En résumé :
- Une situation financière critique : selon la Cour des comptes, France Télévisions cumule 81 M€ de déficit net depuis 2017 et prévoit encore –50 M€ en 2025, malgré 2,53 Mds € de crédits publics (soit 80 % de ses ressources).
- Capitaux propres en chute libre : passés de 294 à 179 M€ en huit ans, ils pourraient tomber à 125 M€ fin 2025 ; sans mesures d’ici 2026, l’entreprise encourt la dissolution (Code de commerce).
- Masse salariale hors de contrôle : 15,5 % des salariés gagnent plus de 80 000 €/an, avec un salaire moyen de 71 490 €/an, bien supérieur au privé. 31 cadres touchent plus de 200 000 €/an, 5 dépassent les 300 000 €.
- Frais explosifs : 46 M€ de dépenses en 2024 pour déplacements et réceptions, dont 3,8 M€ de taxis (+80 % depuis 2019). 53 cadres disposent de véhicules de fonction, les 13 CSE gèrent 14,2 M€ et possèdent même des résidences de vacances.
- Soupçon de scandale politique : Paul Amar affirme que le rapport a été volontairement retardé pour permettre la reconduction de Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions, ce que la Cour des comptes dément.
Dans un rapport au vitriol rendu public mardi 23 septembre, la Cour des comptes a passé au peigne fin les comptes de France Télévisions.
Le verdict est sans appel : le groupe public, géré par Delphine Ernotte, est désormais dans « une situation financière critique » qui impose, sans délai, des réformes structurelles.
Mais qu’a donc fait le géant France Télévisions de l’argent des contribuables français ? Depuis ce mardi 23 septembre, la question est sur toutes les lèvres – excepté, bien sûr, dans les couloirs feutrés du service public. « Mammouth à dégraisser », dépenses délirantes… En moins de 24 heures, les critiques acides se sont multipliées, notamment à droite, à l’encontre du mastodonte France TV, tant le scandale se révèle grand.
Dix ans après avoir (déjà) tiré la sonnette d’alarme, la Cour des comptes a rendu public mardi 23 septembre un rapport cinglant de 166 pages concluant à une situation financière « critique » du groupe audiovisuel, désormais menacé de « dissolution » d’ici à la fin 2026. Une déflagration. Depuis, les observateurs n’ont d’ailleurs plus qu’un mot à la bouche : gabegie.
« Le statu quo n’est plus tenable »
Il faut dire que le rapport est édifiant. Après avoir, dans un premier temps, salué les audiences du géant hexagonal de l’audiovisuel – France Télévisions capte près de 30% de l’audience TV, demeurant ainsi « la première source d’information des Français » –, la Cour des comptes met à nu dans son rapport une maison qui se fissure de toutes parts.
Entre 2017 et 2024, France Télévisions a en effet cumulé pas moins de 81 millions d’euros de déficit net. L’année 2025 ne sera elle non plus pas un grand cru, la direction ayant dû présenter pour cette année un budget prévoyant une perte d’exploitation de près de 50 millions d’euros.
Une donnée, souligne la Cour des comptes, qui confirme « l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui la première entreprise de l’audiovisuel public », pourtant dotée d’un budget de 3,3 milliards d’euros en 2024 (dont 2,53 milliards de crédits publics, soit 80 % de ses ressources).
Le statu quo n’est plus tenable, s’alarme-t-on dans les colonnes du Figaro, au risque sinon d’aggraver un peu plus une situation financière « critique » qui met directement « en danger » la pérennité de l’entreprise.
Voir aussi : ENTRETIEN EXCLUSIF. « Un gouffre à argent public ! » : la charge au vitriol de Sarah Knafo contre l’audiovisuel public
En outre, les capitaux propres de France Télévisions, « passés en huit ans de 294 à 179 millions d’euros », continuent de fondre comme neige au soleil puisqu’ils se réduiront, d’ici la fin 2025, à environ 125 millions d’euros.
En conséquence, souligne Le Figaro, la trésorerie, « maintenue artificiellement par des emprunts » (Delphine Ernotte a multiplié les emprunts en 2025), pourrait tomber dans le rouge dès cette année, « avec un solde négatif de près de 27 millions d’euros ». Une situation qui, note le rapport, oblige désormais « l’État actionnaire à prendre, avant le 31 décembre 2026, des mesures de rétablissement des fonds propres ou de réduction du capital social, sans quoi, conformément au Code de commerce, la société encourt la dissolution ».
Une masse salariale « hors de contrôle »
Mais comment France Télévisions a pu en arriver là, d’autant plus quand on sait que ses concurrents privés font des bénéfices sans toucher d’argent public ?
