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Comment les médias nous préparent à l’idée d’une entrée en guerre avec la Russie

5 novembre 2025

Temps de lecture : 10 minutes
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Comment les médias nous préparent à l’idée d’une entrée en guerre avec la Russie

Temps de lecture : 10 minutes

Comment les médias nous préparent à l’idée d’une entrée en guerre avec la Russie

« Nous mar­chons vers la guerre comme des som­nam­bules », déclarait Hen­ri Guaino dans une tri­bune du Figaro le 15 mai 2022. Force est de con­stater qu’en 2025, la pro­pa­gande bel­li­ciste s’est encore ampli­fiée : Le Figaro, Le Monde, Le Point, La Dépêche… Nos médias, unanimes, se font le porte-voix de hauts gradés et de généraux de plateau qui évo­quent sans cesse une con­fronta­tion prochaine entre l’Europe et la Russie. Analysons ce par­ti pris des médias uni­voque envers la Russie de Vladimir Poutine.

Emmanuel Todd mis à l’écart

Dès le début du con­flit rus­so-ukrainien en 2022, nous rap­pelle le jour­nal­iste Rodolphe Cart, un con­sen­sus médi­ati­co-poli­tique s’est imposé – effaçant de fait le cli­vage droite-gauche.

« Le jour où la Russie pénètre en Ukraine, le par­ti pris des direc­tions édi­to­ri­ales est clair : toute cri­tique de Kiev ou de Wash­ing­ton doit être mon­trée du doigt comme au min­i­mum une provo­ca­tion, voire un sou­tien caché à Pou­tine », explique l’auteur de La Men­ace néo­con­ser­va­trice (La Nou­velle Librairie, 2024).

On se sou­vient par exem­ple de la mise à l’écart du soci­o­logue Emmanuel Todd et des nom­breuses attaques qu’il a subies à la suite de la paru­tion de son livre La Défaite de l’Occident (Gal­li­mard, 2024).

Une escalade guerrière

Cet ostracisme de voix jugées comme dis­cor­dantes et « pro-russ­es » s’accompagne d’une escalade guer­rière. L’ex-chef d’état-major français Thier­ry Burkhard déclarait en effet le 11 juil­let 2025 : « Moscou a iden­ti­fié la France comme étant son prin­ci­pal adver­saire en Europe. » Des pro­pos sup­posé­ment pronon­cés par le gou­verne­ment russe mais jamais étayés.

Cepen­dant, les pro­pos alarmistes du plus haut gradé de l’armée française ont naturelle­ment mis en bran­le le monde médi­a­tique et remis au-devant de la scène le péril russe.

En réac­tion à cette déc­la­ra­tion inédite, les fact-check­ers de TF1 déclar­ent ain­si dans un arti­cle du 14 juil­let 2025 : « Nous n’avons retrou­vé aucune trace d’une telle déc­la­ra­tion par Vladimir Pou­tine, ni sur les réseaux soci­aux, ni dans la presse russe, ni dans les agences de presse, ni dans les déc­la­ra­tions offi­cielles du Kremlin. »

Les médias, courroie de transmission des communiqués de l’armée

Mais la bombe était lancée et reprise par France Info, le Figaro, le JDD, Pub­lic Sénat, Ouest-France, La Croix, l’Est Répub­li­cain… et com­men­tée de long en large sur les chaînes d’info en continu.

Le 23 juil­let 2025, soit quelques jours après, Thier­ry Burkhard quitte son poste, rem­placé par le général Fabi­en Man­don, ancien chef d’é­tat-major par­ti­c­uli­er du prési­dent. Néan­moins, Fabi­en Man­don, nou­veau chef d’é­tat-major des armées, sem­ble lui aus­si con­sid­ér­er la Russie comme une men­ace pri­or­i­taire pour la France.

En témoignent ses pro­pos lors de son audi­tion à la com­mis­sion de la Défense de l’Assem­blée nationale le 22 octo­bre 2025, où ce dernier déclare notam­ment : « L’armée française doit être prête à un choc dans trois, qua­tre ans face à la Russie, qui peut être ten­tée de pour­suiv­re la guerre sur notre con­ti­nent. […] Le pre­mier objec­tif que j’ai don­né aux armées, c’est de se tenir prêtes à un choc dans trois, qua­tre ans qui serait une forme de test – peut-être le test existe déjà sous des formes hybrides –, mais peut-être [quelque chose de] plus vio­lent. […] La Russie est un pays qui peut être ten­té de pour­suiv­re la guerre sur notre con­ti­nent et c’est l’élé­ment déter­mi­nant dans ce que je prépare. »

Là aus­si, la presse a retran­scrit les pro­pos du haut gradé sans vrai­ment les analyser. À leur décharge, il est dif­fi­cile d’évaluer la per­ti­nence d’une pré­dic­tion qui se réalis­era « peut-être » dans trois ou qua­tre ans.

