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Double-jeu : comment Al-Jazeera s’est fait prendre à son propre piège

4 juillet 2025

Temps de lecture : 4 minutes
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Double-jeu : comment Al-Jazeera s’est fait prendre à son propre piège

Temps de lecture : 4 minutes

La guerre éclair entre Israël et l’I­ran a mis à nu le jeu trou­ble auquel la plus célèbre chaîne arabe d’in­for­ma­tion en con­tinu s’est tou­jours adon­née : se faire le porte-voix zélée de la résis­tance pales­tini­enne, tout en défen­dant les intérêts vitaux d’un régime – celui de l’émi­rat du Qatar – lié aux grandes puis­sances occi­den­tales, États-Unis en tête.

Ain­si, après avoir affiché un sou­tien qui parais­sait indé­fectible à la république islamique d’I­ran dans cette guerre, au nom du com­bat con­tre « l’a­gresseur israélien », Al-Jazeera s’est retrou­vé, tout d’un coup, face à un dilemme cornélien.

Les limites du double jeu

Devant les frappes inat­ten­dues ayant visé, le 23 juin, la base améri­caine d’Al Udeid, située près de Doha, donc à quelques enca­blures du siège de la chaîne, fal­lait-il con­tin­uer à adopter la même posture ?

Tétanisée par l’annonce du bom­barde­ment, la chaîne prend, sur le coup, le choix de rester dans l’informatif. Pas pour longtemps. Elle rend compte en détail de l’attaque irani­enne, mais ignore superbe­ment la ver­sion qu’en don­naient les Iraniens. S’appuyant exclu­sive­ment sur des sources occi­den­tales (Axios, Reuters…), les jour­nal­istes d’Al-Jazeera (en majorité des étrangers) se retrou­vaient à relay­er les con­clu­sions de l’armée améri­caine (prin­ci­pal sou­tien d’Israël), lesquelles cor­re­spondaient à celles du gou­verne­ment du Qatar. « Les défens­es aéri­ennes qataries ont déjoué l’attaque » ; « Tous les mis­siles ont été inter­cep­tés sauf un qui a atter­ri dans la base sans faire ni blessé ni dégât matériel » ; « Aucun sol­dat améri­cain n’a été touché »… Les téléspec­ta­teurs arabes ne se recon­nais­saient plus dans ce média qui, jusqu’à la veille encore, glo­ri­fi­ait et ampli­fi­ait à souhait les raids iraniens. De l’a­gressé, l’I­ran devient l’agresseur.

Soft power d’un régime suspect

Ce n’est pas la pre­mière fois que le média qatari déroute son pub­lic. Se posant comme le prin­ci­pal levi­er du soft pow­er du petit émi­rat gazier, il ne s’est jamais gêné de soutenir des mou­ve­ments de protes­ta­tion, et même de sub­ver­sion, qui men­a­cent toute la région.

Depuis 2011, date de déclenche­ment des « print­emps arabes », Al-Jazeera a trou­vé son cre­do dans les protes­ta­tions citoyennes, en réper­cu­tant à la minute l’étendue de cette onde de choc qui tra­ver­sait le monde arabe. En prenant bien sûr soin d’é­pargn­er les monar­chies du Golfe, et en occul­tant tout ce qui pou­vait rap­pel­er le rôle, plus que sus­pect, de l’émi­rat du Qatar.

Pour pro­test­er con­tre les « incur­sions » de cette chaîne, de nom­breux gou­verne­ments arabes ont eu à s’en plain­dre offi­cielle­ment auprès de l’émirat, qui en a la respon­s­abil­ité morale. D’autres, comme l’Algérie, s’étaient con­tentés d’ordonner la fer­me­ture de son bureau dans leur cap­i­tale. Encour­agé par la reprise de bonnes rela­tions avec Doha, Alger a autorisé sa réou­ver­ture depuis 2020, mais tout en restreignant sa lib­erté de mouvement.

Porte-voix des mouvements djihadistes

Al-Jazeera ne s’est pas con­tentée d’ac­com­pa­g­n­er les mou­ve­ments soci­aux arabes, mais s’est longtemps fait le relai de la pro­pa­gande dji­hadiste, servie par les groupes armés les plus san­guinaires, tels qu’Al Qaïda.

Les respon­s­ables de la chaine (adoubée par la famille rég­nante au Qatar) ont l’habitude de se drap­er der­rière l’alibi du droit à l’information. Même si à chaque fois, pour se dédouan­er en matière d’éthique, les présen­ta­teurs met­taient en avant la men­tion « sous réserve ». Cela dit, le fait que cette chaîne entre­ti­enne des liens directs avec l’activisme islamiste inter­na­tion­al n’étonne guère en fait ; elle l’a déjà démon­tré par la dif­fu­sion régulière des enreg­istrements sonores des chefs d’Al-Qaïda (Ben Laden, puis Al-Zawahiri…). Mais sa per­fi­die réside dans cette propen­sion à assim­i­l­er l’ac­tion de l’is­lamisme armé, dont elle fait gra­cieuse­ment la pro­mo­tion, à la résis­tance et au com­bat con­tre l’oc­cu­pa­tion étrangère ou con­tre « la tyrannie ».

Voir aus­si : Al Jazeera lance AJ+ en France

Double discours

Sur le con­flit israé­lo-pales­tinien, la chaine qatarie est égale­ment pointée pour ses cou­ver­tures des­tinées à gal­vanis­er les foules, et à aggraver le schisme entre le Hamas et l’Au­torité pales­tini­enne, à l’o­rig­ine de la guerre civile qui mine la pop­u­la­tion locale.

Là encore, Al-Jazeera se dis­tingue par sa duplic­ité : tout en ser­vant un dis­cours anti-israélien rad­i­cal, elle présente comme nor­mal, voire louable, l’ac­tivisme des offi­ciels qataris dans la médi­a­tion entre le gou­verne­ment de l’É­tat hébreu et le mou­ve­ment islamiste du Hamas.

Même dou­ble jeu face aux mou­ve­ments chi­ites de la région : on sou­tient le Hezbol­lah quand il est en guerre con­tre Israël, mais on le descend en flamme lorsqu’il vient au sec­ours de l’an­cien régime syrien, face aux groupes dji­hadistes, financés en par­tie par le régime qatari.

Mus­sa A.

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