Selon le gendarme des comptes, la situation financière « critique » de France TV n’est pas à imputer aux seuls dirigeants de l’entreprise, la faute en incombe aussi à l’État actionnaire qui n’a pas su fournir « un cadre financier pluriannuel stable et réaliste ».
Mais tout de même… À y regarder de plus près, frais et salaires ne semblent pas connaître la crise au sein de la maison France Télévisions. Dans le désordre, le rapport de la rue Cambon, qui concentre ses critiques sur une masse salariale « hors de contrôle » et en « augmentation structurelle » malgré la baisse des effectifs, nous apprend d’abord que 15,5% des salariés (soit environ 1 370 personnes) gagnent… plus de 80 000€ par an.
Un sérieux « talon d’Achille » quand on sait, en plus, que le salaire moyen par tête à France Télévisions atteint 71 490 euros bruts annuels en 2023 (soit près de 6 000 euros mensuels), « bien au-dessus de la moyenne du secteur culturel (48 900 euros) et même de l’audiovisuel privé (66 700 euros) », souligne Le Point.
Notons qu’au sommet de la pyramide, 31 cadres touchent plus de 200 000 euros bruts par an (soit plus de 16 600 euros mensuels). Cinq dépassent même les 300 000 euros annuels. « Des niveaux de rémunération qui s’expliquent notamment par un système salarial rigide, où l’ancienneté joue un rôle prépondérant », détaille l’hebdomadaire.
En 2023, « 53 % des salariés avaient ainsi entre 21 et 40 ans d’ancienneté », bénéficiant par là même d’augmentations automatiques continues.
Des frais qui explosent
À cela, il faut également ajouter un cadre social particulièrement généreux. À titre d’exemple, sur la seule année 2024, les frais de déplacements et de réceptions se sont élevés à plus de 46 millions (dont près de quatre millions d’euros seulement pour les dépenses de taxis), soit 126 000 € par jour.
« Les dépenses de taxis de tout ce monde explosent : elles s’élèvent à 3,8 millions d’euros, soit +80% entre 2019 et 2024, malgré le scandale qui avait déjà sali l’institution. Cela revient à plus de 10 000 euros de taxis par jour ! Ce n’est plus France Télé, c’est France Taxi ! », a ainsi fustigé Sarah Knafo sur X, rappelant dans la foulée qu’en ce qui concerne « les frais », les coûts des réceptions ont été « quasiment multipliés par 5 en seulement 2 ans ».
« Certaines dispositions généreuses et les avantages en nature contribuent également aux surcoûts et alimentent l’accroissement de la masse salariale », souligne sans ambages le gendarme des comptes dans son rapport, pointant notamment du doigt « des véhicules de fonction dont l’utilité est questionnable » et « des comités d’entreprise généreusement dotés ».
53 cadres de France Télévisions – affectés pour l’essentiel sur les sites parisiens – bénéficient en effet actuellement de véhicules de fonction dont la valeur unitaire s’échelonne… entre 20 000 et 53 000 euros. « Coût total de ces avantages mis à disposition par des contrats de location de longue durée : 1,7 million d’euros par an. »
Quant aux 13 comités sociaux et économiques (CSE) du groupe public, ils gèrent, rappelle Le Point, « une manne de 14,2 millions d’euros, qui couvre notamment l’activité de restauration ». Le rapport précise en outre que le comité d’entreprise de France Télévisions a acquis un immeuble au Crotoy en 2022, en plus des résidences de vacances dont il est propriétaire et qu’il loue à Cannes et à Trouville.
« Il fallait sauver la soldate Ernotte »
Forcément, cette liste à la Prévert n’a pas manqué de faire grincer des dents. Là où certains en sont restés à évoquer des comptes « catastrophiques » et des dépenses « délirantes », d’autres, à droite de l’échiquier politique, ont immédiatement appelé à la privatisation de ce « colosse aux pieds d’argile ».
Mais il est un autre scandale « dans le scandale » dont peu de médias se sont pourtant fait l’écho. Invité dans l’émission de Pascal Praud sur Europe 1 mercredi 24 septembre, l’ancien journaliste du service public Paul Amar a affirmé que le rapport était connu de l’ARCOM « au moment de la reconduction de Delphine Ernotte à la direction de France TV ».
« Ce rapport aurait dû être remis au mois de mai, il a été mis dans un tiroir parce qu’il fallait reconduire Madame Ernotte (…) Je pense que l’Arcom aurait été contrainte de ne pas la reconduire, mais il fallait sauver la soldate Ernotte », a‑t-il notamment affirmé, assurant tenir ses informations d’une source « infaillible ».
De son côté, interrogée, la Cour des comptes a assuré auprès de l’AFP ne pas avoir transmis d’éléments à l’Arcom avant cette reconduction.
Lorelei Bancharel

