Con­tac­té par l’Observatoire du jour­nal­isme, Régis Le Som­mi­er men­tionne de son côté le chef d’état-major de l’armée de terre Pierre Schill sur RTL, qui, habil­lé en tenue de com­bat, marte­lait sans ambages : « Dès ce matin, tout peut basculer. »

« Le seul pays qui fait vraiment peur à la Russie, c’est la France. »

L’on conçoit tout à fait que la presse se fasse l’écho des déc­la­ra­tions des mil­i­taires aux plus hautes respon­s­abil­ités qui ont, par leur grade, accès à des infor­ma­tions extrême­ment sensibles.

Mal­heureuse­ment, d’autres généraux – qui ont quit­té le ser­vice act­if – bril­lent par leurs déc­la­ra­tions plus rocam­bo­lesques les unes que les autres. On peut citer notam­ment le général de réserve Michel Yakovl­eff qui pré­tend sans preuve aucune que Don­ald Trump est « un agent du KGB » ou encore que l’occupation alle­mande en France de 40 à 44 « était peace and love » com­parée à la guerre en Ukraine.

Citons égale­ment le général à la retraite Vin­cent Desportes qui déclarait sur le plateau de C à vous que « le seul pays qui fait vrai­ment peur à la Russie, c’est la France ». « Nous pour­rions ray­er Saint-Péters­bourg, Moscou et plusieurs autres villes russ­es en seule­ment dix min­utes. Nous représen­tons une véri­ta­ble men­ace. », ajoutait-il.

L’heure n’est pas à la mesure non plus du côté russe. En 2024, Dmitri Medvedev déclarait de son côté « qu’il n’y avait plus de ligne rouge » en Russie con­cer­nant la France et qu’Emmanuel Macron était un « trouil­lard zoologique ».

Instiller la peur

Ces exem­ples ne sont que la par­tie émergée d’un ice­berg médi­a­tique où la nuance est reléguée au rang de détail super­flu. Aucune voix dis­cor­dante n’est invitée à con­tre­bal­ancer, sinon en marge, dans des rubriques « Opin­ions » reléguées en fin de journal.

Ce con­formisme s’explique en par­tie par une mécanique bien rodée : les déc­la­ra­tions mil­i­taires sont dif­fusées via des com­mu­niqués offi­ciels du min­istère des Armées, repris inté­grale­ment par les agences de presse (AFP, Reuters), puis ampli­fiés par les rédac­tions sans véri­fi­ca­tion approfondie.

Prenons l’audition de Fabi­en Man­don, le 22 octo­bre 2025. L’AFP envoie un flash à 14 h 47 : « CEMA : choc pos­si­ble avec la Russie dans 3–4 ans ».

À 15h12, Le Monde pub­lie un arti­cle en ligne. À 16h05, BFMTV ouvre son antenne sur le sujet avec un ban­deau rouge « URGENT ». À 20 h 45, C dans l’air invite trois généraux à la retraite pour décrypter. Aucun n’émet de doute sur la prob­a­bil­ité du scé­nario. Le cycle est bouclé, la peur instillée.

Des intérêts économiques colossaux

Mais cette peur n’est pas gra­tu­ite : elle sert un agen­da budgé­taire. La loi de pro­gram­ma­tion mil­i­taire 2024–2030, déjà ambitieuse avec 413 mil­liards d’euros sur sept ans, est en cours de révi­sion à la hausse. Le pro­jet de loi de finances 2026 prévoit 57,1 mil­liards pour la défense, soit une aug­men­ta­tion de 6,7 mil­liards par rap­port à 2025.

Pour jus­ti­fi­er cette ral­longe, il faut un enne­mi crédi­ble. La Russie rem­plit par­faite­ment ce rôle : loin­taine mais menaçante, puis­sante mais vul­nérable aux sanc­tions, imprévis­i­ble mais prévis­i­ble dans sa « logique impéri­al­iste ». La Russie est en même temps un ours vorace qui veut s’emparer de l’Europe et un tigre de papi­er qui peine con­tre l’armée ukraini­enne et les armes européennes. Ce para­doxe n’interpelle pas nos médias qui, con­sciem­ment ou non, devi­en­nent les relais d’une com­mu­ni­ca­tion stratégique où chaque alerte mil­i­taire est un argu­ment pour déblo­quer des crédits.

Un autre levi­er de cette pro­pa­gande est la dis­qual­i­fi­ca­tion sys­té­ma­tique des voix dis­si­dentes. Quiconque ose nuancer le nar­ratif dom­i­nant est immé­di­ate­ment taxé de « pouti­nolâtre », de « com­plo­tiste » ou de « défaitiste », comme pour Jacques Baud, ex-colonel du ren­seigne­ment stratégique suisse accusé par le site Con­spir­a­cy Watch de « con­spir­a­tionnisme géopolitique ».

