La première chaine d’information arabe n’en finit pas de subir les contrecoups des bouleversements qui secouent la région du Moyen-Orient. Elle tente de s’y adapter.
Dans un communiqué laconique et peu commenté en interne, publié le 1ᵉʳ septembre 2025, la direction d’Al Jazeera Media Network a annoncé la nomination de Cheikh Nasser Ben Faisal Ben Khalifa Al Thani comme directeur général, en remplacement de l’Algérien Mustapha Souag. Comme son nom l’indique, le nouveau patron appartient à la famille princière qui dirige ce pays petit gazier depuis son indépendance en 1971.
Jeu de massacre
Le communiqué d’Al Jazeera ne donne aucune explication à ce changement. Mais il est clair que le choix des décideurs de parachuter un des leurs aux commandes de la chaine dans la conjoncture actuelle trahit une volonté de reprendre en main un levier médiatique qui commence à devenir encombrant.
La décision intervenait après une semaine noire vécue par les journalistes de la chaîne à Gaza où plusieurs reporters avaient été tués sous les bombardements de l’armée israélienne. Souvent, ces journalistes sont accusés par Tel Aviv (et aussi par certains influenceurs occidentaux) de servir de bouclier médiatique au Hamas. Assumant son parti pris en faveur de la résistance palestinienne, Al Jazeera va-t-elle tempérer sa rhétorique pour se soustraire au jeu de massacre qui atteint aujourd’hui le Qatar lui-même – avec les bombardements ayant ciblé les dirigeants du Hamas le 9 septembre à Doha ? Nous le saurons dans un proche avenir.
Voir aussi : Double-jeu : comment Al-Jazeera s’est fait prendre à son propre piège
Fin d’une ère algérienne
Nommé au poste de directeur général (par intérim) en plein « Printemps arabe » en 2011, Mustapha Souag aura réussi à maintenir la chaîne au plus haut niveau de l’audience, face à une puissante concurrence saoudienne (Al-Arabiya, Al-Hadath). Il a néanmoins contribué à radicaliser sa ligne politique, foncièrement pro-Frères musulmans. De nombreux journalistes algériens ont brillé sous son « règne » : les Hafid Derradji et Khadidja Bengana sont devenus des influenceurs reconnus sur la scène arabe. C’est aussi sous sa direction que le gouvernement algérien a autorisé cette chaine, en 2023, à rouvrir son bureau à Alger, alors qu’il était fermé depuis plus de vingt ans.
Mustapha Souag a eu un parcours plus que remarquable : chef de bureau à Londres, directeur d’information, conseiller de Cheikh Hamad bin Thamer Al-Thani (président du conseil d’administration du réseau), directeur du Centre d’études d’Al Jazeera, Après avoir occupé le poste de DG par intérim pendant plus de treize ans, il avait été « officiellement » nommé directeur général en juillet 2025, avant d’être éjecté deux mois plus tard !
Qui est le nouveau DG ?
Selon le communiqué d’Al Jazeera, Cheikh Nasser Ben Faisal Al Thani, diplômé de l’université du Qatar, a exercé chez Barwa Real Estate, puis a rejoint le ministère des Affaires étrangères en 2013, y occupant plusieurs fonctions, dont celle d’ambassadeur. C’est donc un diplomate qui est appelé à diriger un média pris dans l’engrenage d’une guerre sans fin. Un détail qui vient conforter l’hypothèse selon laquelle la chaine qatarie prendra une orientation moins militante ou en tout cas moins marquée idéologiquement.
Un média sous pression
Depuis octobre 2023, près de 200 reporters et collaborateurs, dont plusieurs travaillant pour le compte d’Al Jazeera, ont été tués dans la guerre de Gaza. La mort de cinq journalistes de cette chaine le 10 août dernier a suscité une vague d’indignation, et inspiré des pétitions signées par plus de 140 organes de presse.
Il faut dire que cette chaîne est depuis longtemps dans le viseur du gouvernement israélien qui l’accuse d’être « le porte-voix du Hamas » et de menacer la sécurité du pays. Le harcèlement politico-judiciaire s’est intensifié dès les premiers mois de la guerre. En avril 2024, la Knesset adopte une loi permettant d’interdire temporairement des médias étrangers jugés menaçants. Un mois plus tard, le gouvernement Netanyahu ordonne la fermeture des bureaux d’Al Jazeera en Israël, la saisie d’équipements et le blocage de ses canaux — une mesure renouvelée par périodes de 45 jours.
Les autorités israéliennes ont de même fermé le bureau d’Al Jazeera à Ramallah, capitale de la Cisjordanie, supposée être gouvernée par l’Autorité palestinienne. Le plus cocasse dans l’histoire est que cette même autorité palestinienne a ordonné la fermeture des bureaux de la chaine qatarie dès janvier 2025 en Cisjordanie pour « incitation à la discorde » !
Mussa A.

















