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L’Express : vive la guerre !

18 juin 2025

Temps de lecture : 6 minutes
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L’Express : vive la guerre !

Temps de lecture : 6 minutes

Les néo-con­ser­va­teurs améri­cains, au pou­voir aus­si bien avec le répub­li­cain George Bush qu’avec les démoc­rates Oba­ma et Biden, ne sont plus à la mode out­re-Atlan­tique depuis l’élection de l’inclassable Trump.

Selon le mot de l’écrivain jour­nal­iste Slo­bo­dan Despot, l’État pro­fond est en exil en Europe. Aus­si bien au Monde, par exem­ple, avec Sylvie Kauff­mann, qu’à L’Express, comme l’illustre notre analyse du numéro 3857 (du 5 au 11 juin 2025) fière­ment inti­t­ulé – dans une prophétie prospec­tive digne du marc de café : « Com­ment Pou­tine veut atta­quer l’Europe ». Un style per­for­matif, signe lin­guis­tique qui per­met à l’énoncé de faire advenir une réal­ité au-delà de toute analyse.

Coucou, fais-moi peur !

Le ressort des films d’horreur, c’est de provo­quer une émo­tion plus ou moins forte alors que le spec­ta­teur est assis con­fort­able­ment dans son fau­teuil. Le numéro de l’Express sur­joue en ce sens en voy­ant les Russ­es prêts à « sabot­er l’OTAN », cet organ­isme étant con­sid­éré comme le sym­bole de l’Europe et son véri­ta­ble patron moral et poli­tique.   Analyse à par­tir des experts con­vo­qués pour appuy­er la démonstration.

Expert, mon cher expert

Pour appuy­er une démon­stra­tion, il faut des experts. Tout est dans le choix des experts, comme ceux cités dans deux longs arti­cles sur pas moins de sept pages. Le pre­mier arti­cle est signé Char­lotte Lalanne (diplômée de l’IPJ en 2018, anci­enne de RFI) et reprend le titre de cou­ver­ture avec le sous-titre inter­ro­gatif tout aus­si per­for­matif que le titre : « Depuis des mois, Moscou tâte le ter­rain, tout en ren­forçant son arse­nal et son armée. Le prélude à une offen­sive de grande échelle ? » Plus loin, un entre­tien est réal­isé avec un autre expert académique allemand.

Le pre­mier expert, James Sherr, géopoli­to­logue bri­tan­nique et améri­cain, a été mem­bre de 1995 à 2008 du « Con­flict Stud­ies Research Cen­tre » rat­taché au min­istère de la Défense bri­tan­nique. Il est expert sur la Russie du Roy­al Insti­tute of Inter­na­tion­al Affairs, mieux con­nu sous le nom de Chatham House. Cet organ­isme remet chaque année un prix à la per­son­ne ayant le mieux con­tribué à l’amélioration des rela­tions inter­na­tionales. Les deux derniers prix ont été attribués à Volodymyr Zelen­sky (2023) et au Polon­ais Don­ald Tusk (2024). Sherr a été nom­mé en 2019 à Tallinn, où il ani­me l’Institut estonien de poli­tique étrangère.

Invité réguli­er de la NATO Par­lia­men­tary Assem­bly et du Ger­man Mar­shall Fund, Sherr est aus­si proche de l’ASD, Alliance for Secur­ing Democ­ra­cy, créée en 2016 par le Ger­man Mar­shall Fund. L’ASD est à l’origine du rap­port Hamil­ton 68 Dash­board con­clu­ant à l’action des ser­vices russ­es pour avoir con­tribué à l’élection de Don­ald Trump en 2016. Ce rap­port, qui paral­y­sera l’action de Trump pen­dant deux ans, sera désavoué.

