À la suite de la diffusion d’un « Complément d’enquête » à son sujet le jeudi 5 juin, la ministre de la Culture Rachida Dati serait entrée dans une colère noire contre la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, allant jusqu’à demander « son scalp », selon Le Canard Enchainé. La tension est palpable, dans un contexte de réforme de l’audiovisuel attisant les convoitises.
La rancune est tenace rue de Valois. Après la diffusion d’un Complément d’enquête lui étant consacré ce jeudi 5 juin, la ministre de la Culture Rachida Dati n’a pas caché son profond agacement à l’encontre du service public et de sa présidente Delphine Ernotte. « J’aurais le scalp d’Ernotte avant de quitter le ministère de la Culture ! », aurait-elle lâché auprès de son entourage, selon les révélations de nos confrères du Canard Enchainé. Sur France 2, l’émission accuse l’ancienne Garde des sceaux d’avoir touché 299 000 €, entre 2010 et 2011, de GDF Suez par le biais de STC Partners.
Un cabinet d’avocats qui l’aurait sollicitée pour intervenir au Parlement Européen pour le compte du géant français de l’énergie. De quoi énerver la proche de Nicolas Sarkozy, déjà mise en examen depuis 2021 pour « trafic d’influence » et « corruption ». Pour cause, Rachida Dati aurait touché près de 900 000 € d’honoraires d’avocat dans l’affaire de l’ex-PDG de Renault-Nissan Carlos Ghosn, camouflant ainsi des activités de lobbying de la part du constructeur automobile.
L’indépendance des rédactions publiques en question
« On veut toujours attaquer ma probité, mon honnêteté. Tout ce que j’ai, je l’ai gagné », se défend la ministre Les Républicains sur la matinale de Sonia Mabrouk sur CNews et Europe 1 ce mardi 17 juin. Rachida Dati nie toute rémunération illégale par GDF Suez : « Tout ça est déclaré, est très au clair ». Une semaine après la diffusion du « Complément d’enquête », qui a battu des records d’audience (1,2 millions après replay), la ministre met en cause les méthodes utilisées par les journalistes. « C’est totalement diffamatoire », explique-t-elle, accusant France Télévisions d’avoir tenté de faire pression sur certains de ses proches pour obtenir des témoignages à charge.
Pressions sur le service public ?
La défense de la ministre interroge, quand on sait que l’une de ses plus proches conseillères, Emmanuelle Dauvergnes, aurait contacté à plusieurs reprises Christophe Tardieu, secrétaire général de France Télévisions. « J’ai cru comprendre, via son cabinet, que la ministre n’était pas forcément très heureuse à l’idée de voir un Complément d’Enquête qui lui était consacré », ironise le collègue de Delphine Ernotte. Des tentatives de pression du ministère sur le service public ? Le cabinet nie toute implication de ce genre.
Mais la menace proférée par Rachida Dati à l’encontre de la Présidente des chaînes nationales pose question : jusqu’à quel point l’indépendance des rédactions publiques peut-elle être garantie ? Et de façon plus large, le paysage audiovisuel public peut-il réellement s’affranchir des contraintes gouvernementales s’il est financé par l’État lui-même ? C’est en tout cas ce qu’a manifesté France Télévisions en diffusant ce « Complément d’Enquête », réveillant ainsi l’animosité de la ministre.
Une guerre de « scalp »
Pourtant, c’était envers une autre responsable de média public que cette dernière avait montré une hostilité remarquée : Sibyle Veil, présidente de Radio France, avait essuyé quelques attaques de Rachida Dati le 7 mai dernier, sur la matinale de France Inter. Elle change désormais de cible, visant celle qui a été maintenue à la tête de France Télévisions pour un troisième mandat consécutif.
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Cette polémique intervient dans un contexte tendu entre le gouvernement et les parlementaires, concernant la réforme proposée par la ministre de la Culture pour le secteur de l’audiovisuel français public.
Le texte, adopté en première lecture au Sénat, propose de créer une « holding » qui engloberait France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA sous une même direction. Depuis mardi 17 juin, la commission des affaires culturelles travaille sur une version qui mettrait enfin d’accord les députés, pour un examen en séance public le 30 juin prochain.
Et Rachida Dati briguerait logiquement la tête du groupe après son mandat ministériel, face à une Delphine Ernotte déjà implantée dans la structure, chez France Télévisions depuis de longues années. Une guerre de « scalp » qui ne ferait donc que commencer.
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Gersende Barrera