Les rares jour­nal­istes indépen­dants, comme Régis le Som­mi­er, sont can­ton­nés à des médias alter­nat­ifs ou à des chaînes YouTube, hors du champ main­stream. Le fon­da­teur d’OMERTA nous explique ain­si que la France ne dis­pose pas du tout de l’expérience des Ukrainiens et des Russ­es en matière de drones et de com­bat en haute intensité.

Voir aus­si : « Jusqu’au dernier Ukrainien » de Régis Le Sommier

En out­re, le jour­nal­iste rap­pelle l’importance des morts français lors de la Pre­mière Guerre mon­di­ale pour des vil­lages minus­cules et « la saignée » que cela représen­tait à l’époque. Il ajoute : « qu’à aucun moment nos généraux ne mesurent les con­séquences que la guerre peut avoir si elle va au bout. »

Un traitement asymétrique

Cette uni­formi­sa­tion de la presse française n’est pas sans con­séquence sur l’opinion publique. Un sondage IFOP paru le 12 octo­bre 2025 révèle que 75 % des Français par­mi les sondés sou­ti­en­nent des « garanties de sécu­rité fortes » et que 72 % d’entre eux con­sid­èrent la Russie comme une men­ace. Cepen­dant, une majorité (53 %) rejette « l’envoi de troupes occi­den­tales ou européennes en Ukraine comme l’ont fait les États-Unis en Corée du Sud ».

20 Min­utes titrait à ce pro­pos : « Les Français tou­jours pas embal­lés par l’envoi pos­si­ble de troupes en Ukraine ». La boucle est bouclée : les médias créent la peur, la peur légitime les médias, les médias jus­ti­fient les bud­gets, les bud­gets ren­for­cent les mil­i­taires, les mil­i­taires ali­mentent les médias.

Le dou­ble stan­dard est fla­grant quand les exer­ci­ces mil­i­taires otaniens en mer Bal­tique, comme BALTOPS 25 en juin 2025, avec 40 navires et 25 aéronefs, ne font l’objet d’aucune cou­ver­ture cri­tique mais que la parade mil­i­taire russe du 9 mai est dis­séquée comme une « démon­stra­tion de force ».

Des drones qui sur­v­o­lent le ciel européen sont immé­di­ate­ment con­sid­érés comme des attaques russ­es mais la révéla­tion con­cer­nant 12 bases ukraini­ennes financées par la CIA à la fron­tière russe est très peu médi­atisée. Cette asymétrie dans le traite­ment de l’information révèle un biais struc­turel : la Russie est l’ennemi, un adver­saire qui incar­ne le mal absolu.

Une guerre qui fait vendre

Enfin, il faut s’interroger sur le rôle des chaînes d’information en con­tinu. LCI, par exem­ple, a vu son audi­ence grimper, pas­sant d’en­v­i­ron 1 % à plus de 2 % de part d’au­di­ence sur l’ensem­ble de la journée.

En juin 2023, record absolu à 4,9 % lors de la ten­ta­tive d’Evgueni Prigo­jine et du groupe Wag­n­er de ren­vers­er Vladimir Pou­tine. La chaîne n’hésite pas non plus à révéler des scoops abra­cadabran­tesques. Dernière extrav­a­gance en date sur LCI : leur présen­ta­trice Solenn Riou annonce en exclu­siv­ité le 3 novem­bre 2025 que les sol­dats russ­es se bat­tent à dos de chameaux et d’ânes et n’ont d’autre choix que de men­er l’assaut en trot­tinettes élec­triques ! Il faut ven­dre la guerre à n’importe quel prix.

On notera que le groupe Bouygues (auquel appar­tient LCI), à tra­vers sa fil­iale Bouygues Travaux Publics, a fait par­tie du con­sor­tium Novar­ka, chargé de con­stru­ire un nou­veau sar­cophage (le « New Safe Con­fine­ment ») pour encap­suler le réac­teur numéro 4 de Tch­er­nobyl en Ukraine.

De sur­croît, en 2018, Ukravtodor, agence d’É­tat ukraini­enne respon­s­able des routes et des autoroutes, a signé un con­trat pour la pré­pa­ra­tion d’une étude prélim­i­naire de fais­abil­ité des pro­jets de con­ces­sion pour la con­struc­tion et l’ex­ploita­tion d’au­toroutes en Ukraine. En con­séquence, le groupe Bouygues pos­sède de nom­breux intérêts en Ukraine et la recon­struc­tion de nom­breuses infra­struc­tures détru­ites pen­dant la guerre pour­rait en faire partie.

Les experts mil­i­taires, sou­vent rémunérés comme con­sul­tants, ont intérêt à main­tenir la ten­sion. Le général Yakovl­eff, par exem­ple, est présent sur LCI en moyenne une fois par semaine depuis 2023. Ses sail­lies provo­ca­tri­ces – « Pou­tine ne s’arrêtera pas à Kiev » – sont des aimants à audi­ence. Peu importe si elles man­quent de fonde­ment : l’émotion prime sur l’analyse.

Jean-Charles Souli­er

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