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Olivier Legrain

12 novembre 2024

Temps de lecture : 9 minutes
Accueil | Portraits | Olivier Legrain
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Olivier Legrain

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Du blé de gauche à moudre

Il n’aura suf­fi que d’un papi­er de L’Express, nar­rant par le menu des dîn­ers secrets où Olivi­er Legrain fai­sait se ren­con­tr­er les dif­férents représen­tants des forces de gauche (Clé­men­tine Autain, Fran­cois Ruf­fin et Éric Piolle se sont attablés, entre autres, sous son dis­cret patron­age) pour que les Insoumis, vexés d’apprendre l’existence de cette assem­blée de con­spir­a­teurs, se met­tent à pouss­er des youy­ous de détresse. Mais qui est vrai­ment Olivi­er Legrain, com­mu­niste mul­ti­mil­lion­naire enrichi dans l’industrie, curieux trait d’union entre Edwy Plenel et le cap­i­tal­isme français ?

Dans Le Ban­quier Anar­chiste, l’écrivain por­tu­gais Fer­nan­do Pes­soa fait ain­si s’exprimer un financier, qui estime être resté fidèle aux idéaux généreux de sa jeunesse en inté­grant délibéré­ment le cer­cle des notables :

« Com­ment soumet­tre l’argent ? Il n’y avait qu’une manière : l’acquérir. L’acquérir en quan­tité suff­isante pour cess­er de sen­tir son influ­ence ».

On ne sait guère si Olivi­er Legrain a fait siennes les maximes du Ban­quier anar­chiste, mais son statut de mil­lion­naire com­mu­niste fait de lui une per­son­nal­ité à part, aus­si bien dans le milieu des affaires que dans l’écosystème de la gauche radicale.

Portrait vidéo

Dans le chaudron du communisme

Issu d’une famille de poly­tech­ni­ciens et de nor­maliens, dont cer­tains mem­bres furent déportés durant la guerre, il grandit dans un envi­ron­nement acquis au gaullisme. Mais il cède aux sirènes du com­mu­nisme à ses quinze ans, au moment où des dis­cours révo­lu­tion­naires reten­tis­sent dans la cour du lycée Buf­fon en 1968. L’établissement est alors le cen­tre de grav­ité du gauchisme con­tes­tataire parisien de l’époque. Pour l’anecdote, il y est sco­lar­isé en même temps que Pierre Has­ki, le fon­da­teur de Rue 89 et actuel prési­dent de Reporters sans Fron­tières. Au lycée, il a pour pro­fesseur de philoso­phie l’ancien résis­tant Mau­rice Clav­el, con­nu pour être passé sans tran­si­tion du gaullisme au maoïsme à la faveur de mai 68. Le jeune Legrain con­naî­tra la même tra­jec­toire et adhère l’année suiv­ante au Par­ti Com­mu­niste, où il aura sa carte pen­dant neuf ans, entre 1969 et 1978. Lors d’interventions publiques, il rap­porte avoir cessé tout mil­i­tan­tisme suite à l’éclatement de « l’affaire Sol­jen­it­syne » et la pub­li­ca­tion de L’Archipel du Goulag. Dans la mesure où le livre parut en décem­bre 1973, cette latence de qua­tre années est quelque peu curieuse. Mais cette invraisem­blance ne fait man­i­feste­ment pas tiquer les médias de grand chemin.

Quelques années plus tard, diplômé de l’École des Mines de Nan­cy, il hésite entre deux spé­cial­i­sa­tions : le pét­role ou la sta­tis­tique. Il opte pour la sec­onde (« j’avais con­servé de mon ado­les­cence de con­tes­tataire soix­ante-huitard un fort intérêt pour les ques­tions économiques ») et ral­lie l’ENSAE (École nationale de la sta­tis­tique et de l’ad­min­is­tra­tion économique), alors instal­lée à Saint-Éti­enne. C’est depuis le chef-lieu de la Loire, impor­tant bassin ouvri­er, qu’il assiste au meet­ing de cam­pagne de François Mit­ter­rand en 1974. Il sent pal­piter le peu­ple de gauche et salue avec ent­hou­si­asme l’adoption du pro­gramme com­mun qui fera tri­om­pher la gauche un septen­nat plus tard.

Bon grain et bonnes affaires

Les études achevées, il rejoint le groupe Rhône-Poulenc en tant que cadre à l’issue de ses études en 1978. Devenu numéro 2 du géant de la chimie tri­col­ore, il ral­lie finale­ment le groupe Lafarge six ans plus tard où il est pro­mu à la direc­tion de la stratégie du groupe. À par­tir de 1997, il super­vise la créa­tion d’une branche de matéri­aux de spé­cial­ités qui sera bap­tisée « Materis S.A ».

