public depuis plusieurs années – révolutionnent la génération de contenus, les grands noms du secteur comme OpenAI ou Meta et les institutions légales se retrouvent au cœur de débats éthiques et de procédures judiciaires. C’est aussi le cas de Google qui, hors de ses projets d’intelligence artificielle, est attaqué par le département de la Justice américain.
Les vidéos aussi sont produites par l’IA.
Concernant l’IA à proprement parler, on remarque en premier lieu qu’OpenAI, précurseur de l’IA grand public avec son programme phare ChatGPT, se trouve dans la tourmente à la suite du lancement d’un nouveau projet intitulé Sora. En ce début du mois d’octobre 2025, OpenAI lançait donc Sora, sa nouvelle application générant des vidéos par IA. Mais très vite, certaines polémiques sont apparues : la société est accusée d’avoir négligé le respect des droits d’auteur. « Des vidéos mettant en scène des personnages protégés par le droit d’auteur ont envahi la Toile depuis le lancement », révèle Le Monde. « Pikachu, Ronald McDonald, Eric Cartman… » : tous les personnages se retrouvent mis en scène, dans une situation où OpenAI a fait le choix d’opter pour un « système d’opt-out », signifiant ainsi que, par défaut, Sora permettrait de mettre en scène n’importe quelle propriété intellectuelle. » Le Figaro nuance en indiquant qu’OpenAI prévoit désormais d’« intensifier la vérification » des droits pour éviter de nouveaux contentieux, en réaction à une publication sur X du patron de la société, Sam Altman.
Les relations commençaient de fait à se tendre avec certains producteurs : « Que l’IA générative soit impliquée ou non, nous continuerons à prendre les mesures nécessaires contre la violation de nos droits de propriété intellectuelle », avait déclaré Nintendo dans un communiqué relayé sur X. Côté cinéma, « la Motion Pictures Association, en charge de défendre les intérêts des plus grands studios hollywoodiens, a contacté la société OpenAI, lundi 6 octobre, pour exiger qu’une “action immédiate” soit prise concernant la violation des droits d’auteur de son logiciel vidéo Sora 2. » d’après les informations de CNews.
Encore pire pour la musique
Au sein de l’industrie musicale, le constat pourrait se révéler encore pire : une étude menée par l’ICMP, la Confédération internationale des éditeurs de musique et partagée par BFMTV a révélé que « les entreprises technologiques aspirent “la totalité de la musique mondiale” pour alimenter leurs IA. Le tout, sans respecter le droit d’auteur. »
Alors que Meta est également poursuivi en France depuis mars 2025 par des auteurs et des éditeurs pour violation de droits d’auteur à travers son outil Llama, les représentants des éditeurs ont « recueilli des preuves [d’]utilisations frauduleuses dans les corpus de données utilisées par Meta », d’après Le Monde.
Le Sénat veut protéger les droits des auteurs
« Aucune estimation du préjudice n’a été divulguée à ce stade », estime un autre article du Monde. Toutefois, en France, le Sénat s’est déjà emparé de la vaste question de la propriété intellectuelle et veut « faire plier la tech sur les droits d’auteur » pour « mieux protéger les créateurs », selon Les Échos. L’idée des sénateurs est de renverser le système de preuve actuel à travers une « présomption d’utilisation des données ». Pour Les Échos, « l’objectif serait d’inverser la charge de la preuve. Dès lors qu’il y aurait un faisceau d’indices pour présumer que des productions ont été reprises, ce serait aux acteurs de l’IA de démontrer que non. »
À l’échelle française comme à l’échelle chinoise, étatsunienne et mondiale, le débat reste ouvert, sous l’influence de puissants rapports de force.
Julien Crespel
À voir aussi
- Audition de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport sur le thème « IA et droits d’auteur sont-ils compatibles ? », senat.fr, 7 mai 2027
- Artistes face à l’IA : que reste-t-il du droit d’auteur ? Podcast Le Meilleur des mondes, France Culture, 6 octobre 2023


















