En juillet 2025, Thomas Legrand et Patrick Cohen, journalistes à France Inter, prenaient un café avec Pierre Jouvet et Luc Broussy, dirigeants du Parti socialiste. Un chanceux indiscret se trouvait à proximité et avait filmé la scène. À la faveur de la rentrée, L’Incorrect a diffusé une partie de l’enregistrement. L’opinion publique s’enflamme, et les médias défendent leurs confrères.
Pas touche à la vie privée
Les médias sont assez coutumiers d’enquêtes sur les personnalités de droite, que ce soit en exhumant leurs réseaux sociaux, leurs relations intimes peu orthodoxes ou leurs proches potentiellement gênants. En revanche, quand L’Incorrect publie une discussion ayant eu lieu dans un espace public, le crime semble proche du harcèlement. En effet, l’un des axes de défense de Patrick Cohen est que la vidéo constitue un « vol de conservation privée ». La Tribune Dimanche et BFMTV relaient ainsi son projet de porter plainte, à la fois contre L’Incorrect, et potentiellement contre tous ceux qui ont partagé la vidéo sur les réseaux sociaux. Médiapart évoque une « vidéo pirate », ce qui ne manque pas de sel pour un journal supposé d’investigation.
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« Circulez, c’est l’extrême droite »
L’une des défenses les plus simples est naturellement de préciser que L’Incorrect est un « média d’extrême droite » (BFMTV), de façon à l’ostraciser. Médiapart détaille longuement l’affaire, affirmant que « les effets de cette bombe médiatico-politique sont savamment amplifiés par les journalistes du groupe Bolloré ».
Après avoir accusé plusieurs fois l’extrême droite de se saisir de l’affaire, le journal précise qu’il « n’y a pas que l’extrême droite ». Et de citer Jérémie Patrier-Leitus, député Horizons, et Jean-Luc Mélenchon. La tactique est simple. Montrer que la vidéo a été diffusée par l’extrême droite et qu’elle intéresse l’extrême droite, et qu’à ce titre, elle n’est digne que de tomber dans l’oubli. Les médias sont passés maîtres dans cet art d’évoquer l’extrême droite pour éviter de débattre du fond d’un contenu ou d’un argument.
Rachida Dati contre le service public, Goliath contre David
Le point le plus repris de la conversation est l’évocation de Rachida Dati. La ministre de la Culture – démissionnaire depuis la démission de François Bayrou – brigue la mairie de Paris. Or, Thomas Legrand affirme dans la vidéo : « Nous, on fait ce qu’il faut pour Dati, Patrick [Cohen] et moi. » De quoi faire craindre des émissions de propagande tournées dans le but d’influencer les élections. Rachida Dati a donc demandé à France Inter de réagir, ce qui, pour Médiapart, relève de l’« interventionnisme sur le service public » de la part d’une ministre « qui s’est fait une spécialité de menacer les journalistes du service public ».
Des relations entre journalistes et politiques
Il est évident que les journalistes ne sont pas neutres. Ils ne le sont ni quand ils choisissent leur sujet, ni quand ils choisissent leurs sources, ni quand ils choisissent leur angle, ni quand ils choisissent leurs mots, ni même quand ils choisissent leur image d’illustration. Il est évident aussi que, pour faire leur travail, ils ont besoin des numéros de téléphone de nombreuses personnalités politiques, de les appeler, voire d’échanger avec elles plus longuement, autour d’un verre par exemple.
Il ne s’agit pas de reprocher à Thomas Legrand et Patrick Cohen d’avoir des sympathies pour les idées de gauche, de connaître Pierre Jouvet et Luc Broussy ou de prendre un café avec eux. Ce qui leur est reproché, c’est bien d’évoquer ce qu’ils font pour influencer la campagne municipale parisienne et au-delà de préparer la candidature de Raphaël Glucksmann.
De plus, l’affaire est une nouvelle preuve de la partialité du service public. Or, comme son nom l’indique, le service public est payé par nos impôts, ce qui veut dire que les électeurs de Rachida Dati paient des journalistes qui veillent à saborder sa campagne et à favoriser la campagne du compagnon de Léa Salamé. Cela fait peut-être rire lesdits journalistes, pas forcément les électeurs. Sans oublier qu’un tel sabordement est illégal, puisque l’audiovisuel public doit assurer l’égalité de traitement des partis politiques et des courants de pensée.
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Dur de défendre l’indéfendable
La vidéo existe, elle choque, l’attaquer n’est pas si simple, et toutes les armes des médias sont bien impuissantes. Thomas Legrand lui-même s’emploie à sa propre défense dans un article diffusé chez Libération, où il écrit ceci. « Quand on est journaliste politique, toutes les situations, de proximité et de distance, tant qu’elles sont honnêtement négociées, sont envisageables. Sauf, bien sûr, des relations trop personnelles. » On suppose dès lors que Thomas Legrand désapprouve les relations plus que personnelles entre Léa Salamé, sa consœur présentatrice du 20h de France 2, et Raphaël Glucksmann, eurodéputé socialiste et accessoirement favori politique de Thomas Legrand. Il dénonce également la méthode « trumpienne » de Rachida Dati qui consiste à « menacer, mentir, semer la confusion, pour décrédibiliser tous les contre-pouvoirs, institutionnels ou non institutionnels ». Soit peu ou prou ce que font les médias qui menacent de porter plainte quand on diffuse ce qui ne leur plaît pas, affirment qu’une victime de francocide était raciste, mélangent les prénoms, les âges et les nationalités.
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Adélaïde Motte


















