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OQTF : patient fiévreux ?  Complément d’enquête casse le thermomètre 

4 février 2025

Temps de lecture : 6 minutes
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OQTF : patient fiévreux ?  Complément d’enquête casse le thermomètre 

Temps de lecture : 6 minutes

OQTF, 4 lettres qui divisent la France : le ton est donné par le titre de l’émission Complément d’enquête du 23 Janvier. Si le patient a de la fièvre, c’est que le thermomètre donne à lire une mauvaise mesure ! Cassons donc ce thermomètre, et la France ne sera plus divisée !

Depuis quelque temps, le terme OQTF fait par­tie de l’ac­tu­al­ité de tous les jours. Et une grande majorité de Français sont très désagréable­ment sur­pris par le taux d’exé­cu­tion de ces déci­sions (env­i­ron 8%), qui, comme leur nom l’indique, sont en principe des obligations.

L’acronyme OQTF cristallise donc une réal­ité qui dérange, celle d’une immi­gra­tion incon­trôlable dou­blée d’une impuis­sance publique.

Alors, puisque le terme est devenu symp­tôme d’un mal que l’on préfér­erait ne pas voir, le ser­vice pub­lic de télévi­sion s’emploie à ren­dre illégitime la notion même d’OQTF.

Com­plé­ment d’en­quête présente un reportage d’une rare par­tial­ité, mais aus­si par­ti­c­ulière­ment brouil­lon. Tout se passe comme si l’ob­jec­tif n’é­tait pas de clar­i­fi­er, mais de faire en sorte que le pub­lic asso­cie le terme OQTF à une lég­is­la­tion incom­préhen­si­ble, injuste, et qui divise ; même s’il faut pour cela avoir recours à quelques approx­i­ma­tions et inexactitudes.

Acte I : délégitimer les OQTF

L’in­tro­duc­tion de Tris­tan Waleckx annonce la couleur ; « Alors que la France délivre aujour­d’hui 3 fois plus d’O­QTF qu’il y a 15 ans, la qua­si-total­ité d’en­tre elles visent désor­mais des per­son­nes jamais con­damnées et par­fois bien insérées. ».

Loin de clar­i­fi­er les con­cepts, cette intro­duc­tion a pour résul­tat d’emmêler d’en­trée les idées des téléspec­ta­teurs ; car en vérité il n’ex­iste aucun lien entre OQTF et con­damna­tion, même si le jour­nal­iste tente de créer ce lien durant toute l’émission.

Selon T. Waleckx, les OQTF s’ap­pli­quant à des per­son­nes non con­damnées seraient donc injus­ti­fiées ? il est clair que l’ob­jec­tif ici est bien de remet­tre en cause le fonde­ment même de l’obligation.

Au pas­sage, cela laisse entrevoir la vision que le jour­nal­iste sem­ble appel­er de ses vœux ; une sit­u­a­tion où il suf­fi­rait de ne jamais avoir été con­damné pour pou­voir s’in­staller et rester en France, l’ac­cueil de toute la mis­ère du monde en quelque sorte.

Le pre­mier chiffre don­né dans l’émis­sion est encore de nature à induire en erreur ; « en 2023, la France a procédé à 11700 éloigne­ments for­cés, le record d’Eu­rope ». Si l’on con­sid­ère le con­ti­nent Européen, cette asser­tion est fausse dans la mesure où la plus grande par­tie des 11700 éloigne­ments Français a lieu depuis les DOM-TOM.

Acte II : faire du chiffre ?

Le reportage tente ensuite de démon­tr­er que la machine admin­is­tra­tive s’emballe et s’ef­force de faire du chiffre sur les OQTF. Sont évo­qués des agents ayant une con­cep­tion trop large de la notion de trou­bles à l’or­dre pub­lic, et des étrangers rece­vant des OQTF pour con­duite sans per­mis, con­som­ma­tion de stupé­fi­ants ou vol de bicyclette.

En essayant de faire du chiffre, l’ad­min­is­tra­tion en perdrait de vue la pri­or­ité à don­ner aux vrais délinquants.

Out­re que la présen­ta­tion des faits vise tou­jours à min­imiser les dél­its, la démon­stra­tion ne tient pas.

En effet, nous voyons tout d’abord un mag­is­trat annuler quan­tité de procé­dures de réten­tion pour trou­ble à l’or­dre pub­lic ; c’est donc bien que les déci­sions de l’ad­min­is­tra­tion restent sous le con­trôle du juge.

