La guerre éclair entre Israël et l’Iran a mis à nu le jeu trouble auquel la plus célèbre chaîne arabe d’information en continu s’est toujours adonnée : se faire le porte-voix zélée de la résistance palestinienne, tout en défendant les intérêts vitaux d’un régime – celui de l’émirat du Qatar – lié aux grandes puissances occidentales, États-Unis en tête.
Ainsi, après avoir affiché un soutien qui paraissait indéfectible à la république islamique d’Iran dans cette guerre, au nom du combat contre « l’agresseur israélien », Al-Jazeera s’est retrouvé, tout d’un coup, face à un dilemme cornélien.
Les limites du double jeu
Devant les frappes inattendues ayant visé, le 23 juin, la base américaine d’Al Udeid, située près de Doha, donc à quelques encablures du siège de la chaîne, fallait-il continuer à adopter la même posture ?
Tétanisée par l’annonce du bombardement, la chaîne prend, sur le coup, le choix de rester dans l’informatif. Pas pour longtemps. Elle rend compte en détail de l’attaque iranienne, mais ignore superbement la version qu’en donnaient les Iraniens. S’appuyant exclusivement sur des sources occidentales (Axios, Reuters…), les journalistes d’Al-Jazeera (en majorité des étrangers) se retrouvaient à relayer les conclusions de l’armée américaine (principal soutien d’Israël), lesquelles correspondaient à celles du gouvernement du Qatar. « Les défenses aériennes qataries ont déjoué l’attaque » ; « Tous les missiles ont été interceptés sauf un qui a atterri dans la base sans faire ni blessé ni dégât matériel » ; « Aucun soldat américain n’a été touché »… Les téléspectateurs arabes ne se reconnaissaient plus dans ce média qui, jusqu’à la veille encore, glorifiait et amplifiait à souhait les raids iraniens. De l’agressé, l’Iran devient l’agresseur.
Soft power d’un régime suspect
Ce n’est pas la première fois que le média qatari déroute son public. Se posant comme le principal levier du soft power du petit émirat gazier, il ne s’est jamais gêné de soutenir des mouvements de protestation, et même de subversion, qui menacent toute la région.
Depuis 2011, date de déclenchement des « printemps arabes », Al-Jazeera a trouvé son credo dans les protestations citoyennes, en répercutant à la minute l’étendue de cette onde de choc qui traversait le monde arabe. En prenant bien sûr soin d’épargner les monarchies du Golfe, et en occultant tout ce qui pouvait rappeler le rôle, plus que suspect, de l’émirat du Qatar.
Pour protester contre les « incursions » de cette chaîne, de nombreux gouvernements arabes ont eu à s’en plaindre officiellement auprès de l’émirat, qui en a la responsabilité morale. D’autres, comme l’Algérie, s’étaient contentés d’ordonner la fermeture de son bureau dans leur capitale. Encouragé par la reprise de bonnes relations avec Doha, Alger a autorisé sa réouverture depuis 2020, mais tout en restreignant sa liberté de mouvement.
Porte-voix des mouvements djihadistes
Al-Jazeera ne s’est pas contentée d’accompagner les mouvements sociaux arabes, mais s’est longtemps fait le relai de la propagande djihadiste, servie par les groupes armés les plus sanguinaires, tels qu’Al Qaïda.
Les responsables de la chaine (adoubée par la famille régnante au Qatar) ont l’habitude de se draper derrière l’alibi du droit à l’information. Même si à chaque fois, pour se dédouaner en matière d’éthique, les présentateurs mettaient en avant la mention « sous réserve ». Cela dit, le fait que cette chaîne entretienne des liens directs avec l’activisme islamiste international n’étonne guère en fait ; elle l’a déjà démontré par la diffusion régulière des enregistrements sonores des chefs d’Al-Qaïda (Ben Laden, puis Al-Zawahiri…). Mais sa perfidie réside dans cette propension à assimiler l’action de l’islamisme armé, dont elle fait gracieusement la promotion, à la résistance et au combat contre l’occupation étrangère ou contre « la tyrannie ».
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Double discours
Sur le conflit israélo-palestinien, la chaine qatarie est également pointée pour ses couvertures destinées à galvaniser les foules, et à aggraver le schisme entre le Hamas et l’Autorité palestinienne, à l’origine de la guerre civile qui mine la population locale.
Là encore, Al-Jazeera se distingue par sa duplicité : tout en servant un discours anti-israélien radical, elle présente comme normal, voire louable, l’activisme des officiels qataris dans la médiation entre le gouvernement de l’État hébreu et le mouvement islamiste du Hamas.
Même double jeu face aux mouvements chiites de la région : on soutient le Hezbollah quand il est en guerre contre Israël, mais on le descend en flamme lorsqu’il vient au secours de l’ancien régime syrien, face aux groupes djihadistes, financés en partie par le régime qatari.
Mussa A.