En 2000, Lafarge décide de ven­dre cette branche et Legrain s’associe avec des salariés du secteur pour le racheter, moyen­nant l’appui de fonds d’investissements (d’abord un con­sor­tium de fonds anglo-sax­ons, puis LBO France et enfin Wen­del). Grâce à trois LBO suc­ces­sifs en six ans, une stratégie d’investissement que ne renierait pas Patrick Drahi, l’entreprise dou­ble son chiffre d’affaires et atteint une val­ori­sa­tion estimée à 2 mil­liards d’euros en 2006. La même année, l’équipe de direc­tion, qui avait par­ticipé à la con­sti­tu­tion du cap­i­tal six ans plus tôt, se partage 300 mil­lions d’euros ; la part du lion revient à Legrain qui a piloté l’opération. Le groupe con­naî­tra des temps plus orageux et devra se ven­dre à d’autres fonds pour sur­mon­ter son endet­te­ment chronique. Mais la for­tune d’Oliver Legrain, elle, est faite.

De plus en plus acculée, la société est restruc­turée et cédée par petits bouts à divers fonds par Wen­del en 2015. Cette ces­sion signe la retraite anticipée pour Legrain. Ce dernier se recon­ver­tit aus­sitôt en tant que psy­chothérapeute pour la médecine du tra­vail et reçoit ses patients à son domi­cile cos­su de Neuil­ly-sur-Seine. Même si le divan est une pas­sion de longue date pour l’ancien patron, elle ne suf­fit pas à combler sa soif d’action con­crète pour un monde plus humain. C’est le début de sa troisième vie, celle d’un argen­tier au ser­vice de l’extrême-gauche poli­tique, médi­a­tique et associative.

Mécène cherche politiciens et clandestins

Désor­mais libre de sa parole et de ses actes, l’industriel retraité n’hésite pas à met­tre la main à la poche pour soutenir des hommes poli­tiques, des asso­ci­a­tions et des médias. L’Express a révélé qu’il avait grat­i­fié François Ruf­fin et Clé­men­tine Autain, deux députés insoumis dis­si­dents, ain­si qu’Eric Piolle, le marie écol­o­giste de Greno­ble, ville où il sou­tient par ailleurs un pro­jet de « mai­son de l’hospitalité » des­tinée aux réfugiés clan­des­tins. L’hebdomadaire pré­cise que le mon­tant des chèques « n’a pas excédé les 7 500 euros, pla­fond fixé par la loi ». Appelant de ses vœux une alter­na­tive crédi­ble à Mélen­chon, il sub­ven­tionne l’organisation de la Pri­maire pop­u­laire de 2022 qui n’aboutit pas à désign­er le sauveur tant espéré de la gauche.

Subventions pour les migrants

Le sou­tien apporté aux asso­ci­a­tions, lui, est, plus mas­sif. En effet, le patron fut con­fron­té pour la pre­mière fois au phénomène des camps de migrants impro­visés lorsqu’un campe­ment s’était for­mé sous ses bureaux de Materis à Issy-les-Moulin­eaux. Depuis sa créa­tion en 2019, le mul­ti­mil­lion­naire a injec­té 3 mil­lions d’euros dans Riace, un fonds de dota­tion qui vient en aide aux réfugiés vrais ou faux via des asso­ci­a­tions locales, en par­ti­c­uli­er dans le pays basque, les Alpes Mar­itimes, la région de Calais et l’île-de-France. Le fonds doit son nom au vil­lage cal­abrais qui avait fait le choix de l’accueil incon­di­tion­nel des réfugiés suite à la grande vague d’immigration de 2015. Son maire, Domeni­co Luciano, avait joui d’une grande notoriété en s’opposant frontale­ment au min­istre de l’Intérieur de l’époque, Mat­teo Salvi­ni. Olivi­er Legrain a per­son­nelle­ment fait la con­nais­sance de l’édile ital­ien, célébré par les médis d’extrême-gauche, à l’occasion d’une pro­jec­tion d’un doc­u­men­taire de Wim Wen­ders à l’École Nor­male Supérieure.

