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Quand Arrêt sur images censure un enregistrement du député LFI Louis Boyard

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30 novembre 2022

Temps de lecture : 7 minutes
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Quand Arrêt sur images censure un enregistrement du député LFI Louis Boyard

Temps de lecture : 7 minutes

Ah pt’it Louis ! Le Louis Boyard, devenu député LFI grâce à sa douteuse célébrité comme chroniqueur de la non moins douteuse émission TPMP alias Touche Pas à Mon Poste de Cyril Hanouna. P’tit Louis qui accède à son quart d’heure warholien en attaquant son ancien employeur sur la même TPMP. Pt’it Louis et son passé de fumeur de moquette, un petit peu trafico certes mais pas trop. On se refait une virginité et on est rattrapé par la patrouille.

Voir aus­si : Der­rière la polémique Boyard/Hanouna, l’offensive de LFI con­tre Bolloré

Arrêt sur images de Daniel Schnei­der­mann se livre depuis 1995 à l’analyse de l’étrange lucarne et de son envi­ron­nement. Sou­vent avec tal­ent et même par­fois avec courage. Sauf quand Daniel Schnei­der­mann décide de couper une séquence lors d’un enreg­istrement du 18 novem­bre 2022 où Louis Boyard avait la langue un peu trop bien pen­due sur son passé de deal­er de drogue (l’effet de la moquette ? On ne sait) et demandait à être réen­reg­istré, ce qui fût fait illi­co presto.

Nous repro­duisons tel quel le texte du médi­a­teur d’Arrêt sur images. Ren­dons hom­mage au médi­a­teur d’Arrêt sur images (ASI) pour ce texte et à Daniel Schnei­der­mann pour sa publication.

Billet du médiateur : quand ASI doit ré-enregistrer une séquence

Une pre­mière dans l’his­toire de l’émission

« Invité sur notre plateau, le député Louis Boyard, inter­rogé sur son passé de deal­er, a très mal vécu la séquence. Après avoir quit­té notre stu­dio, il est revenu et a demandé à notre présen­ta­teur du jour Daniel Schnei­der­mann, de couper la séquence. Daniel lui a pro­posé de la tourn­er de nou­veau et d’en­lever la séquence ini­tiale. Une déci­sion prise sans deman­der l’assen­ti­ment de la rédac­tion ni de la rédac­tion en chef et qui appelle donc ce bil­let du médiateur.

Daniel le con­cède : c’est une pre­mière depuis la créa­tion d’Ar­rêt sur images en 1995 qu’une séquence de l’émis­sion est sup­primée au mon­tage. Dans notre numéro de ce 18 novem­bre, Daniel Schnei­der­mann rece­vait le député LFI Louis Boyard pour par­ler de son pas­sage rocam­bo­lesque de la semaine dernière sur C8 dans Touche pas à mon poste. Sauf que la fin de l’émis­sion, intro­duite par l’ex­trait d’un numéro de TPMP de 2021 dans lequel Boyard avoue à l’an­tenne avoir été deal­er, a été tournée a pos­te­ri­ori, puis rajoutée à l’émis­sion d’o­rig­ine, en lieu et place de la séquence qui clô­tu­rait ini­tiale­ment l’émis­sion. La déci­sion de Daniel de couper l’émis­sion orig­i­nale pour ré-enreg­istr­er la séquence de fin a logique­ment abouti sur la rédac­tion de ce médiateur.

CE QUE CONTIENT LA SÉQUENCE NON DIFFUSÉE

Le tour­nage de l’émis­sion avait pour­tant bien com­mencé, et se déroulait nor­male­ment. Mais en fin d’émis­sion, Daniel évoque les adver­saires du député LFI, qui tapent sur lui en par­lant de “Boyard le deal­er”. Dans un numéro de TPMP de 2021, du temps où Boyard était chroniqueur chez Hanouna, l’é­tu­di­ant d’alors avait évo­qué son passé de deal­er afin de pou­voir gag­n­er de l’ar­gent. Daniel souhaite avoir la réac­tion de Boyard sur le sujet.

L’in­téressé esquive dans un pre­mier temps, dit qu’il ne faut pas tout per­son­nalis­er et que sur le sujet de la drogue, il ne veut “pas s’é­taler”. Boyard enchaine sur la ques­tion de la drogue en général avant de se faire rat­trap­er par Daniel qui lui demande “s’il regrette aujour­d’hui.” Boyard le coupe, répète qu’il ne veut pas “s’é­taler sur ça” et qu’il n’est pas là pour “par­ler de sa vie” mais de “poli­tique”. Daniel le relance sur sa façon de présen­ter ce choix à l’époque, lui qui avait insisté sur la “mis­ère” qu’il subis­sait en tant qu’é­tu­di­ant pré­caire. Boyard : “On est dans des sit­u­a­tions que, tant qu’on ne les a pas vécues, on ne peut pas imag­in­er”. Daniel souligne que sur ce sujet, la démarche du député Boyard rompt avec celle du Boyard chroniqueur de TPMP. Boyard répond qu’il était à cette époque autant chroniqueur que militant.

S’en suit un dia­logue lunaire, ici résumé :

- Boyard : “Bah racon­tez, vous, pour les gens qui sont sur (sic) la caméra que vous avez dealé.”
- Daniel : “Moi ? j’ai jamais dealé.”
- Boyard : “Bah me deman­dez pas de faire des choses que vous con­nais­sez pas. […] Respectez la parole des gens.”

