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Covington : mensonges et manipulations

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4 février 2019

Temps de lecture : 5 minutes
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Covington : mensonges et manipulations

Temps de lecture : 5 minutes

Le 20 janvier 2019, Le Figaro relaie, sans en changer une ligne, une dépêche Reuters datée de la veille, relatant un incident révoltant qui s’est déroulé le 18 après-midi à Washington. Un vidéo, qui prendra vite un tour viral, montre des lycéens blancs, élèves du collège catholique de Covington dans le Kentucky et venus dans la capitale pour participer à la Marche pour la Vie, revêtus qui plus est de casquettes où figure l’acronyme pro Trump MAGA (Make America Great Again), rassemblés pour conspuer un Amérindien qui frappe pacifiquement un tambour traditionnel.

Dans une vidéo mise en ligne quelques heures après, la vic­time, Nathan Philips, ancien des Marines, vétéran du Viet­nam, affirme que les jeunes supré­ma­tistes blancs trump­istes ont accom­pa­g­né leur atti­tude méprisante de slo­gans hos­tiles, cri­ant notam­ment « Build that Wall » (con­stru­isez le mur, sous enten­du le mur pro­jeté par Trump à la fron­tière avec le Mex­ique) pour cou­vrir le son du tam­bour. « Je leur ai dit, ici, on ne con­stru­it pas de mur, c’est une terre indi­enne » ter­mine-t-il, des san­glots dans la voix.

Machine à s’indigner

Le crime est signé et la machine à s’indigner va pou­voir se met­tre en route :

  • une représen­tante démoc­rate du Nou­veau Mex­ique au con­grès, Deb­o­rah Habland, lance un tweet indigné « Ce Vétéran a mis sa vie en jeu pour notre pays. La man­i­fes­ta­tion de haine de ces soi-dis­ant élèves mon­tre bien à quel point toute décence a dis­paru sous l’administration Trump ».
  • l’ac­trice Alyssa Milano, fig­ure de proue du mou­ve­ment MeToo, com­pare la cas­quette des lycéens à la cagoule du Ku Klux Lan.
  • l’« humoriste » Cathy Grif­fin, qui s’était déjà fait remar­quer dans le passé pour un pho­tomon­tage où elle tenait la tête d’un Don­ald Trump décapité, pub­lie une pho­to de l’équipe de bas­ket de l’école où des lycéens ten­dent la main pour attrap­er le bal­lon : « ils font le salut nazi » (“Cov­ing­ton’s finest throw­ing up the new nazi sign”), affirme-t-telle sans vergogne.
  • Jack Moris­sey, pro­duc­teur du film Beau­ty and the Beast, qui n’y va pas par qua­tre chemins, déclare dans un tweet accom­pa­g­né d’une image faisant référence à la scène culte du film Far­go, que les coupables méri­tent d’être envoyés à la déchi­que­teuse à bois (wood­chip­per).

Les médias ne sont pas en reste, à com­mencer par le Wash­ing­ton Post et le Huff­post (« Native Amer­i­can Vet­er­an Speaks Out After MAGA Hat-Wear­ing Teens Harass Him »), qui mènent la charge.

Le lun­di et le mar­di qui suiv­ent, l’école doit fer­mer en rai­son des men­aces et ne rou­vri­ra que le mer­cre­di 23. Un ancien élève lance une péti­tion pour deman­der la démis­sion du pro­viseur, coupable d’avoir cou­vé de tels mon­stres. Très gêné, le diocèse de Cov­ing­ton con­damne les lycéens racistes et annonce envis­ager des mesures d’exclusion.

Le problème, c’est que tout cela est faux

Le lun­di, le Départe­ment de la Défense annonce que Nathan Philips a bien été mobil­isé en 1972 (la con­scrip­tion ayant été abolie en 1973) et démo­bil­isé début 1976. Sa péri­ode de ser­vice act­if est bien con­tem­po­raine de la guerre du Viet­nam. Sauf qu’il n’y a jamais mis les pieds…

Philips a pen­dant tout ce temps servi comme mécani­cien chauffag­iste sur une base des Marines au Kansas. Il a d’ailleurs été démo­bil­isé comme sim­ple sol­dat, non sans avoir été rép­ri­mandé à trois repris­es pour absences sans per­mis­sion. Des états de ser­vices qui ne font pas vrai­ment penser au héros joué par Robert de Niro dans Voy­age au bout de l’enfer

Mais surtout, la vidéo inté­grale de l’incident, longue de deux heures, va met­tre en lumière la réal­ité de l’affaire : le groupe de lycéens, qui vient de par­ticiper à la Marche pour la Vie, arrive vers 16h30 pour atten­dre à prox­im­ité du Lin­coln Memo­r­i­al le bus qui doit les ramen­er dans le Ken­tucky et qui arrivera vers 17h30.

Peu de temps après leur arrivée, se dirige vers eux un groupe de 4 per­son­nes appar­tenant à une organ­i­sa­tion de supré­ma­tistes noirs, The Black Hebrew Israelites, qui se met à les insul­ter, en leur reprochant de don­ner des droits aux homo­sex­uels, les trai­tant de pédérastes (« fag­gots »), de sales petits blancs (« white crack­ers »), fruits de l’inceste (« incest kids ») et de pédophiles. S’en prenant à l’un des élèves noirs de Cov­ing­ton (ils n’étaient donc pas tous blancs), ils le trait­ent de « sale nègre ».

Les élèves, impres­sion­nés, ne résis­tent pas et se con­tentent d’entamer un des chants de leur école pour cou­vrir le bruit et se don­ner du courage. Inter­vient alors Nathan Philips, qui se dirige vers les élèves et se place nez à nez avec l’un d’entre eux, Nick Sandmann.

Ne sachant à quoi s’en tenir, et espérant que le nou­v­el arrivant fera écran entre eux et leurs agresseurs, le jeune homme sourit un peu niaise­ment et les autres lycéens repren­nent timide­ment les chants enton­nés par le vieil homme, jusqu’à ce que l’arrivée du bus mette fin à leur épreuve.

Rétropédalage (tout relatif)

La dif­fu­sion de la vidéo inté­grale des évène­ments va con­duire les médias à un rétropé­dalage embar­rassé. Le Wash­ing­ton Post, sans s’excuser, explique alors que c’est « l’internet de Trump » qui est respon­s­able. Le New York Times con­clut quant à lui à « une con­ver­gence explo­sive de race, de reli­gion et d’idéologie, dans un con­texte poli­tique nation­al ten­du.» Seul par­mi les médias proches des Démoc­rates, le mag­a­zine Atlantic Month­ly (récem­ment racheté par la veuve de Steve Jobs) aura le courage de recon­naître l’ampleur du désas­tre, iro­nisant au pas­sage sur le fait que la gauche mondaine, volon­tiers anti­mil­i­tariste, avait ver­sé des larmes de croc­o­diles sur un de ces (sup­posés) vétérans du Viet­nam dont elle avait autre­fois dit tant de mal…

PS : Le Figaro n’a pas pub­lié de démen­ti. La vidéo incrim­inée n’est plus disponible sur le site de Reuters. Kathy Grif­fin et Jack Moris­sey ont effacé leurs tweets.