Fabi­an Hoff­mann, inter­rogé sous le titre anx­iogène « Spi­rale destruc­trice, Le Krem­lin a un plan : tuer l’Alliance atlan­tique », est un expert alle­mand du CEPA, le « Cen­ter for Euro­pean Pol­i­cy Analy­sis » dont le siège est à… Wash­ing­ton et dont le but est de « ren­forcer le lien transat­lan­tique et ren­forcer l’OTAN » ; en d’autres ter­mes, il est un employé direct ou indi­rect de l’OTAN. Le CEPA est financé par Ama­zon, Apple, Google, Meta, Microsoft et Lock­heed Mar­tin. Il a comp­té et compte dans ses référents les mem­bres du Par­ti démoc­rate les plus bel­li­cistes comme Madeleine Albright (décédée en 2022) ou Anne Apple­baum (égale­ment épouse du min­istre polon­ais des Affaires étrangères). Hoff­mann est aus­si mem­bre de l’Oslo Nuclear Project où s’est illus­tré David Hol­loway, poli­tiste qui a servi comme « spe­cial assis­tant of the direc­tor of the organ­i­sa­tion of the Joint Chief of Staff in Pen­ta­gon ». On reste entre amis.

La troisième experte citée est la biélorusse Vera Grant­se­va, exilée en Europe, qui a déjà été inter­rogée le 24 mai 2025 sous le titre explicite « La stratégie de Pou­tine reste la guerre totale con­tre l’Europe ». À titre anec­do­tique, remar­quons que, le 18 févri­er 2025, Char­lotte Lalanne avait aus­si inter­rogé le fau­con néo-con­ser­va­teur John Bolton, ancien col­lab­o­ra­teur de Don­ald Trump (2018/2019), en révolte con­tre son ancien prési­dent, farouche sou­tien de la guerre en Irak sous Bush et par­ti­san déclaré de la guerre préventive.

Citée égale­ment, Black Bird, une agence de ren­seigne­ment privée. Cet oiseau noir accueille aimable­ment sur son site le général améri­cain Dou­glas Lutte, défi­ni par le New York Times en 2007 comme le « tsar war » de George Bush, puis représen­tant per­ma­nent améri­cain de l’Otan de 2013 à 2017.

Le général Christophe Cav­al­li, dernier nom­mé, est tout sim­ple­ment le respon­s­able améri­cain des troupes alliées en Europe depuis 2022. Arrê­tons-nous là.

L’Express, miroir de l’OTAN

Imag­i­nons un instant qu’un mag­a­zine con­sacre un dossier à une pos­si­ble men­ace améri­caine sous le titre « Com­ment les États-Unis veu­lent domin­er le monde », en inter­ro­geant des généraux russ­es, des diplo­mates et des chercheurs liés au min­istère de la Défense russe, des exilés améri­cains en Russie, etc. La valeur de ce dossier serait nulle et non avenue. C’est exacte­ment la valeur du dossier du numéro 3857 de l’hebdomadaire français. Certes, l’efficacité du soft pow­er améri­cain est bien con­nue et les ser­vices de com­mu­ni­ca­tion de l’OTAN sont par­ti­c­ulière­ment per­for­mants. Ce n’est pas une rai­son suff­isante pour servir de sim­ple caisse de réso­nance atlantiste, ou alors il faut inti­t­uler le dossier « pub­li-reportage » pour prévenir le lecteur.

Voir aus­si : L’Express, par­fait exem­ple de pro­pa­gande de guerre

Un magazine en chute

Ces mou­ve­ments de men­ton accom­pa­g­nent un mag­a­zine décli­nant. D’après l’ACPM, la dif­fu­sion payée de l’Express en 2024 était de 134 000 exem­plaires, iden­tique à celle de Mar­i­anne, mais la moitié de celle du Point à 278 000 exem­plaires. Encore ces chiffres cachent-ils le lent déclin du titre.

Diffusion payée Express

Année Exem­plaires en 1000
2020 173
2022 151
2024 134
2025 (TR1) 127

Une chute inex­orable de 6/7% chaque année. Le pro­prié­taire Alain Weill a certes les poches pro­fondes mais selon La Let­tre, il se rap­procherait de Rodolphe Saadé pour financer de nou­veaux investisse­ments sur le titre, peut-être avec une par­tic­i­pa­tion minori­taire de l’armateur. Le pôle médias de CMA CGM cor­naqué par Véronique Saadé ne dis­pose pas d’un mag­a­zine général­iste, un titre en déclin mais plutôt bon marché pour­rait utile­ment com­pléter la panoplie presse de la famille Saadé.

Voir aus­si : L’Ex­press, infographie

Claude Lenor­mand

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