Après encore un court échange où Daniel lui demande : “Vous ne croyez pas à la force du témoignage par rap­port à la parole poli­tique ?” Boyard répond qu’il faut “écouter les témoignages de tous les gens qui ont envie de témoigner.” 

Juste après que Daniel a pris con­gé des abon­nés, l’an­tenne est ren­due, et Boyard quitte le plateau et nos locaux, vis­i­ble­ment agacé. Quelques min­utes plus tard, Boyard et son attaché de presse revi­en­nent dans la rédac­tion, et, accueil­lis par Daniel, entrent dans son bureau. Selon Daniel, Louis Boyard lui aurait alors présen­té ses excus­es pour son énerve­ment, et expliqué que la ques­tion de son passé de deal­er était très douloureuse pour lui pour des raisons per­son­nelles. Le député pro­pose alors de couper la séquence, mais de revenir à un autre moment chez ASI pour en par­ler. Daniel refuse : on ne coupe pas nos émis­sions. Après un quart d’heure d’échanges, Daniel et Boyard passent un marché : la séquence sera coupée, mais une nou­velle ver­sion doit être tournée sur-le-champ, avec l’ex­trait de TPMP de 2021 où le député LFI évo­quait son passé de deal­er. C’est cette fin d’émis­sion que nos abon­nés peu­vent vision­ner aujourd’hui.

JE NE SUIS PAS PERSUADÉ D’AVOIR PRIS LA BONNE DÉCISION”

Ce marché con­clu par Daniel pose de nom­breuses ques­tions, pour ne pas dire de nom­breux prob­lèmes à la rédac­tion d’ASI, et récla­mait des expli­ca­tions et des clarifications.

Daniel a accep­té la demande de Boyard, car la pre­mière ver­sion de la séquence mon­tre un Boyard com­plète­ment désta­bil­isé, inca­pable de raison­ner :“Je cherche sou­vent à pouss­er mes invités dans leurs retranche­ments, pas à créer des malais­es”. Même si, recon­naît Daniel, il y a “des malais­es sig­ni­fi­cat­ifs”. Mais pas dans le cas de Boyard selon lui : “Je n’aime pas piéger mes invités. Je préfère quand ils sont dans des bonnes con­di­tions pour pro­duire une réflex­ion”. Et d’in­sis­ter : “La deux­ième ver­sion est incon­testable­ment plus intéres­sante que la pre­mière. Je trou­vais que cette pre­mière fin était nulle.” Pré­ci­sion : Boyard n’é­tait pas au courant que ce sujet allait être abor­dé dans l’émis­sion, Daniel ne don­nant de pré­ci­sions à l’in­vité sur le déroulé de l’émis­sion que si celui-ci les demande.

Tou­jours est-il que c’est un Daniel vis­i­ble­ment très per­tur­bé qui con­cède au médi­a­teur : “Je ne suis pas per­suadé d’avoir pris la bonne déci­sion.” Cette déci­sion pour­rait-elle créer un précé­dent que l’on pour­rait nous oppos­er à l’avenir ? Daniel le craint. Mais affirme : “Je ne suis pas lié à cette déci­sion. Si quelqu’un me demande de couper un pas­sage d’une émis­sion future, que je refuse, et qu’il m’évoque Boyard, je saurai répon­dre pourquoi je l’ai fait dans ce cas-ci, et que je ne le referai pas dans un autre.” D’ailleurs Daniel l’au­rait-il fait dans un autre cas que celui de Boyard ? Par exem­ple avec un jeune député RN de 22 ans ? “Je ne peux pas dire”, répond Daniel. Il est clair que le jeune âge du député a joué sur les affects de notre présen­ta­teur du jour : “Il n’est pas exclu que j’aie eu un accès de sen­ti­ment paternel.”

Autre prob­lème : Daniel a pris cette déci­sion de grande impor­tance sans con­cer­ta­tion ni avec l’assem­blée générale des salariés, ni avec la direc­tion en chef. Il se trou­ve que Loris Gué­mart, rédac­teur en chef, n’é­tait pas présent à ce moment-là, par­ti en inter­view en dehors de nos bureaux. “Si Loris avait été là, j’au­rais pu lui en par­ler, le faire venir dans le bureau. — Tu aurais pu sim­ple­ment l’ap­pel­er par télé­phone, lui répond-on. — C’est vrai.” Daniel nous fait remar­quer d’ailleurs que cette déci­sion d’or­dre édi­to­r­i­al ne revient pas à l’AG, mais recon­nait que si l’ensem­ble de l’équipe avait refusé de faire ce mon­tage, cela aurait été plus “con­fort­able” pour lui de revenir sur sa déci­sion, alors qu’il avait don­né sa parole à Boyard.

Daniel sait que cette déci­sion va faire réa­gir. Et cer­taine­ment pas en bien. Mais il réaf­firme son cré­do : “Je pense qu’on peut faire beau­coup de choses du moment qu’on est trans­par­ent.” Comme ici, mod­i­fi­er la fin d’une émis­sion nor­male­ment tournée dans les con­di­tions du direct. En espérant que ça ne se repro­duise plus ».

Un doute qui vaut réponse

Sim­ple remar­que : la séquence interrogation/hésitation « le présen­ta­teur l’au­rait-il fait dans un autre cas que celui de Boyard ? Par exem­ple avec un jeune député RN de 22 ans ? Je ne peux pas dire » est par­ti­c­ulière­ment savoureuse…