Le 14 mai 2025, l’ARCOM a reconduit Delphine Ernotte pour un troisième mandat à la tête de France Télévisions, une décision inédite dans l’histoire de l’audiovisuel public français.
Cette reconduction, saluée par certains pour sa continuité stratégique, suscite néanmoins des inquiétudes, notamment de la part des syndicats. Dans un contexte marqué par des restrictions budgétaires et une nécessaire adaptation au numérique, Delphine Ernotte a dévoilé un plan, centré sur la plateforme France.tv et l’intégration de l’intelligence artificielle, tout en affrontant des critiques sur sa gestion sociale.
Une priorité stratégique : la transformation numérique
Depuis son arrivée en 2015, Delphine Ernotte a fait de la transformation numérique une priorité pour France Télévisions. Lors de son audition devant l’ARCOM, elle a réaffirmé que la plateforme France.tv doit devenir la « première chaîne » du groupe, tous écrans confondus. Ce projet s’inscrit dans une volonté de capter les jeunes audiences, de plus en plus présentes sur les réseaux sociaux. Ainsi, des formats natifs pour YouTube, TikTok et Instagram sont en cours d’expérimentation, notamment avec des figures comme Élise Lucet. Par ailleurs, France.tv accueillera bientôt de nouveaux partenaires tels que Public Sénat, LCP, TV5 Monde et France 24, et pourrait intégrer des contenus audio de Radio France, renforçant ainsi son rôle de « hub central » de l’audiovisuel public.
L’intelligence artificielle (IA) est un autre levier majeur de son plan. Face à un déficit prévu de 70 millions d’euros en 2025, Delphine Ernotte mise sur l’IA pour accroître la productivité, notamment dans la production et la diffusion de contenus numériques. Cette approche vise à préserver les budgets alloués aux programmes, malgré les contraintes financières imposées par l’État. Elle soutient également le projet gouvernemental de création d’une holding commune pour l’audiovisuel public, qu’elle considère comme une « arme de dissuasion contre la privatisation ».
Cependant, ces ambitions se heurtent à une forte opposition syndicale, en particulier de la part de la CGT. Dans un communiqué publié le 15 mai 2025, le syndicat dénonce un projet « violent et hostile aux salariés », critiquant une gestion marquée par une « absence totale d’empathie » et une volonté de réduire les effectifs. La CGT dénonce la proposition de Delphine Ernotte de renégocier l’accord collectif de 2013, jugé trop rigide, pour favoriser la « polycompétence » et réduire les coûts. Selon le syndicat, cette démarche risque de dégrader le modèle social de l’entreprise, en imposant des suppressions de congés, une remise en cause des automatismes salariaux et une automatisation accrue via l’IA, perçue comme une menace pour les rapports humains au sein de l’entreprise.
La CGT reproche également à Delphine Ernotte un manque de transparence, notamment sur le projet de holding, et un durcissement du management au fil de ses mandats. Si le premier mandat (2015–2020) a permis de poser les bases d’un dialogue social, le second a été marqué par une « rigidité » et une « verticalité » croissantes, selon le syndicat. Ce dernier craint que le troisième mandat ne soit celui d’une « grande confrontation », avec des suppressions d’emplois et une déshumanisation des conditions de travail.
Un mandat à haut risque
Delphine Ernotte, forte de son expérience chez Orange et de son bilan à France Télévisions, se présente comme une dirigeante pragmatique, déterminée à adapter le groupe aux nouveaux usages. Elle insiste sur l’importance de former les salariés et de moderniser les métiers pour éviter des suppressions de postes à long terme. Cependant, sa vision, axée sur l’efficacité économique et l’innovation technologique, semble difficilement conciliable avec les attentes des syndicats.
Ce troisième mandat pourrait donc être socialement explosif entre la nécessité d’accélérer la transformation numérique, de gérer un déficit budgétaire et de répondre aux critiques sur son management. Il lui restera du temps, soyons-en certains, pour éliminer les « mâles blancs de plus de 50 ans » de l’antenne pour un remplacement qu’elle appelle de ses vœux.
Rodolphe Chalamel
Voir aussi : Delphine Ernotte, portrait