À cette même péri­ode, il pèse de tout son poids financier afin que les navires Aquar­ius (en 2018) et Louise Michel (et en 2023) accos­tent en France. Par­al­lèle­ment, Riace a « mis une par­tie des tentes place de la République » à l’occasion de la bien mal nom­mée Nuit de la Sol­i­dar­ité en 2021. Pour­tant, l’homme se tar­guait à l’époque de « ne pas vouloir faire de poli­tique ». Dans un entre­tien qu’il donne à France Inter en 2020, il détaille ses ambi­tions de trans­for­ma­tion sociale :

« Les règles qui sont édic­tées par mon pays, par l’Europe, sont des règles mais, par con­tre, à l’intérieur de ces règles, on ne peut pas traiter des réfugiés qui ont fait des mil­liers de kilo­mètres, comme on les traite aujourd’hui en France ».

Le Bolloré de Barbès ?

La répu­ta­tion du « mil­lion­naire rouge » se répand vite, en par­ti­c­uli­er auprès des médias mil­i­tants : l’hebdomadaire de gauche antilibéral et écol­o­giste Poli­tis, le men­su­el Regards, porté par l’inénarrable Pablo Vivien et le média en ligne Bas­ta! ont pu récem­ment prof­iter de sa générosité.

L’idée de pos­séder un jour­nal lui demeure très étrangère et l’homme ne se sent pas l’âme d’un patron de presse, à la dif­férence de son ami Edwy Plenel ; il préfér­erait loger des rédac­tions amies avec la béné­dic­tion de la Mairie de Paris. C’est son inten­tion der­rière La Mai­son des Médias, un pro­jet sur lequel l’OJIM avait fait le point à l’été 2024 et qui devrait voir le jour en 2026 dans un bâti­ment indus­triel don­nant sur le boule­vard Bar­bès. Com­bat­tant auto­proclamé « pour la lib­erté de la presse », il fig­ure au rang des sig­nataires de la tri­bune du col­lec­tif Stop Bol­loré qui appelle à « entraver ce proces­sus à visée réac­tion­naire, en défense de la démoc­ra­tie et de l’État de droit ».

Une dynastie bourgeoise au service du « bien commun communiste »

Cet engage­ment au ser­vice des pseu­do damnés de la terre sem­ble se trans­met­tre de généra­tion en généra­tion au sein de la famille Legrain. La fille, Agathe, est avo­cate en droit du tra­vail et inter­vient bénév­ole­ment auprès de la Cimade, une asso­ci­a­tion elle-même stipendiée par Legrain père, pour prodiguer des con­seils juridiques à des migrants clan­des­tins déboutés du droit d’asile (« que l’on appelle à tort les migrants économiques », pré­cise-t-elle dans un por­trait qui lui est con­sacré) ou à des patrons qui emploient des sans-papiers. Le fils, Théophile, est diplômé d’une école d’architectes lau­san­noise et a con­sacré sa dis­ser­ta­tion de fin d‘étude (« L’hospitalité pour les indésir­ables: de l’accueil des migrants à la per­ma­nence du loge­ment ») aux divers­es formes d’habitats tem­po­raires générés en France par l’immigration illégale.

Dans ce texte aux forts accents mil­i­tants, l’auteur for­mule pro­fes­sion de foi humanitariste :

« Con­stru­ire un loge­ment pour accueil­lir les migrants et pro­téger les citoyens qui les sou­ti­en­nent, tel pour­rait être le rôle de l’architecte ».

En out­re, il con­sacre un mémoire à la ville de Bri­ançon et à la ten­ta­tive de la mairie, social­iste, de l’époque d’inclure des habi­ta­tions sol­idaires dans son pro­jet de réno­va­tion urbaine. Le grand père, lui, investit dans un refuge sol­idaire instal­lé dans un ancien sana­to­ri­um, ain­si que dans la Mai­son Bessoulie, « un tiers-lieu dédié à l’hospitalité et la sol­i­dar­ité », dans un vil­lage de la ban­lieue de Briançon.

Et après ?

Par­lera-t-on dans quelques années d’un « empire Legrain » comme on par­le aujourd’hui d’un « empire Bol­loré »? Rien n’est moins sûr et ce patron « stal­in­ien et pas gauchiste » fait plutôt fig­ure d’anomalie dans le Paris des affaires. Mais une chose est cer­taine, l’homme ne tran­sige pas sur les convictions :

« Je crois à l’État fort. On ne change rien sans règles coerci­tives. Prenons les réfugiés : si on ne force pas les gens à en accueil­lir ici à Neuil­ly, ça n’arrivera jamais. […] Il faut des règles ! C’est ça pour moi, être com­mu­niste : je ne crois pas à l’initiative indi­vidu­elle ».

Pro­lé­taires et cap­i­tal­istes de tous les pays, unis­sez-vous ! C’est Legrain qui régale !

Voir aus­si : Mai­son des médias libres, entre copains et coquins

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