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Pologne : déconcentration-repolononisation de la presse écrite

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2 avril 2017

Temps de lecture : 6 minutes
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Pologne : déconcentration-repolononisation de la presse écrite

Temps de lecture : 6 minutes

Le plus gros quotidien national (le tabloïd Fakt), le troisième plus gros hebdomadaire d’actualités (Newsweek Polska), le plus gros site Internet polonais (Onet.pl) et un prestigieux mensuel économique (Forbes Polska) sont aux mains du groupe médiatique germano-suisse Ringier Axel Springer, issu de la fusion en 2010 de l’Allemand Axel Springer SE et du Suisse Ringier AG.

À cette emprise étrangère à con­no­ta­tion teu­tonne il faut ajouter dix-neuf jour­naux régionaux sur 24 qui sont la pro­priété du groupe de presse alle­mande Ver­lags­gruppe Pas­sau. Et cela sans compter de très nom­breux titres de la presse spé­cial­isée. L’emprise alle­mande sur la presse écrite en Pologne sem­ble être une des prin­ci­pales moti­va­tions au pro­jet de loi de décon­cen­tra­tion de la presse en cours de dis­cus­sion sur les bor­ds de la Vistule.

Quand Donald Tusk vendait une partie des médias polonais aux allemands…

Le par­ti con­ser­va­teur Droit et Jus­tice (PiS) avait protesté quand le gou­verne­ment de Don­ald Tusk avait autorisé la fil­iale polon­aise de l’Allemand Ver­lags­gruppe Pas­sau, Pol­s­ka Presse, à qua­si­ment dou­bler son emprise sur la presse régionale entre 2013 et 2014. Le PiS s’est aus­si offusqué en avril 2016 quand un enreg­istrement datant du 17 avril 2014 a fait sur­face où l’on entend un secré­taire d’État à la chan­cel­lerie du pre­mier min­istre Don­ald Tusk obtenir du mil­liar­daire polon­ais Jan Kul­czyk qu’il inter­vi­enne, à pro­pos des cri­tiques du jour­nal Fakt, auprès de Friede Springer, veuve d’Axel Springer, action­naire majori­taire du groupe médi­a­tique Axel Springer et amie d’Angela Merkel (dont le mari est d’ailleurs mem­bre du con­seil d’administration de la Fon­da­tion Friede Springer). Six semaines après cette con­ver­sa­tion entre les deux Polon­ais, le rédac­teur en chef de Fakt, en poste depuis près de 11 ans, était rem­placé et le tabloïd adop­tait une ligne plus anti-PiS qu’il a con­servée jusqu’à aujourd’hui (voir l’article Quand Don­ald Tusk, « prési­dent de l’Europe », muse­lait la presse d’opposition).

…et quand le Forbes polonais appelait à un Maïdan local

L’actuel rédac­teur en chef de Newsweek Pol­s­ka, Tomasz Lis, est de toutes les man­i­fes­ta­tions con­tre le gou­verne­ment de Bea­ta Szy­dło et il s’est à plusieurs repris­es répan­du dans les médias alle­mands sur les ter­ri­bles répres­sions dont seraient vic­times les jour­nal­istes de son pays et sur la dic­tature que chercherait à instau­r­er le PiS. Entre 2007 et 2015, son sou­tien indé­fectible au gou­verne­ment des libéraux de la Plate­forme civique (PO) lui avait valu de pou­voir pro­duire une émis­sion poli­tique grasse­ment rémunérée et très ori­en­tée pour la télévi­sion publique polon­aise que la nou­velle direc­tion arrivée début 2016 n’a pas souhaiter con­tin­uer. Il a donc des raisons per­son­nelles d’en vouloir au PiS en plus de ses moti­va­tions idéologiques libérales-lib­er­taires. Quant au rédac­teur en chef de Forbes Pol­s­ka, il a pub­lié sur Face­book, au moment du blocage de la Diète par une par­tie de l’opposition en décem­bre dernier, une liste d’instructions à suiv­re pour organ­is­er un « Maï­dan » en Pologne qu’il appelait de ses vœux !