Plus loin, le reportage donne à voir une cheffe de ser­vice indi­quer à pro­pos d’un place­ment pour trou­ble à l’or­dre pub­lic que « c’est un place­ment pour plac­er, his­toire de lui don­ner une leçon » et qu’il sera libéré. Cette respon­s­able sait ce qu’elle fait et ne sem­ble en rien avoir per­du de vue les pri­or­ités sur l’ex­pul­sion des plus gros délinquants.

Enfin, gon­fler le nom­bre d’O­QTF délivrées fait mécanique­ment baiss­er le taux d’exé­cu­tion. Or c’est ce taux qui est par­ti­c­ulière­ment suivi par les médias, et il n’est pas dans l’in­térêt de l’ad­min­is­tra­tion d’aug­menter les OQTF délivrées si cela ne cor­re­spond pas à une réal­ité de l’im­mi­gra­tion sur le terrain.

Pour étay­er la thèse d’une admin­is­tra­tion qui refuserait les régu­lar­i­sa­tions pour gon­fler les OQTF, le reportage présente ensuite une jeune Koso­vare dont l’O­QTF sera finale­ment annulée par le tri­bunal, ain­si qu’un appren­ti boulanger Malien qui pro­duit des doc­u­ments que la cour admin­is­tra­tive a jugé falsifiés.

Même présen­tés avec le max­i­mum de par­ti-pris, ces exem­ples ne démon­trent rien, si ce n’est que le juge est omniprésent, que les procé­dures sont com­plex­es, les con­tentieux nom­breux et coû­teux, et que l’ad­min­is­tra­tion débor­dée s’ef­force de par­er au plus pressé.

Acte III : dénoncer CNews

C’est ensuite au tour de la chaîne CNews d’être attaquée. Un « chercheur qui étudie la manière dont l’im­mi­gra­tion est traitée dans les médias» explique que, « qua­si­ment l’ensem­ble des pics (d’u­til­i­sa­tion du mot OQTF) que l’on observe sont dus à un seul média, la chaîne CNews ».

Pré­cisé­ment, CNews est accusée « d’avoir un traite­ment dif­féren­cié et de men­tion­ner de manière dis­pro­por­tion­née l’o­rig­ine unique­ment lorsqu’il s’ag­it de délin­quance étrangère » et ain­si « d’aug­menter la per­cep­tion du lien entre immi­gra­tion et insécu­rité ».

Cas­sons le ther­momètre en délégiti­mant le principe des OQTF, et cen­surons aus­si le média qui en par­le, ce sera plus sûr !

Conclusion : le ministre recentre la question

Le min­istre de l’in­térieur, invité de l’émis­sion, mon­tre son prag­ma­tisme en recon­nais­sant que l’ob­jec­tif de 100% d’exé­cu­tion des OQTF qui avait été affiché par Emmanuel Macron n’est pas réal­iste. Mais surtout, il a le mérite de clar­i­fi­er en quelques min­utes un sujet que Com­plé­ment d’en­quête a pris soin d’emmêler durant une heure.

Tris­tan Waleckx : « On voit bien qu’au­jour­d’hui on met dans les OQTF un peu tout et n’im­porte quoi ; des per­son­nes qui ont été con­damnées, des per­son­nes insérées… ».

Bruno Retail­leau : « Mais non, l’O­QTF con­state une sit­u­a­tion d’ir­régu­lar­ité sur le ter­ri­toire. A chaque fois que la règle est vio­lée, ont doit le constater ».

« L’ir­régu­lar­ité n’est pas prise en fonc­tion d’un trou­ble à l’or­dre pub­lic, l’O­QTF c’est sim­ple­ment une déci­sion qui con­state l’ir­régu­lar­ité d’un indi­vidu sur le ter­ri­toire Français. »

Waleckx : « On fait sou­vent le lien dans les dis­cours poli­tique et cer­tains dis­cours médi­a­tiques entre OQTF et insécurité ».

Retail­leau : « Non, on fait un lien entre un désor­dre migra­toire, une immi­gra­tion qui n’est pas maîtrisée, et la sur-représen­ta­tion des étrangers (dans cer­tains délits) ».

Ne reste plus à Tris­tan Waleckx que la ren­gaine de l’ex­trème-droite. Il attaque donc le min­istre sur l’ex­pres­sion « l’im­mi­gra­tion n’est pas une chance pour la France » qu’il aurait repris à Jean-Marie et Marine Le Pen ; ce à quoi Bruno Retail­leau répond calme­ment que la droite a oublié un cer­tain nom­bre de ses fon­da­men­taux et qu’il faut réguler l’immigration.

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