Les Allemands font pression sur les journalistes polonais

Comme si cela ne suff­i­sait pas pour con­va­in­cre les con­ser­va­teurs polon­ais du dan­ger que représente une présence exces­sive du cap­i­tal du grand voisin alle­mand dans les médias, une let­tre envoyée par Mark Dekan, PDG du groupe Ringi­er Axel Springer, après le som­met de Brux­elles (qui a vu la Pologne isolée le 9 mars dernier sur la ques­tion de la recon­duc­tion de Don­ald Tusk à la prési­dence du Con­seil européen), a dévoilé la philoso­phie et la poli­tique de ce groupe de presse en Pologne. Il s’agissait de la let­tre heb­do­madaire du PDG aux jour­nal­istes polon­ais du groupe. C’est le ser­vice d’informations de la télévi­sion publique qui a, le pre­mier, révélé le con­tenu de cette let­tre envoyée le lun­di 13 mars, avant que les médias de Mark Dekan ne la pub­lient pour se défendre con­tre ce qu’ils appel­lent des manipulations.

On peut lire dans cette let­tre qu’avec Tusk, ce sont les Polon­ais qui ont gag­né et que les per­dants étaient le leader du PiS Jarosław Kaczyńs­ki et la bonne répu­ta­tion de la Pologne au sein de l’UE. Mark Dukan explique encore aux jour­nal­istes de ses médias polon­ais qu’à Brux­elles le 9 mars « l’idéologie et les manip­u­la­tions prim­i­tives ont per­du con­tre les valeurs et la rai­son », et que « sur l’autoroute de l’intégration européenne appa­rais­sent non seule­ment une voie rapi­de et une voie lente, mais aus­si un park­ing ». Et, explique-t-il : « C’est juste­ment le moment où entrent en jeu les médias libres comme nous. N’oublions jamais les valeurs fon­da­men­tales que nous représen­tons : nous sommes en faveur de la lib­erté, de l’État de droit et de l’EUROPE UNIE [en let­tres majus­cules dans la let­tre de Dukan, NDLR]. Sou­venons-nous que la majorité de nos lecteurs et util­isa­teurs appar­ti­en­nent à cette écras­ante majorité qui sou­tient la présence de la Pologne dans l’UE. Dis­ons-leur ce qu’il faut faire pour rester sur la voie rapi­de et ne pas finir sur le park­ing. L’enjeu, c’est la lib­erté et la réus­site des généra­tions futures. ». Suiv­ent des sta­tis­tiques mon­trant l’attachement des Polon­ais à leur adhé­sion à l’UE (que le PiS ne remet pas en cause, NDLR) et une ten­ta­tive d’explication de la cri­tique de l’UE plus vis­i­ble chez les jeunes : « Pourquoi croient-ils moins à l’idée d’une Europe com­mune ? Les pop­ulistes qui ont traîné l’UE dans la boue et les médias qui ont créé l’image néga­tive d’une UE enfon­cée dans la crise y ont cer­taine­ment con­tribué. »

Vers une « repolonisation » des médias polonais ?

Pour le PiS, cette let­tre vient à point nom­mé pour con­va­in­cre une majorité de Polon­ais de la néces­sité de « repolonis­er » les médias. Car que demande le PDG de Ringi­er Axel Springer à ses jour­nal­istes polon­ais, si ce n’est de pro­mou­voir en Pologne la vision alle­mande de l’Union européenne et de tout faire pour « réé­du­quer » les lecteurs des jour­naux du groupe médi­a­tique et les dress­er con­tre la poli­tique européenne de la majorité con­ser­va­trice issue des élec­tions libres et démoc­ra­tiques d’octobre 2015 ?

L’ingérence étrangère est à tel point évi­dente que le min­istre des Affaires étrangères polon­ais Witold Waszczykows­ki a promis d’intervenir auprès des gou­verne­ments alle­mand et suisse pour pro­test­er, tan­dis que le gou­verne­ment de Bea­ta Szy­dło a assuré qu’il mèn­erait rapi­de­ment à bien son pro­jet de repoloni­sa­tion et décon­cen­tra­tion des médias. Atten­dons-nous donc à de nou­velles attaques de l’Union Européenne con­tre cette Pologne décidé­ment de plus en plus indocile.

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